Le Conseil d’Etat donne en partie raison à la CIMADE. Vers un apaisement ?
La longue histoire des relations difficile entre la Cimade et ses ministres connaît de nouveaux rebondissements qui ont mis le ministre sur la défensive le contraignant à infléchir sa position dans un sens plus compréhensif non seulement à l’égard de la Cimade mais aussi du mouvement associatif. A ce stade il est peut-être utile de rappeler qu’héritant des tests ADN à imposer à la famille de migrants désireuse de se regrouper, Eric Besson a gelé les décrets d’application.
Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a ordonné, samedi 30 mai, la suspension des contrats concernant le marché de l’assistance aux étrangers placés en rétention, conclus le 10 mai, entre le ministère de l’immigration et six associations : la Cimade, l’Ordre de Malte, le Forum Réfugiés, le Collectif Respect, France Terre d’Asile et l’Assfam. Cette décision fait suite à la demande en référé introduite le 15 mai par la Cimade, seule association jusqu’alors habilitée pour cette mission, l’Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, l’association des avocats membres du réseau Elena France, et le Groupe d’information et de soutien des immigrés. Ces contrats devaient entrer en vigueur mardi 2 juin. (cf Nea say … N° 66) .
Dans leur requête, les associations soulignaient que les contrats avaient été signés seulement trois jours avant l’étude d’une requête en référé précontractuel introduite par la Cimade, et ce « alors que le juge des référés avait explicitement demandé au ministre de l’immigration de ne pas signer avant la tenue de l’audience ». La décision de justice constitue une première victoire juridique pour la Cimade, et une nouvelle difficulté pour le ministre de l’immigration, Eric Besson.
Dans son ordonnance, le tribunal indique, d’autre part, qu’en ne prévoyant qu’une mission d’information, « les prestations […] fixées par le ministre de l’immigration, ne permettent pas d’atteindre, dans son intégralité, l’objectif fixé par législateur ». M. Besson avait signé, dimanche 10 mai, le texte attribuant la responsabilité de l’assistance juridique aux étrangers en rétention à six associations, dont la Cimade, qui perdait ainsi son monopole. Ce même soir, le secrétaire général de la Cimade, Laurent Giovannoni, estimait que le ministre employait des « méthodes de voyou » et faisait ainsi un « véritable bras d’honneur à la justice ». Ce qui lui valait la menace d’une plainte en diffamation par le ministre. Dans un communiqué, la Cimade a alors pris » acte avec satisfaction de cette décision de justice » et « demande au ministère de l’immigration d’ouvrir de toute urgence une concertation avec les associations de défense des droits des étrangers, afin de dégager une solution permettant de garantir et de maintenir une réelle assistance juridique aux étrangers placés dans les centres de rétention administrative ». Par ailleurs, l’association se déclare prête à poursuivre la mission qu’elle mène actuellement seule dans les centres de rétention, si le ministère décidait, comme le suggère l’ordonnance, « de conclure avec la Cimade un avenant prolongeant l’exécution de ce marché », de façon à ne pas menacer la continuité de l’assistance aux étrangers.
Dans un communiqué publié à chaud le samedi soir 31 mai, Eric Besson fait savoir qu’il « se donne 48 heures pour prendre les décisions qui conviennent afin que les droits des étrangers en rétention soient bien pris en compte après le 2 juin ». Le ministre « a régulièrement réaffirmé que sa priorité absolue était d’assurer l’exercice effectif des droits des personnes retenues », ajoute le texte, soulignant « que la continuité de ces prestations de soutien et d’assistance juridiques aux personnes étrangères en rétention administrative devait impérativement être assurée après le 2 juin ». Mais revenant sur ce communiqué rendu public à chaud, finalement le Ministre Eric besson a pris conscience qu’il n’avait pas d’autre issue que de prolonger la mission de la Cimade : trois mois supplémentaires pour la mission de la Cimade. C’est ce qu’a proposé le ministre de l’Immigration Eric Besson. «Je vais proposer à la Cimade de signer une convention prolongeant de trois mois son action afin de permettre que les étrangers en situation irrégulière, soient toujours suivis, accompagnés», a déclaré Eric Besson dimanche après-midi sur iTele/France Inter. «A partir de mardi, j’ai besoin que des associations puissent aider les étrangers en situation irrégulière», a-t-il annoncé, ajoutant qu’il attendait désormais que la justice se prononce sur le fond. «Si sur le fond le tribunal met en cause le décret» attribuant l’aide