Dans le conflit entre la CIMADE et son ministre de tutelle, Eric Besson, surgit un nouvel arbitre : la Cour des comptes. Mais son rapport va plus loin et pose les questions fondamentales concernant les centres et locaux de rétention administrative.
mise en ligne :02 07 2009 ( NEA say… n° 70 )
IMMIGRATION > Conditions d’accueil des réfugiés
La décision de Eric Besson de mettre fin au monopole de la Cimade dans les centres de rétention administrative (CRA) où sont enfermés les étrangers en attente d’expulsion est-elle plus politique qu’économique? « La démarche du ministère appelle trois remarques au regard de l’utilisation optimale de l’argent public », note la Cour des comptes dans une enquête réalisée à la demande de la commission des comptes du Sénat, et rendue publique le mercredi 1er juillet.
Rappel de l’histoire que Nea Say a suivi pour ses lecteurs. En août 2008, Brice Hortefeux, alors ministre de l’Immigration décide de faire taire la trop critique Cimade. Solution trouvée: diviser pour régner. A l’avenir, la carte des centres de rétention sera divisée en huit lots, chacun pouvant être confié à une association différente. Après une longue série de péripéties judiciaires, le juge des référés du tribunal administratif donne raison à la Cimade, et suspend le 30 mai le marché pour des motifs tenant aux modalités de l’appel d’offre.
Se refusant à « porter une appréciation sur l’action de la Cimade » et à « déterminer s’il faut une ou plusieurs associations pour assumer cette tâche », la Cour des comptes s’est penchée sur la logique financière de la décision du ministère de l’Immigration. Et n’a visiblement pas été convaincue. D’abord, « le choix de l’allotissement géographique (en clair la division de la France en huit lots affectés chacun à une seule association, ndlr) censé améliorer l’efficacité de la dépense, n’a pas fait l’objet d’une analyse détaillée préalable de ses coûts et de ses avantages au regard des objectifs fixés ». Ensuite, « il est incertain qu’un dispositif éclaté entre plusieurs intervenants par grandes régions puisse être plus efficace et moins coûteux qu’un dispositif national, dès lors qu’il est réellement souhaité conserver une vision d’ensemble sur les conditions d’assistance juridique et garantir qu’un retenu qui changerait de CRA bénéficie d’une continuité dans l’aide juridique apportée ».
Enfin, « sur le plan budgétaire, la Cour n’est pas convaincue par les arguments donnés par le ministère de l’Immigration pour justifier le choix d’un dispositif d’allotissement géographique, de préférence à d’autres modalités pratiques, en vue d’assurer une diversité des personnes morales intervenantes ».
Rappelons que l’exécution du marché est seulement suspendue. Le Tribunal administratif, également saisi « sur le fond », n’a pas encore rendu son jugement.
Le rapport de la Cour des Comptes va plus loin et examine la rationalité des coûts de la rétention.La Cour des comptes va plus loin que le cas de la Cimade et déjà en 2007 elle avait attiré l’attention sur les coûts de la rétention administrative, coûts qualifié de négligés par les évaluations, mais non négligeables. Il reste toujours difficile pour la Cour des Comptes d’évaluer après une enquête de huit mois. En cause « d’importantes lacunes dans le suivi des coûts ».
D’après leurs estimations, le coût total de la détention en CRA en métropole, hors dépenses d’interpellation, d’éloignement et de justice s’élève en 2008 à environ 190, 5 millions d’euro, soit 5550 euros par retenu. Mais souligne la Cour, 58,3% de ces retenus ne seront finalement pas expulsés, soit parce que la justice les remet en liberté, soit que leur consulat refuse de délivrer le laissez-passer permettant le rapatriement dans leur pays. Conséquence cet argent est dépensé inutilement et le coût de la rétention se monte alors à 13 220 euro par personne expulsée après rétention. Pour les locaux de rétention administrative, les LRA, (par rapport aux CRA , Centres de rétention administrative) où les étrangers sont censés ne faire qu’un transit de courte durée, le même calcul est impossible.. Si la Cour des Comptes n’a pas réussi à chiffrer de façon assez précise le coût de la politique de rétention (jugeant au passage sévèrement la situation à Mayotte) il ne lui a pas échappé que le nombre des retenus est en constante augmentation : de 24 502 en 2002 à 34 0592 en 2008 pour la métropole Le nombre de place a crû dans les mêmes proportions : de 1070 en 2005 à 1959 fin 2010. D’où l’effort des autorités pour favoriser les retours volontaires. Dans son enquête la Cour des Comptes ne chiffre pas cette différence mais indique les principales nationalités concernées : les Roms roumains, citoyens européens faut-il le rappeler, viennent en tête, de très loi. Il s représentent 6 413 des 7 293 des étrangers reconduits en 2008 par l’intermédiaire de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrants.
Quelles sont les conclusion de la Cour des Comptes ? Un constat :la reconduite à la frontière représente de fait « moins de la moitié des cas à la sortie des CRA », ne manquent pas d’observer les magistrats financiers. De 38,3 % en 2002, le taux d’expulsion des étrangers retenus a progressé jusqu’en 2005 (55,8 %), mais depuis, constatent-ils, « il baisse de manière continue, avec un accroissement des retenus finalement libérés ». Aussi, soulignent-ils, « si cette évolution devait se poursuivre – malgré les mesures pour améliorer l’efficacité du système – il conviendrait alors de s’interroger sur la nature même et les caractéristiques des objectifs poursuivis ».
Concernant la Cimade son point de vue est clair. La Cour se montre réservée sur la réforme de la mission d’assistance aux étrangers en rétention engagée par le gouvernement. Celui-ci a choisi d’éclater en huit lots le parc de CRA jusqu’alors confié à une seule association, la Cimade. « Il est incertain qu’un dispositif éclatéentre plusieurs intervenants par grandes régions puisse être plus efficace et moins coûteux qu’un dispositif national dès lors qu’il est réellement souhaité conserver une vision d’ensemble sur les conditions d’assistance juridique et garantir qu’un retenu qui changerait de CRA bénéficie d’une continuité dans l’aide juridique apportée », relève la Cour. Elle n’est « pas convaincue, par les arguments donnés par le ministère de l’immigration ».
Si la situation dans les CRA témoigne de « progrès sensibles », elle n’est pas exempte de critiques, estiment les magistrats financiers. « Les chefs de centres manquent d’un cadre, d’un référentiel », a souligné, mercredi, Alain Pichon, président de la quatrième chambre de la Cour, à l’occasion de l’audition du ministre de l’immigration Eric Besson par la commission des finances du Sénat. Cela entraîne des « pratiques très différentes d’un CRA à un autre et peut créer des situations d’inégalité et de déni de droits ». Par ailleurs, la présence des femmes et des enfants en rétention pose, selon lui un « lancinant et douloureux problème ».
La Cour des comptes préconise une « réflexion » sur la capacité maximale des centres (140 places actuellement): « Au-delà de 80 places, considère-t-elle, le CRA devient une sorte “d’usine à éloigner” peu propice à l’attention individuelle que doit recevoir chaque retenu ».
En ces temps d’extrêmes difficultés pour la dépense publique, il n’est pas inutile de s’interroger sur la justification des décision prises. Concernant le régime des allotissements géographiques censée améliorer l’efficacité de la dépense, la démonstration n’est pas faite, loin de là dit la Cour des Comptes par rapport à un dispositif national unitaire. Mais le dossier rencontre des difficultés mais d’une autre nature.