Interview sur la « directive sanctions »: il est nécessaire de poursuivre l’harmonisation!
La directive sanctions a finalement été adoptée. Le Commissaire Barrot ainsi que plusieurs députés européens l’ont présentée comme un moyen pour lutter contre l’exploitation des immigrés, sans permis de séjour, de la part des employeurs et des réseaux criminels. D’autre part, plusieurs ONG et la société civile organisée ont soulevé des critiques à l’égard de l’efficacité de cette directive et du respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers. Nous avons l’opportunité d’en discuter avec Georgios Dassis, président du Groupe II qui représente les travailleurs au sein du Comité Economique et Social Européen.
Interviewer: Des débats prennent place quant au réel but poursuivi par la directive: quel est-il selon vous?
Georgios Dassis: Le 16 mai 2007, la Commission a présenté une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil prévoyant des sanctions à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier »Directive prévoyant des sanctions pour des employeurs ». L’UE a élaboré une politique de migration plus proactive, axée sur la « gestion » et non sur la prévention de la migration pour l’emploi, qui combine à de puissants efforts d’intégration aux mesures incitatives auprès des employeurs et des pouvoirs publics en faveur du respect et de l’application des normes du travail. La Commission avait publié une Communication sur un Programme d’action relatif à l’immigration légale en décembre 2005, qui prévoit l’adoption de cinq propositions législatives sur la migration de main d’œuvre. L’objectif de cette approche a été d’une part de poser les conditions d’admission pour des catégories très spécifiques de migrants (travailleurs/euses hautement qualifiés, travailleurs/euses saisonniers, stagiaires rémunérés et travailleurs/euses mutés au sein d’une entreprise) et d’autre part de sécuriser le statut juridique des travailleurs/euses ressortissants de pays tiers déjà admis et de simplifier les procédures pour les demandeurs.
Int: La directive concerne-t-elle exclusivement le volet sécurité ou devrait-elle, selon vous, s’étendre également aux politiques d’emploi et aux politiques sociales?
G.D. : Il est grand temps de reconnaître la nécessité de politiques plus proactives en ce qui concerne la migration et l’intégration au plan de l’UE, basées sur la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux des ressortissants actuels et des nouveaux arrivants, et intégrées dans de fortes politiques de l’emploi et du développement, tant dans les pays d’origine que dans les pays d’accueil. Il est urgent de disposer d’un cadre commun de règles communautaires sur l’admission à l’emploi. Ces dispositions-cadre ne doivent pas être destinées exclusivement à une promotion de la migration temporaire parce que de la sorte elles favorisent les formes de travail précaires et empêchent une intégration durable.
Int: Pensez-vous que la directive, en diminuant la demande de travailleurs irréguliers en Europe, va ainsi diminuer la présence d’immigrés clandestins ou bien va-telle juste aggraver leur situation? Certains pensent en effet que la directive pourrait coincer les immigrés dans l’économie souterraine et avoir un effet négatif sur le crime organisé.
G.D. : Tout d’abord, en raison de la mobilité existante des travailleurs/euses et des services, pour construire un marché interne européen du travail et en empêcher le dumping social, il est nécessaire de poursuivre l’harmonisation, non seulement du droit de l’immigration, mais aussi des conditions de travail minimum et de l’égalité de traitement en cas de travail transfrontalier. Les organisations syndicales ont accueilli avec satisfaction le principe général de la directive sur le paiement rétroactif des salaires aux travailleurs migrants et l’introduction de sanctions administratives et pénales contre les employeurs. Ces mesures pourraient jouer un rôle dissuasif sur les entreprises sans scrupules. Mais la directive sera difficile à appliquer dans la pratique parce que le texte adopté omet d’étendre comme il se doit l’obligation de payer de telles sanctions à l’ensemble de la chaîne de sous-traitance.
Int: Certains disent que des mesures similaires à celles prescrites par la directive existent dans plusieurs Etats-membres mais que ces dispositions n’ont jamais été véritablement effectives par manque de contrôles de la part des autorités. La directive sanctions y apporte-t-elle des solutions?
G.D. : Il faut concevoir la législation communautaire sur l’admission des migrants comme un premier pas qui met en place certaines définitions, critères et procédures communes, tout en laissant aux Etats membres le soin de réagir aux besoins spécifiques de leurs marchés du travail et de déterminer les volumes d’admission des personnes. En même temps, il est indéniable que l’interdépendance des Etats membres entre eux concernant les décisions relatives à l’immigration va croissant, ce qui appelle une plus grande harmonisation au niveau communautaire.
Int: Pensez-vous que la directive crée une forme de discrimination entre les travailleurs clandestins des Etats-membres d’une part et les travailleurs clandestins dans Etats-tiers d’autre part? Si oui, celle-ci vous semble-t-elle justifiée?
G.D. : Le CESE désapprouve le fait que ces éventuelles propositions soient précédées par une proposition de directive sur les sanctions appliquées aux employeurs employant des migrants en situation irrégulière (ce qui se fait le plus souvent dans les secteurs et les segments peu qualifiés et peu payés du marché du travail). Par contre, le programme législatif de la Commission ne contient presque pas d’initiatives proposant des filières pour la migration légale des travailleurs/euses peu qualifiés, à l’exception de l’initiative annoncée sur les travailleurs/euses saisonniers.
Int: Y a-t-il des alternatives à la directive sanctions?
G.D. : Faute de tels filières légales, les sanctions infligées aux employeurs pour l’emploide migrants irréguliers pourraient non seulement s’avérer largementinopérantes, mais pourraient également entraîner une poursuite de larépression, du traitement inéquitable et de l’exploitation destravailleurs/euses migrants en situation irrégulière. Ce compromis malvenun’empêchera pas un autre débat européen sur la manière de faire face de manièreadéquate à l’usage accru du travail non déclaré et aux migrants en situationirrégulière dans des chaînes de sous-traitance.
Sofia Kintis Dilinos et Mauro Striano