Le 17 mars 2018, un colloque a été organisé à l’Université de Lyon par l’Union des Fédéralistes Européens et sous le haut patronage du Parlement européen (PE). En vue des élections européennes de 2019, une journée entière a été dédiée à la question du rôle des partis politiques dans la création d’une société civile européenne et leur légitimité sur l’échelle européenne. La discussion se tenait en deux parties avec deux panels hétérogènes, composés par des intervenants avec différentes expériences, appartenant à des idéologies politiques diverses et provenant de domaines variés.
Parmi les invités aux deux tables rondes figuraient Jo Leinen, membre du PE et parrain de l’évènement, Françoise Grossetête, députée européenne du Parti Populaire Européen (PPE), élue Les Républicains, André Gattolin, Sénateur de La République en Marche, Marie Toussaint, chargée de l’Europe au Bureau exécutif d’Europe Écologie – Les Verts, Henri Oberdorff, Professeur émérite à l’Université de Grenoble-Alpes et Président de l’Université populaire européenne de Grenoble, Wilhelm Lehmann, chercheur invité à l’Institut universitaire européen de Florence, Michel Theys, éditorialiste à l’Agence Europe, Gwendoline Delbos-Corfield, membre du Comité du Parti Vert Européen et Thierry Masson, conseiller politique au PE au sein du groupe politique ALDE.
L’introduction par Sylvie Guillaume, Vice-présidente du PE, portait sur l’importance d’alimenter le débat sur le déficit démocratique et de s’engager contre la participation faible aux élections européennes.
La première partie a consisté en une discussion très animée d’un point de vue politique sur les prochaines élections européennes et la possibilité de créer des partis transnationaux. En effet, depuis quelques années, les partis traditionnels voient remise en cause leur légitimité et, de fait, leur crédibilité. C’est le cas du Parti Socialiste en France, du Parti social-démocrate en Allemagne ou encore du Parti démocrate en Italie. La participation aux élections européennes est en constante diminution, une tendance valable pour la plupart des pays membres de l’Union européenne (UE), particulièrement à l’Est. Les citoyens européens ne se sentent pas entendus et ont le sentiment qu’ils n’ont pas leur mot à dire quand il s’agit de sujets qui concernent l’Europe entière, au-delà des frontières nationales, comme la crise migratoire, la question Dieselgate et l’énergie nucléaire. Toutefois, les partis politiques restent un élément indispensable pour garantir une démocratie représentative comme la nôtre, dans l’Union européenne.
Tout au long du colloque, il a été remarqué de nombreuses fois que l’Europe était une grande absente des campagnes électorales des partis nationaux pour les élections européennes. La tendance était plutôt aux thématiques nationales. De cette manière, il est impossible de promouvoir un sentiment pleinement européen chez les électeurs. C’est une tâche non seulement dévolue aux députés qui se trouvent déjà au Parlement européen, mais également aux partis nationaux dans leur démarche politique quotidienne. Selon Françoise Grossetête, les partis nationaux sont très attachés à leurs symboles et leurs valeurs et les lier aux partis européens « sera un pas de plus vers l’intégration européenne ». De plus, au déficit de démocratie s’ajouterait un déficit de citoyenneté, une notion qui a provoqué de la divergence dans l’amphithéâtre. Jo Leinen a ajouté qu’il n’était pas possible de créer une identité européenne sans la volonté et la participation de la société civile.
En effet, il existe la possibilité d’appartenir en tant qu’individu à un parti européen sans passer par le parti national. Ces membres ont un accès direct au niveau européen, tout en gardant la coopération avec les partis nationaux, mais c’est l’Europe qui est au centre de l’attention, et non pas la politique d’un seul État membre. La seule limite consiste en l’absence de véritables outils à disposition de ces adhérents individuels. Outre une légère influence sur la conception des politiques du groupe politique au niveau européen, leurs droits et possibilités restent limités tant qu’il n’y a pas une création de listes transnationales. En ce qui concerne ces dernières, les intervenants se sont prononcés en faveur de leur établissement et espèrent que le sujet sera de nouveau abordé pendant la prochaine période législative du Parlement européen.
