La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg contre la croix dans les écoles italiennes

La présence de crucifix dans les salles de classe en Italie est une atteinte à la liberté de conscience et au droit de chacun à recevoir une instruction conforme à ses convictions, estime la Cour européenne des droits de l’homme.
L’Italie condamnée pour la présence de crucifix dans ses écoles. Cette décision a été reçue « avec choc et tristesse » au Vatican, qui la juge « mauvaise » et « à courte vue », a déclaré le porte-parole du Saint-Siège, le père Federico Lombardi. La puissante conférence des évêques d’Italie a également dit sa « tristesse » et son « grand étonnement ».

Le jugement a aussi provoqué un tollé dans la classe politique italienne. Plusieurs membres du gouvernement de Silvio Berlusconi ont dit leur désaccord avec la Cour de Strasbourg, parlant d’un jugement « honteux », « insultant », « absurde », « inacceptable », voire « païen ». La juridiction du Conseil de l’Europe a donné raison à une Italienne d’origine finlandaise, Soile Lautsi, qui avait demandé en 2002 le retrait des croix de l’école que fréquentaient ses enfants à Abano Terme, dans le nord de la Péninsule.
L’affaire avait provoqué en Italie une vive polémique dans laquelle le défunt pape Jean Paul II lui-même s’était impliqué. A l’issue d’un marathon judiciaire, le Conseil d’Etat italien avait conclu en février 2006 que les croix pouvaient rester dans les classes en tant que « symbole adéquat pour illustrer les fondements de nos valeurs civiques ». La Cour de Strasbourg juge au contraire que « l’Etat doit s’abstenir d’imposer des croyances dans les lieux où les personnes sont dépendantes de lui ».

