Dans un entretien donné à l’Université Robert Schuman de Strabourg, Jacques Barrot, commissaire chargé de la Justice, la Liberté et la Sécurité se prononce pour l’éclatement des compétences de son commissariat après l’annonce par Jose Manuel Barroso de son intention de créer un nouveau commissaire aux droits fondamentaux et à la lutte contre les discriminations. Et il va même plus loin : il propose, sur le modèle français, la nomination d’un commissaire aux migrations.
Un commissariat simplement dédié aux droits de l’Homme n’aurait pas beaucoup de pouvoir. Il faut aussi lui attribuer la justice. L’inconvénient, c’est qu’alors la question migratoire reste dans l’orbite de la sécurité.
La meilleure solution serait d’avoir trois commissaires : un pour la justice et les droits de l’Homme, un pour la sécurité, et un pour les migrations. Comme dans la structure française, qui est à mon avis la plus appropriée.
La double casquette, sécurité et liberté, vous a-t-elle posé des problèmes?
C’est intéressant de pouvoir unir la sécurité et la justice. Il est très difficile d’avoir une véritable efficacité sur le plan sécuritaire s’il n’y a pas de coopération judiciaire pénale. Si j’avais été en mesure de le dessiner, j’aurais fait un nouveau commissariat dédié au problème migratoire, et un autre à la sécurité et aux droits de l’Homme. Que circulation des informations et protection des données soient traitées sur le même plan est important. Ça suppose un commissaire équilibré entre volonté de liberté et sécurité. Si les deux sont séparées, il faudrait une « task force ») entre la sécurité, la liberté et les migrations pour éviter un déséquilibre.
La Commission Barroso n’a-t-elle pas privilégié le volet sécurité aux dépends du volet liberté?
Mon prédécesseur, Franco Frattini, a été fortement marqué par les attentats de Londres et Madrid : il a largement privilégié l’approche sécuritaire. J’ai incontestablement ramené le sujet vers un espace de droit, la protection des données, et les droits civils. J’ai fait en sorte que l’espace judiciaire devienne une réalité. Ça m’a permis de rééquilibrer les choses.
J’ai renoué avec Vittorino (prédécesseur de Frattini NDLR), qui avait beaucoup marqué son mandat par sa préoccupation pour la société civile. J’ai également travaillé sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires entre les Etats.
Où en est cet aspect?
Dans la partie « justice » de mon commissariat, il y a deux volets principaux. D’abord la société civile, avec la question des divorces de conjoints binationaux, ou les testaments : il y a un réel besoin de convergence pour créer une Europe plus facile pour les gens. Ensuite, il y a l’aspect pénal : il faut que les magistrats puissent de plus en plus travailler ensemble, qu’il y ait les mêmes garanties procédurales dans toute l’Europe pour les suspects et les victimes. Et on doit créer la confiance entre les magistrats chargés du crime organisé.
Comment le commissaire chargé de la sécurité travaillera-t-il avec le Haut Représentant aux affaires étrangères sur la question des migrations?
La question est d’abord de savoir comment obtenir que le Haut Représentant s’occupe des questions de migrations. La collégialité permet de lui demander de s’en occuper.
Précédemment commissaire aux transports, vous n’êtes à ce poste (justice, liberté et sécurité) que depuis mai 2008. Avez-vous eu le sentiment d’avoir eu le temps de mettre des choses en place?
J’ai réussi à obtenir un certain nombre de décisions. On a réussi à préparer le programme de Stockholm, qui fixe les grandes orientations de l’Union en matière de justice, liberté et sécurité pour les cinq années à venir, de 2011 à 2015. Et on a commencé à mettre en œuvre tout le paquet « asile », une série de mesures pratiques, et les questions d’interconnexions entre les différents Etats. On a aussi mis en place le pacte pour l’immigration. Finalement, je suis arrivé à un moment décisif pour ces questions.
Il y aura une nouvelle commission dans très peu de temps, avez-vous le projet d’y être encore commissaire?