De plus, les invités ont critiqué la complexité superflue des processus aux élections européennes. Il serait nécessaire d’harmoniser les systèmes électoraux dans les pays membres et de les rendre plus transparents. Afin d’obtenir un processus plus démocratique, les citoyens veulent savoir pour qui ils votent et comprendre quelle personne sera chargée de les représenter au niveau européen. Non seulement les partis traversent une crise de légitimité, mais aussi les députés eux-mêmes, surtout ceux qui passent d’un mandat à l’autre, tout en perdant la proximité aux électeurs dans leur région de provenance.
La première partie s’est terminée par une discussion portant sur la difficulté des partis d’atteindre toutes les couches de notre société. Les partis ont du mal à communiquer leurs messages aux citoyens à travers différents canaux. Marie Toussaint a critiqué l’homogénéisation du programme des partis politiques et elle a insisté sur le fait que leur travail était de donner la main aux sans voix, aux minorités, aux plus pauvres, aux femmes et également aux jeunes, étant donné qu’ils ne font plus partie de la génération qui a créé l’Europe d’aujourd’hui. Les listes transnationales seraient une solution possible à ce problème, car elles rapprocheraient l’UE des citoyens et la participation à la politique européenne deviendrait une option plus réaliste.
La deuxième partie du colloque a apporté, tout d’abord, un point de vue scientifique sur la thématique du déficit démocratique de l’UE et est passé par la suite au rôle des médias dans ce même contexte.
Dans un premier temps, Le professeur Henri Oberdorff a attiré l’attention des participants sur la définition de la notion de démocratie et son application en Europe. La démocratie en Europe est toujours en construction. Sa définition scientifique consiste en un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Selon Oberdorff, l’Union européenne a été créée pour les citoyens européens et, aujourd’hui, l’UE a pour objectif de faire de la politique pour eux. La citoyenneté européenne se superpose à la citoyenneté nationale et est ainsi une garantie pour les européens d’être usufruitiers de droits supplémentaires. L’UE a été construite et, au cours des années, améliorée par ses propres citoyens européens. Maintenant, il est difficile d’arriver à une Europe du peule, car il n’existe pas un seul peuple européen, mais plusieurs peuples liés à des cultures différentes. La légitimité d’une Europe des citoyens serait assurée par des élections nationales et ce serait par là qu’il faudrait revenir. Le système des Spitzenkandidaten serait un bon moyen d’arriver à un processus légitime, car le PE pourrait, à tout moment, demander des comptes au Président de la Commission européenne (CE). Ce dernier serait obligé d’assumer la responsabilité de ces actions devant le PE.
En analysant les résultats des sondages Eurobaromètre, il est possible de constater que les réponses données par les citoyens européens peuvent parfois être contradictoires. Ils se sentent perdus et n’arrivent pas à décrypter la structure des institutions européennes et leurs processus opaques. Il existe un manque d’identité au niveau européen parmi les citoyens, mais aussi parmi les institutions dans leur représentation en dehors de l’Europe. L’UE n’est pas représentée par une seule personne emblématique, mais par un Président de la CE, un Président du PE, un Président de la Banque Centrale Européenne, et ainsi de suite.
En politologie, d’après Wilhelm Lehmann, on parle de plus en plus d’Européanisation, soit l’impact de l’Europe sur les partis nationaux. La création d’une assemblée de députés nationaux au PE a reçu peu d’importance dans le milieu scientifique et a perdu toute attention quand le PE lui-même s’est exprimé en défaveur de cette idée. L’approche des partis transnationaux au niveau européen est très peu discutée parmi les politologues. De toute manière, il n’existerait pas de solutions radicales, il faudrait commencer par des petites étapes, comme afficher le logo du parti européen sur le bulletin de vote, au lieu de celui des partis nationaux.
En ce qui concerne la légitimité des partis politiques au niveau européen, il faut d’abord distinguer la notion de « partis européens » de celle de « groupes européens ». Des partis européens sont directement organisés au niveau européen et coopèrent avec les partis nationaux respectifs, mais aussi avec les groupes politiques du PE. Ces derniers sont des rassemblements de partis nationaux avec des idées politiques similaires. Les invités ont critiqué les divisions présentes au sein des groupes politiques européens. Parfois, les membres du PE tendent à voter plutôt par rapport à la politique de leur parti national, au lieu de voter dans un intérêt européen de l’ensemble de leur groupe politique au PE. C’est pour cela qu’il est nécessaire de promouvoir la dimension européenne des propos abordés, même au sein des partis nationaux.
