Ces nouveaux fichiers viennent remplacer «Edvige», très contesté. Cette fois, les associations dénoncent la possibilité d’y mentionner «l’origine géographique», une manière selon elles de «contourner l’interdiction de ficher l’origine ethnique». La distinction entre traiter le terrorisme ou la sécurité de l’Etat, d’une part et la petite ou moyenne délinquance d’autre part, n’est pas claire. Comme n’est pas clair le fichage des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques. C’est un décret ministériel et non une Loi. Un recours devant le Conseil d’Etat est envisagé
Deux nouvelles «bases de données» destinées à renforcer les moyens d’enquête de la police ont été créées dimanche en France, après l’abandon du très controversé fichier Edvige , fin 2008, qui prévoyait de collecter des renseignements sur les opinions politiques ou la sexualité. Les deux nouveaux outils d’enquêtes, eux, ne comportent pas de référence à des opinions, à des origines ethniques, à la santé ou aux orientations sexuelles. «Edvige est mort, il n’est pas question de le remplacer», avait assuré le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, en annonçant «des bases de données précises, dans le respect des libertés individuelles».
La première, consacrée à la «prévention des atteintes à la sécurité publique» est «ciblée sur les bandes, les hooligans et les groupuscules». La seconde, relative aux «enquêtes administratives liées à la sécurité publique» porte sur les postulants à un emploi dans la police, la gendarmerie ou des secteurs sensibles (aéroports, centrales nucléaires, etc). Les mineurs peuvent figurer dans la première dès 13 ans, 16 ans dans la seconde, mais sont retirés automatiquement au bout de trois ans (dix ans pour les majeurs) après «le dernier événement ayant donné lieu à l’enregistrement».
Les deux bases de données, dont les décrets ont été publiés officiellement dimanche 18 octobre, «ont reçu le feu vert de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, l’aval du Conseil d’Etat, tout ce qui posait problème dans Edvige a été retiré», a souligné le ministère.
Mais des dérogations permettent de faire référence à «l’origine géographique», afin de «lutter contre les phénomènes de bandes, ou à des activités sectaires, ou politiques, philosophiques, religieuses et syndicales si elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique». C’est cette mention de l’origine géographique qui suscite l’opposition des associations. Remplacer le critère ethnie par origine géographique ne trompe personne. Les associations parlent de «trahison» du ministère de l’Intérieur qui avait accepté l’an dernier une recommandation de la commission Bauer visant à exclure des fichiers les données relatives aux origines raciales ou ethniques.
Le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) s’est dit également «très préoccupé» par la référence à «l’origine géographique». L’association redoute qu’il s’agisse là d’une «manière de contourner l’interdiction de ficher l’origine ‘ethnique’, ce qui serait inacceptable». L’association demande donc à Brice Hortefeux de «lever toute ambiguïté sur cette inquiétante référence». La Licra, quant à elle, se dit «réservée quant au fichage des mineurs de moins de 16 ans».
Au Parti socialiste , c’est la création «par simple décret» des deux fichier qui suscite la colère des députés. La députée socialiste Delphine Batho y voit le signe «d’un pouvoir qui veut passer en force» et qui «écrase le Parlement». Le président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Jean-Pierre Dubois dénonce un fichage « au facies ». Il rappelle que la Convention sur les droits de l’enfant dont on célèbre les vingt-ans garantit une protection juridique jusqu’à 18 ans. ? Il dénonce également la possibilité de fichage préfectoral à côté du fichage policier Enfin il insiste sur la nécessité d’une loi qui ne permettrait pas d’éviter un débat public.
De son côté le ministère de l’intérieur fait valoir Qu4il a demandé à ses services de veiller à la mise en place d’un certain nombre de garde-fous. Ainsi l’accès même aux nouvelles bases de données personnelles est encadré de façon rigoureuse, comme en témoigne une circulaire adressée aux préfets : ne pourront consulter ces fichiers que les policiers relevant de la sous-direction de l’information générale ou des services de renseignements de la préfecture. Chacun d’entre eux sera individuellement désigné et spécialement habilité par le préfet de police, le directeur central de la Sécurité publique, par les directeurs départementaux de la Sécurité publique. Policiers et gendarmes des autres services n’y auront accès qu’au cas par cas, à la demande expresse de leur chef de service. Enfin est annoncé un prochain décret qui devra instituer un magistrat référent chargé de contrôler l’effacement des données devenues périmées. Un magistrat référent prévu dans autre décret sera censé justifier à la date anniversaire du mineur sur le fichier et à sa majorité, pourquoi il figure sur le fichier et pourquoi il devrait ou non y rester. Le droit à l’oubli est-il totalement protégé ? Beaucoup s’interrogent. La question essentielle reste comment on assure le contrôle de la fabrication, la mise à jour ou l’effacement des données et comment on trôle l’usage qui en est fait. Manquent encore les informations économiques et sociales, domaine particulièrement sensibles dont l’absence pourrait paraître peu justifiée mais dont la sensibilité et la complexité sont évidentes. Doit-on pour autant les oublier dans un contexte de criminalité économique internationale et de corruption marquée ?