mise en ligne :29 09 2009 ( NEA say… n° 73 )
DROITS FONDAMENTAUX > Droit à la liberté et à la sûreté
C’est un arrêt auquel personne n’a prêté garde en France. Il concernait la Turquie. Et pourtant. L’arrêt Salduz c. Turquie (rendu le 27 novembre 2008), qui condamne Ankara pour n’avoir pas offert à un individu placé en garde à vue l’assistance d’un avocat. Il concerne l’ensemble des 47 signataires de la Convention européenne des droits de l’homme.
« Cette jurisprudence devrait avoir des conséquences décisives pour la France, promet Me Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier de Paris. Elle permet dès à présent aux avocats de se fonder sur cet arrêt et sur l’article 6 de la Convention européenne (1) pour obtenir l’annulation des procédures judiciaires basées sur les déclarations d’un suspect faites en l’absence de son avocat. » À la Chancellerie, où l’on se refuse pour l’heure à toute déclaration, on assure « analyser la teneur de l’arrêt et tenter de mesurer sa portée ».
Que dit le droit français en matière de garde à vue ? « L’avocat rencontre son client après sa première heure d’interrogatoire, et ce pendant 30 minutes. Idem après la 24e heure de garde à vue », précise Me Laurent Schwartz, auteur du Petit manuel de garde à vue et de mise en examen. Informés de leurs droits, les gardés à vue ne peuvent, donc, être véritablement conseillées par leur avocat. « Non seulement nous ne pouvons rester à leurs côtés, mais nous n’avons pas accès aux procès-verbaux, ce qui nous empêche d’organiser leur défense », renchérit Me Laurent Schwartz. Voilà pour le droit français.
« La France peut se retrouver en difficulté »
Retour à l’arrêt Salduz c. Turquie. Dans cette décision, les juges européens exigent que « l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire (…) Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes – faites lors d’un interrogatoire subi sans assistance possible d’un avocat – sont utilisées pour fonder une condamnation ».
Cette décision peut, et va sans doute, donner lieu à diverses interprétations. Une acception étroite de l’arrêt peut conclure à une parfaite conformité de l’Hexagone au droit européen, en ce sens que les suspects français ont accès à un avocat durant leur garde à vue. « Si, en revanche, on comprend cette décision européenne comme exigeant la présence continue des avocats auprès des gardés à vue, alors la France pourrait se retrouver en difficulté », prévient la juge Virginie Duval, à l’Union syndicale des magistrats (USM, syndicat majoritaire). La CEDH exige-t-elle un simple accès à l’avocat en garde à vue ou requiert-elle une véritable assistance de ce dernier ? Tel est l’enjeu.
Chargé de réformer la justice pénale, le comité Léger a préconisé au début du mois que les avocats aient accès au dossier de leur client à la douzième heure de garde à vue et qu’ils restent à leurs côtés après la 24e heure. Leur présence continue lors de l’interrogatoire n’a, en revanche, pas été envisagée. « Personne n’a prêté attention à l’arrêt Salduz », reconnaît Me Gille-Jean Portejoie, membre du comité et favorable à une présence de l’avocat dès la première minute de garde à vue. « Espérons que, sur ce point, le président de la République se montrera plus audacieux que le comité. »
(1) L’article 6 garantit le droit à un procès équitable.