Un autre problème pour les partis politiques européens se pose au niveau de la création des listes électorales européennes, car ce n’est pas l’intégralité des membres, mais seulement le chef du parti et un cercle restreint d’acteurs qui possèdent ce pouvoir.
Le dernier sujet abordé au colloque a porté sur le rôle de la presse et des médias, censés refléter l’opinion publique. Une mission délicate quand les citoyens se considèrent éloignés de l’Europe. Les intervenants étaient d’accord sur le fait que la plupart des Européens obtenaient leurs informations à la télé ou sur des réseaux sociaux. La couverture médiatique des sujets liés à l’Europe se limite à des moments de crise et aux réunions du Conseil européen. Au lieu de transmettre une véritable information européenne, les chaînes nationales montrent aux citoyens de l’information nationale, comme par exemple les commentaires sur la façon dont le chef d’État a défendu ses intérêts nationaux devant les autres membres du Conseil européen.
La manière de prendre des décisions au niveau européen joue un rôle crucial. Au niveau national, le public est habitué à être confronté à la compétitivité entre les différents acteurs, ce qui lui plait, car un vrai débat a lieu et il est possible, par la suite, d’identifier le vainqueur et le perdant. En Europe, il existe une démocratie de consensus, et il faut donc arriver à des compromis et chaque parti finit par gagner et par perdre un peu de ce qui était initialement prévu. Les processus qui demandent le consensus de tous les partis ne sont pas simples à exposer et à analyser, et toutefois, il faudrait les médiatiser pour les rendre plus transparents aux citoyens.
Encore une fois, la procédure des Spitzenkandidaten est perçue comme une bonne solution à ce problème par le panel. Elle permettrait de créer une vraie compétition entre les candidats, ce qui plairait au public, et le débat européen serait plus au centre de l’actualité.
En outre, les intervenants ont critiqué le fait que les journaux télévisés ne choisissaient pas les meilleurs horaires pour parler de l’Europe. Il ne serait pas forcement nécessaire de créer de nouveaux médias, il suffirait de donner écoute aux journaux télévisés de 20 heures, qui devraient être utilisés comme canaux pour éduquer le public sur la vie politique européenne, en supplément à la simple information. Il faudrait également mettre en avant quand une décision prise au niveau européen regarde directement la vie quotidienne des citoyens, comme l’introduction du roaming gratuit dans l’UE ou des mesures prises au niveau de la sécurité alimentaire.
La présence nombreuse de différents mouvements pro-européens dans l’amphi Huvelin de l’Université de Lyon était la meilleure preuve qu’il existe beaucoup de citoyens européens engagés qui croient en un avenir de l’Europe et en un projet commun. Parmi ces mouvements se distinguaient notamment l’Union des Fédéralistes Européens, organisatrice de l’évènement, ainsi que le parti transnational PACE (Parti des Citoyens Européens) et le Mouvement Démocratie en Europe (DiEM25), dont des représentants ont pris parole à la fin du colloque. Ces mouvements jouent un rôle déterminant dans la restructuration politique au niveau européen, car ce sont eux qui créent des nouveaux courants ou qui arrivent à apporter un nouveau souffle aux partis déjà existants.
Dans une des dernières interventions du public, la question a été évoquée que les partis seuls ne suffiraient plus pour résoudre le problème du déficit démocratique. Il faudrait plutôt analyser la thématique en commençant par la société civile, par les citoyens, et non par les partis. EU-Logos Athéna avait d’ores et déjà l’idée de remettre la société civile au centre des débats. Une conférence, déjà en préparation depuis plusieurs semaines, devrait se concentrer sur les outils de la société civile pour s’exprimer, notamment et surtout les Conventions citoyennes européennes.
Pia Dittmar
Pour en savoir plus :
https://www.uef.fr/Quel-role-pour-les-partis-politiques