mise en ligne :09 06 2009 ( NEA say… n° 68 )
DROITS FONDAMENTAUX > Lutte contre le terrorisme
Dans un entretien à Valérie de Graffenried du journal le Temps rappelle que actuellement
une personne qui y figure et qui est touchée par des sanctions ne peut pas en être radiée. Le sénateur, auteur d’un rapport sur la question pour le Conseil de l’Europe, ( bien connu des lecteurs de Nea say…)est très critique. Il rappelle aussi que la liste noire de l’UE est aussi arbitraire que celle de l’ONU mais qu’elle dispose d’institutions judiciaires qui ont rappelé à l’ordre le Conseil des Ministres.
Heidi Grau, représentante permanente adjointe de la Suisse auprès de l’ONU, a rappelé, lors d’un débat public devant le Conseil de sécurité, que la Suisse tenait à ce que les sanctions onusiennes contre le terrorisme soient appliquées dans le respect du droit international et des droits de l’homme. Or, actuellement, la décision d’inscrire un nom sur la fameuse «liste noire» de l’ONU ne dépend que du comité des sanctions des Nations unies. Et, surtout, aucune véritable instance de recours n’existe. Des études récentes ont montré qu’il y a toujours matière à s’inquiéter, a relevé la diplomate suisse à New York.
Le point avec le sénateur Dick Marty (PLR/TI).
Le Temps: Comment expliquez-vous que le Conseil de sécurité n’ait toujours pas, comme le demande notamment la Suisse, mis en place un mécanisme indépendant de révision de ces listes de sanctions, pour permettre notamment de biffer des noms si les soupçons s’avèrent infondés?
Dick Marty: C’est, hélas, la démonstration que le Conseil de sécurité n’est pas une institution démocratique, mais un aréopage où comptent avant tout les rapports de force. Les Etats-Unis ont imposé ces listes noires et sans leur accord elles ne seront pas supprimées. A cela s’ajoute le fait que la Russie et la Chine sont des alliés objectifs des Américains dans ce domaine: eux aussi veulent combattre leurs «terroristes» par n’importe quel moyen. Guantanamo et les listes noires deviennent ainsi une légitimation de leurs méthodes, par exemple en Tchétchénie ou concernant les Ouigours (ndlr: minorité musulmane de Chine).
– Des progrès ont toutefois été faits. Lesquels sont-ils?
– Il s’agit d’améliorations purement formelles qui ne changent en rien la nature totalement arbitraire de ces mesures. C’est en fait de la simple cosmétique. Il est tout simplement scandaleux qu’une institution comme l’ONU, appelée à promouvoir la paix et la démocratie et l’Etat de droit, piétine à ce point les droits les plus élémentaires, comme celui d’être entendu, celui de se défendre dans le cadre d’une procédure équitable ou de pouvoir faire recours. Cela me désole d’autant plus que ces comportements finissent par donner raison à ceux qui sont contre toute forme de droit supranational et par compromettre tout ce que ces institutions font de bien.
– Iriez-vous jusqu’à dire que la Suisse devrait ne plus appliquer les sanctions qui découlent de ces listes?
– Si notre pays veut être cohérent avec les principes inscrits dans notre Constitution et dans notre ordre juridique, elle ne devrait effectivement plus appliquer ces sanctions. L’image de la Suisse en sortirait grandie: une petite démocratie démontrerait que le droit et les droits fondamentaux priment sur la force, l’arbitraire et l’arrogance des puissants. Certes, la liste noire peut avoir un sens, mais seulement durant une période délimitée, dans une situation d’urgence et en attendant une réponse adéquate à la menace. Il faut aussi qu’elle soit compatible avec nos principes constitutionnels. Comment peut-on justifier qu’une personne de bientôt 80 ans (ndlr: allusion à Youssef Nada, fondateur de la société Al-Taqwa basée à Lugano, qui avait été accusé par George W. Bush d’être en quelque sorte le «caissier d’Al-Qaida»), qui a travaillé en Suisse pendant plus de trente ans sans aucun problème, reste sur la liste noire depuis bientôt huit ans alors qu’elle a été innocentée par la justice de deux pays? C’est révoltant. Je suis écœuré que mon pays applique de telles dispositions. Par le biais du droit international, on court-circuite notre Etat de droit et on impose des normes d’un organisme qui n’a aucune légitimité démocratique et qui bafoue les principes fondamentaux à la base de tout Etat fondé sur la primauté du droit.
– La liste noire de l’UE est-elle aussi arbitraire que celle de l’ONU?
– Oui. Mais l’UE dispose d’institutions judiciaires. Celles-ci ont maintenant réagi et rappelé à l’ordre le Conseil des ministres. Notre rapport au Conseil de l’Europe n’a ainsi pas été tout à fait inutile.