La présence du crucifix peut être « perturbante pour des élèves d’autres religions ou athées, en particulier s’ils appartiennent à des minorités religieuses », ajoute la Cour qui alloue 5.000 euros à la requérante pour dommage moral. La décision, rendue à l’unanimité, est susceptible d’appel.
A Rome, le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a déclaré que la Cour avait « porté un coup mortel à une Europe des valeurs et des droits ». L’ancien ministre de la Culture Rocco Buttiglione, proche du Vatican, a dénoncé « un jugement affreux » qui « doit être rejeté avec fermeté ». « L’Italie a sa culture, ses traditions et son histoire. Ceux qui viennent parmi nous doivent comprendre et accepter cette culture et cette histoire », a-t-il affirmé. Pour la ministre de l’Education, Mariastella Gelmini, la présence de crucifix dans les classes « ne signifie pas l’adhésion au catholicisme » mais est un symbole de l’héritage culturel italien. « L’histoire de l’Italie est jalonnée de symboles et si nous effaçons ces symboles nous perdons une part de nous-mêmes », a-t-elle dit. Au sein même de l’opposition, Paola Binetti, membre du Parti démocrate et fervente catholique, a plaidé en faveur de la « défense de la tradition », donc du crucifix dans les écoles. Toujours dans l’opposition, Pierferdinando Casini, de l’Union des démocrates chrétiens, a déploré le jugement de Strasbourg et le fait que la Constitution européenne ne fasse aucune référence aux racines chrétiennes du continent. Pour Mario Baccini, sénateur du parti du Peuple de la liberté, la formation de Silvio Berlusconi, les juges de Strasbourg « se sont abandonnés au paganisme ». Alessandra Mussolini, petite-fille du « Duce », a estimé que de telles décisions allaient mener à une « Europe sans identité ». Une poignée seulement de personnalités politiques, dont des membres du Parti démocrate, ont défendu publiquement le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans son communiqué (EN) la Cour fait observer :
La requérante, Mme Soile Lautsi, est une ressortissante italienne, résidant à Abano Terme (Italie). Ses enfants, Dataico et Sami Albertin, âgés respectivement de onze et treize ans, fréquentèrent en 2001-2002 l’école publique « Istituto comprensivo statale Vittorino da Feltre », à Abano Terme. Toutes les salles de classe avaient un crucifix au mur, et notamment celles ou les enfants de Mme Lautsi suivaient leurs cours, ce qu’elle estimait contraire au principe de laïcité selon lequel elle souhaitait éduquer ses enfants. Elle informa l’école de sa position, invoquant un arrêt de 2000 de la Cour de cassation, qui avait jugé la présence de crucifix dans les bureaux de vote contraire au principe de laïcité de l’Etat. En mai 2002, la direction de l’école décida de laisser les crucifix dans les salles de classe. Une directive recommandant de procéder ainsi fut ultérieurement adressée à tous les directeurs d’écoles par le Ministère de l’Instruction publique.
Le 23 juillet 2002, la requérante se plaignit de la décision de la direction de l’école devant le tribunal administratif de la région de Vénétie, au motif qu’elle portait atteinte aux principes constitutionnels de laïcité et d’impartialité de l’administration publique. Le ministère de l’Instruction publique, qui se constitua partie dans la procédure, souligna que la situation critiquée était prévue par des décrets royaux de 1924 et 1928. Le 14 janvier 2004, le tribunal administratif accepta la demande de la requérante de saisir la Cour constitutionnelle, afin qu’elle examine la constitutionnalité de la présence du crucifix dans les salles de classe. Devant la Cour constitutionnelle, le Gouvernement soutint que cette présence était naturelle, le crucifix n’étant pas seulement un symbole religieux mais aussi, en tant que « drapeau » de la seule Eglise nommée dans la Constitution (l’Eglise catholique), un symbole de l’Etat italien. Le 15 décembre 2004, la Cour constitutionnelle se déclara incompétente, au motif que les dispositions litigieuses étaient réglementaires et non législatives. La procédure devant le tribunal administratif reprit et, le 17 mars 2005, celui-ci rejeta le recours de la requérante. Il jugea que le crucifix était à la fois le symbole de l’histoire et de la culture italiennes, et par conséquent de l’identité italienne, et le symbole des principes d’égalité, de liberté et de tolérance ainsi que de la laïcité de l’Etat. Par un arrêt du 13 février 2006, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi de la requérante, au motif que la croix était devenue une des valeurs laïques de la Constitution italienne et représentait les valeurs de la vie civile.
La requérante alléguait en son nom et au nom de ses enfants que l’exposition de la croix dans l’école publique fréquentée par ceux-ci était contraire à son droit de leur assurer une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques, au sens de l’article 2 du Protocole n° 1. L’exposition de la croix aurait également méconnu sa liberté de conviction et de religion, protégée par l’article 9 de la Convention.
« Décision de la Cour : « La présence du crucifix – qu’il est impossible de ne pas remarquer dans les salles de classe – peut aisément être interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux et ils se sentiront éduqués dans un environnement scolaire marqué par une religion donnée. Ceci peut être encourageant pour des élèves religieux, mais aussi perturbant pour des élèves d’autres religions ou athées, en particulier s’ils appartiennent à des minorités religieuses. La liberté de ne croire en aucune religion (inhérente à la liberté de religion garantie par la Convention) ne se limite pas à l’absence de services religieux ou d’enseignement religieux : elle s’étend aux pratiques et aux symboles qui expriment une croyance, une religion ou l’athéisme. Cette liberté mérite une protection particulière si c’est l’Etat qui exprime une croyance et si la personne est placée dans une situation dont elle ne peut se dégager ou seulement en consentant des efforts et un sacrifice disproportionnés.
L’Etat doit s’abstenir d’imposer des croyances dans les lieux où les personnes sont dépendantes de lui. Il est notamment tenu à la neutralité confessionnelle dans le cadre de l’éducation publique où la présence aux cours est requise sans considération de religion et qui doit chercher à inculquer aux élèves une pensée critique.
Or, la Cour ne voit pas comment l’exposition, dans des salles de classe des écoles publiques, d’un symbole qu’il est raisonnable d’associer au catholicisme (la religion majoritaire en Italie) pourrait servir le pluralisme éducatif qui est essentiel à la préservation d’une « société démocratique » telle que la conçoit la Convention, pluralisme qui a été reconnu par la Cour constitutionnelle italienne.
L’exposition obligatoire d’un symbole d’une confession donnée dans l’exercice de la fonction publique, en particulier dans les salles de classe, restreint donc le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire. La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 2 du Protocole n° 1 conjointement avec l’article 9 de la Convention. »
Un rappel  historique : Mme Solie Lautsi estimait la présence de ces crucifix contraire au principe de laïcité et informa l’école de sa position, invoquant un arrêt de la cour de cassation qui avait jugé la présence de crucifix dans les bureaux de vote contraire au principe de laïcité de l’Etat. Devant la Cour constitutionnelle, le gouvernement défendit la thèse selon laquelle cette présence était naturelle, le crucifix n’étant pas seulement un symbole religieux mais aussi, en tant que « drapeau » de la seule Eglise nommée dans la Constitution, un symbole de l’Etat italien.
La procédure devant le tribunal administratif reprit le 17 mars 2005, celui-ci rejetant le recours de la requérante, jugeant le crucifix comme « tant à la fois le symbole de l’histoire et de la culture italienne et par conséquent de l’identité italienne ». Par un arrêt du 13 février 2006, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi de la requérante au motif que la croix était devenue une des valeurs laïques de la Constitution italienne et représentait les valeurs de la vie civile. Les juges de Strasbourg ont émis un avis différent dans leur arrêt. Des possibilités de faire appel existent.

 

Texte de l’arrêt (FR) (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cet article a 3 commentaires

  1. BA

    Un pur exemple de l’acharnement absurde et myope d’une certaine nouvelle Europe a demanteler la culture pluri-millenaire d’un grand peuple europeen signataire du Traite de Rome. Absurde, grotesque et destructeur! Ma, questa corte, non ha altro a pensare che creare la zizania?

  2. Guadalupe

    europe-liberte-securite-justice.org, how do you do i?

  3. lf5422

    what do you mean please?

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