aux étrangers aux six associations, «je proposerais un nouvel appel d’offre tenant compte scrupuleusement de l’avis du juge», a-t-il assuré. C’est ce qu’il a confirmé dans un entretien avec le journal le Monde du 3 juin. Manifestement le ton est à l’apaisemnt, indiquant par exemple que concernant l’associations » Collectif respect » dont l’indépendance et la compétence sont fortement contestées par les cinq autres associations, il a reconnu pour lui la possibilité de ne pas signer la convention qui lierait son ministère à cette association. Il a par ailleurs nié vouloir démantaler la mission traditionnel d’aide et de conseil pour la réduire à une simple mission d’information. « … tout cela c’est beaucoup d’agitation pour pas grand-chose. La france est un grand pays démocratique, qui aide les étrangers en situation irrégilièr ». Il a dit vouloir rééquilibrer les différents volets de la politique d’immigration au profit de l’intégration et répondent à la question concernant l’objectif des 27 000 reconduites à la frontière, il a répondu: « pourquoi parlez-vous donc de la politique du chiffre, alors que nous menons une politique des chiffres? Quand on me demande d’augmenter le nombre d’étudiants d’étrangers en France, c’est plus de 50 000. Quand je parle des étrangers qui accèdent à la nationalité française, c’est 100 000. Du nombre d’étrangers qui entrent légalement sur notre territoire c’est entre 180 000 et 200 000. Du nombre de visas de court séjour que nous accordons par an c’est 2 millions ».
Le ministre s’est montré prudent parce qu’ainsi que l’a fait remarquer le communiqué de la Cimade, le juge a soulevé dans son ordonnance «un risque d’atteinte à l’intérêt public, qui s’attache à ce que soit assuré l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers» et ajoute que cette suspension ne menace pas la continuité du service puisque «le ministre a la faculté de conclure avec la Cimade (…) un avenant prolongeant l’exécution de ce marché». Sur le fond, selon l’association, le tribunal indique par ailleurs qu’en ne prévoyant qu’une mission d’information et non plus d’assistance juridique, «les prestations objet du marché, ainsi fixées par le ministre de l’Immigration, ne permettent pas d’atteindre, dans son intégralité, l’objectif fixé par le législateur (…) à savoir mettre les étrangers retenus à même d’assurer l’exercice effectif de leurs droits».
Cette perception des choses est assez largement confortée par l’arrêt du Conseil d’Etat , saisi en appel par le Ministre, qui refuse d’annuler l’appel d’offres mais va à la rencontre de bien des objections de la Cimade. Le Conseil d’Etat n’a pas suivi la Cimade sur un point: l’association de défense des sans-papiers lui demandait d’annuler le décret du 22 août 2008 modifiant les modalités d’attribution du marché et de l’appel d’offres.
Le Conseil d’Etat a, en revanche, suivi la Cimade sur un point. Pour cette association, la définition de la mission d’assistance aux étrangers telle que prévue dans le décret posait problème puisqu’elle se bornait à «des prestations d’information sous la forme d’organisation de permanences et de mise à disposition de documentation». Or, la loi sur laquelle se fonde ce décret prévoit que les étrangers maintenus en rétention doivent «bénéficier d’actions d’accueil, d’information et de soutien pour permettre l’exercice effectif de leurs droits.»
Pour le coup, le juge est d’accord avec la Cimade et le dit. «Compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, le Conseil d’État juge que le décret doit être compris comme prévoyant que la convention en question porte non seulement sur l’information mais aussi sur l’accueil et le soutien des étrangers, pour permettre l’exercice effectif de leurs droits».
Mieux, «l’Etat ne peut conclure une telle convention qu’avec des personnes morales présentant des garanties d’indépendance et de compétences suffisantes, notamment sur le plan juridique et social, pour assurer le bon accomplissement de ces missions d’accueil, de soutien et d’information prévues par la loi.». Manifestement le « Collectif Respect » est visé et le Ministre a été bien inspiré de prendre ses distances avec cette association controversée. La Cimade se veut optimiste et Laurent Giovannoni, la sortie de crise passe par une négociation avec le ministère de l’Immigration, permettant de reconsidérer l’ensemble du dossier ce qui semble aussi d’une certaine façon le point de vue du ministre quia avait appelé à une rencontre et à un échange de points de vue et cela bien avant la décision du Conseil d’Etat.
Texte du jugement du Conseil d’Etat
Communiqué de la Cimade
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