Mise en ligne : 28 05 2009 ( NEA say… n° 68 )
DROITS FONDAMENTAUX > Relations extérieures
La crise économique mondiale conduit des gouvernements aux abois à réprimer les personnes qui osent manifester contre la pauvreté croissante ou le chômage, relève Amnesty international dans un rapport. Les droits de l’Homme sont devenus des victimes collatérales dans de nombreux pays, où toute l’attention se porte sur les problèmes financiers pressants, note l’organisation internationale dans ce rapport. Les inégalités croissantes sont autant de poudrières.
Les travailleurs migrants en Chine, les populations autochtones en Amérique latine, et des millions de personnes en Afrique portent déjà le fardeau de la répression par les pouvoirs publics locaux lorsqu’ils essaient de dénoncer les privations croissantes qu’ils subissent, note Amnesty.
Pendant que les faillites des grands établissements financiers polarisent les regards, ceux qui se trouvent tout en bas de la pyramide économique souffrent le pire, note la secrétaire générale de l’ONG, Irène Khan. « Il y a un effet domino, et ceux qui sont les plus vulnérables au bout de la chaîne ressentent le poids ». Des sujets comme les inégalités, l’insécurité et l’oppression passent à la trappe, regrette-t-elle.
« C’est plus difficile, bien plus dur, de parler de la mortalité maternelle quand les grandes banques de Wall Street vacillent » souligne la militante.
Le rapport annuel d’Amnesty sur les violations des droits humains dans le monde s’intéresse à l’impact du ralentissement économique dans des pays comme la Chine, où des millions de travailleurs migrants venus des campagnes ont été mis à la rue du fait de la chute des exportations. Les autorités maintiennent une chape sur les médias et continuent à harceler ou emprisonner ceux qui mettent en cause les politiques publiques, note le groupe.
En Amérique Latine, Amnesty retient que la situation, « déjà critique » de nombreux groupes autochtones risque de s’aggraver avec la crise.
En Afrique, l’ONG constate que le coût croissant de la vie a entraîné des émeutes sur tous le continent, qui ne rencontrent que la répression en réponse. Au Mali, en Tunisie, au Cameroun, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, la dégradation de l’économie a conduit à des violations des droits humains.
Khan souligne que l’impact est différent selon les pays.
Les décideurs, aux Etats-Unis, ont la tête ailleurs, ils sont plus préoccupés de sauver l’économie que de défendre les questions de droits de l’Homme dans le monde. Cependant, la communauté internationale espère encore dans le gouvernement de Barack Obama, et l’invite à placer ces sujets en bonne place sur son agenda.
« La crise crée des opportunités » rappelle Irène Khan, qui estime que le combat pour le redressement économique n’atteindra pas tous ses objectifs si les droits humains sont oubliés. « En ignorant une crise pour en traiter une autre, on n’en résoudra aucune » augure-t-elle.
La pénurie alimentaire est aussi le second point central du rapport tout comme la crise financière et économique avec son lot de graves préoccupations. Amnesty International met en garde contre le retour des « émeutes de la faim » en Afrique. Un des constats les plus sévères concerne l’Afrique, avec notamment la flambée des prix alimentaires qui a « eu un impact disproportionné sur les populations vulnérables » du continent, note le rapport.
Lors du premier semestre 2008, de grandes manifestations populaires contre la hausse du prix des denrées alimentaires s’étaient multipliées au moment où les coûts des produits de base avaient augmenté de 40 % en moins d’un an, selon les estimations du Programme alimentaire mondial (PAM). L’envol des cours du blé, du riz, de l’huile sur les marchés mondiaux conjugué à des récoltes ratées et au manque de régulation des prix faisaient que les réserves alimentaires étaient à leur plus bas niveau depuis trente ans.
« Les forces de sécurité ont blessé et ont tué de nombreuses personnes qui revendiquaient le droit à un niveau de vie décent, y compris le droit à l’alimentation », rappelle Amnesty. Le bilan le plus lourd est à mettre à l’actif des autorités du Cameroun, où au moins 100 manifestants ont été tués. Des manifestations similaires, également parfois durement réprimées, ont aussi eu lieu en Mozambique, Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Guinée, Mali, Sénégal, Somalie, Afrique du Sud, Egypte, Maroc ou Mauritanie. Au Zimbabwe, où cinq millions de personnes dépendaient de l’aide alimentaire, le pouvoir est allé jusqu’à utiliser l’alimentation comme une arme politique contre l’opposition, dénonce le rapport.
Cette pénurie, aggravée par la discrimination et la manipulation de l’aide alimentaire à des fins politiques, reste une grave préoccupation qui pourrait prendre encore plus d’ampleur au vu du ralentissement économique qui se profile au deuxième semestre en Afrique. Si les prix alimentaires ont chuté par rapport à 2008, les prix restent élevés et volatils, nuance le directeur général de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Jacques Diouf. « Lorsque les gens commenceront à exprimer leurs préoccupations et descendront de nouveau dans les rues, la réaction risque d’être la même, met en garde le directeur d’Amnesty pour l’Afrique, Erwin van der Borght. Avec la crise économique actuelle, cela peut recommencer voire s’aggraver dans les mois et les années qui viennent. » De quoi entraîner davantage « d’instabilité politique » et « une violence de masse », craint Amnesty.