Le rêve blessé de l’Europe…., rêve blessé, blessé mais pas enterré. Comment ne serait-il pas blessé lorsqu’on assiste à certains débordements en son sein (les lois linguistiques en Slovaquie par exemple dont on parle par ailleurs) ? Rêve un peu désemparé : comment faire comprendre qu’au début de l’Europe, était le souci de réconcilier les peuples et de les unir dans une « Union sans cesse plus étroite » pour reprendre le texte du Traité de Rome
Blessure d’amour propre aussi en lisant certains passages de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle allemande de Karlsruhe. Certains termes ne s’imposaient pas : inutilement blessant. Sans doute avec le recul du temps tout cela apparaîtra comme un peu dérisoire, comme les propos tenus il y a presque un demi siècle par le Conseil d’Etat français ou le Conseil constitutionnel voulant réaffirmer sa prééminence en toute circonstance, ou bien les propos réitérés de hautes personnalités politiques françaises qui s’obstinaient à parler de l’Assemblée parlementaire et non du Parlement européen, de Conseil de ministres et non de Conseil des Ministres. Tout cela, ce sont des combats d’arrière-garde, mais qui nous détournent de l’essentiel : une planète à un tournant de son destin comme, peut-être elle n’en a jamais connu depuis que l’homme est sur terre conscient et organisé. En face à face avec l’Europe, d’abord de grands choix de société.
En ce qui concerne l’arrêt de la Cour allemande, derrière les propos faussement attristés ou les commentaires savants, ne se dissimule-t-elle pas une intention politique qui, faut-il le constater une fois de plus, vient du Royaume-Uni à la veille du retour des conservateurs au pouvoir et alors que le traité de Lisbonne n’est pas encore entré en vigueur? Par le plus grand des hasards, l’article de journal le plus lu et le plus cité est celui de Walter Münchau du Financial Times. Il souligne que l’arrêt de la Cour affirme clairement une position quant aux principes de souveraineté . L’autorité ultime doit toujours rester au même endroit, entre les mains des Etats membres pour le moment qui veut transférer sa souveraineté (en partie ou en totalité) devra renoncer à sa Constitution, la modifier pour adopter une version européenne. Mais à ce stade du raisonnement pourquoi ne pas développer cette autre face de l’alternative et pourquoi s’arrêter en chemin en l’éludant? Que dire du subtil distinguo entre pouvoir et souveraineté, le premier pouvant se partager, mais pas la souveraineté ? Deuxièmement, nous dit-il, la Cour ne reconnaît pas le Parlement européen comme un réel corps législatif représentant la réelle volonté d’un peuple européen. Selon cette thèse son principal défaut, mais pas le seul, est de ne pas constituer un véritable contrôle de l’exécutif. Mais pour le commentateur, le principal défaut de la construction européenne est de ne pas répondre à la question où s’arrête-t-elle, où sont les frontières qui en l’espèce ne sont pas uniquement géographiques. La réponse est claire, selon lui, pour la Cour : ici et maintenant et de dresser une liste de domaines où les Etats membres devraient conserver leur souveraineté.
Nous avons cru que le Traité de Rome avait répondu par avance en parlant « d’une Union sans cesse plus étroite ». Avec une telle conception que celle développée par la Cour on voit, à l’avance, les blocages, conflits et au bout du compte l’impossibilité de mener de grandes politiques cohérentes et singulièrement au niveau mondial puisque désormais c’est l’échelle de référence incontournable.
Manifestement on a voulu placer des butoirs sans prendre conscience qu’ils seront emportés rapidement par ces « solidarités de fait » dont parlait Robert Schuman dans son appel du 9 mai, et aussi par la contagion logique des contraintes qui oblige l’Europe à répondre à des grands problèmes de société souvent bien éloignés de la technique et de la logique économiques.
Dans un article retentissant de deux pages dans le Monde du 17 juillet Arnaud Leparmentier titre : « L’Allemagne apaisée enterre le rêve européen ». Que n’a-t-il palcé en regard et mis en valeur de façon équitable la déclaration de la chancelière Angela Markel faite le 27 mai dernier à l’université de Humbold de Berlin : « l’Allemagne a toujours considéré que l’unification de l’Europe faisait partie de sa raison d’Etat ».
Sur un plan plus terre-à-terre, disons que la Cour a constaté que le Traité de Lisbonne est compatible avec la Constitution allemande et la réaffirmation des pouvoirs du parlement allemand sur l’évolution ultérieure des traités européens interviendra avant le référendum irlandais. Les règles nouvelles introduites par le traité de Lisbonne ne sont pas remises en question et les principes démocratiques sont respectés. Pour le reste chaque chose en son temps et les spéculations prématurées sont à ce stade stériles et le resteront assez longtemps pour qu’on se dispense de spéculer à notre tour : qui peut évaluer les arguments juridiques en présence ? qui peut anticiper les situations de demains ?
Evitons d’opposer parlement national et Parlement européen : chacun a été témoin lors de la dernière convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing que c’est la profonde et durable solidarité entre les parlementaires qu’ils soient nationaux ou européens que des résultats substantiels ont été sauvegardés et les intentions de certains Etats membre contrecarrées. La coopération entre les deux branches parlementaires est une réalité déjà ancienne, elle n’a pas attendu l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et à cet égard la Commission, comme en témoigne son dernier rapport, a joué le jeu. Des formes efficaces de coopération ont été mises en œuvre, le traité de Lisbonne ne fait que les préciser et les renforcer : il est un incitant, une ardente obligation, pour tous les parlements nationaux encore incertains, à s’engager délibérément dans cette nouvelle voie de leurs activités. Bien plus ce traité représente une réponse opérationnelle (sinon juridique) aux remarques et objections de la Cour Constitutionnelle allemande. Comment imaginer un meilleur contrôle du respect du principe de subsidiarité qui semble avoir été le principal souci des juges de la Cour de Karlsruhe qui n’auraient pas lu, semble-t-il, avec suffisamment d’attention le Traité de Lisbonne ?
Devant les urgences du moment, évitons les questions oiseuses qui font perdre beaucoup de temps et détournent les énergies de leur but principal. Parmi ces urgences : les grands sujets de société. Sur ce plan l’Europe nous a semblé mal à l’aise, timide.
Ce qui est réellement en jeu ce sont des choix de société. Ne pas les aborder révèle des fragilités Des questions qui relevaient autrefois de la sphère privée relève (ou a tendance à relever ) du législateur face aux carences ou à la désertion des autres instances (articulation entre religieux , politique et cohabitation dans la vie moderne, la famille, sa composition ses droits et obligations, l’euthanasie, les greffes d’organes, sa vie privée et la protection des données personnelles, la liberté de gestation, les droits des enfants, la dignité de la femme etc..) Pourquoi l’Europe s’interdirait-elle de développer une vision globale qui mobiliserait ses valeurs qu’elle invoque très régulièrement sans les incarner. Pourquoi se réfugier derrière le plus petit dénominateur commun, fade et peu mobilisateur. En désertant le terrain des questions de société l’Europe laisse les extrêmes politiques s’imposer facilement sur le terrain des idées. Combattre à la fois les rhétoriques stériles et les défenseurs du statu quo, bref repousser les attitudes de déni ou de dérision.
L’Europe doit accepter d’assumer des valeurs, les siennes et de les expliquer à l’ensemble des citoyens. La prochaine fois, les abstentionnistes ne seront plus au rendez-vous.