Cinq à huit ans d’emprisonnement pour 23 agents de la CIA, jugés par contumace pour l’enlèvement en 2003 (extraordinary rendition) de l’ imam égyptien, Abou Omar. Il s’agit du premier procès visant les enlèvements extrajudiciaires et transfèrement secrets par la CIA, la centrale de renseignement américaine, de personnes soupçonnées de terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001.
Le porte-parole du département d’Etat, Ian Kelly, a déclaré que l’administration Obama était « déçue par les verdicts » mais qu’elle ne ferait pas d’autres commentaires sur ces condamnations. Les agents américains étaient accusés d’avoir enlevé Abou Omar le 17 février 2003 à Milan, avant de le transférer dans des bases américaines en Italie et en Allemagne. Il a ensuite été détenu en Egypte, où il déclare avoir été torturé. Abou Omar a été libéré après quatre ans de détention sans être inculpé. L’ancien chef de l’antenne de la CIA à Milan, Robert Seldon Lady, a été condamné à huit ans d’emprisonnement, 22 autres agents écopant de cinq ans d’emprisonnement. Trois autres Américains, bénéficiant de l’immunité diplomatique, n’ont pas fait l’objet de condamnations. Tous étaient absents et jugés par contumace. Cinq membres des services de renseignement italiens, également poursuivis pour les mêmes faits, ont été acquittés. Le tribunal explique ne pas avoir pu avoir accès aux informations nécessaires pour statuer, l’affaire étant couverte par le secret d’Etat. Les auditions conduites par la commission LIBE du Parlement européen avaient permis de révéler avec un luxe de détails incroyables (y compris la composition des repas commandés par les agents en opération) tous les faits et gestes des agents lors de l’enlèvement.
Le verdict « envoie un signal fort pour les crimes commis par la CIA en Europe » au nom de la guerre contre le terrorisme, a commenté Joanne Mariner de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch. Ces crimes étaient « inacceptables et injustifiés », a-t-elle déclaré.
Le juge Oscar Magi a prononcé vingt-deux peines de cinq ans d’emprisonnement. Ce sont de lourdes condamnations des treize agents de la CIA, mais aussi un acquittement des patrons des services secrets italiens difficilement compréhensibl.
Abou Omar résidant en Italie était soupçonné d’entretenir des relations avec des réseaux fondamentalistes et de recruter des volontaires pour combattre en Irak et en Afghanistan. Le 17 février 2003, un commando composé d’Italiens et d’agents de la CIA l’enlève dans une rue de Milan. Au cours d’un périple rocambolesque, l’imam est emmené de force sur les bases américaines de Vincenza en Italie, puis de Ramstein en Allemagne avant d’être livré à la police égyptienne qui l’aurait torturé dans une prison d’Alexandrie pendant plusieurs mois. Depuis, il a pu regagner l’Italie.
Trente ans de prison avaient été requis en septembre dernier contre les anciens chefs de la CIA Jeff Castelli et du renseignement militaire italien (SISMI), le général Nicolo Pollari, dans ce procès ouvert en juin 2007, le premier en Europe sur les transfèrements secrets (extraordinary rendition) de personnes soupçonnées de terrorisme.
Après trois heures de délibéré, le juge Oscar Magi a prononcé vingt-deux peines de cinq ans d’emprisonnement par contumace envers autant d’agents de la CIA convaincus d’avoir fait partie du commando et une peine de huit ans contre Robert Seldon Lady, ancien résident de la CIA à Milan et coordonnateur présumé du commando. Deux agents italiens du SISMI, Pio Pompa et Luciano Seno, accusés de complicité, se sont également vu infliger trois ans de réclusion. Trois agents consulaires américains ont été couverts par l’immunité diplomatique. Acquittement en revanche pour le général Pollari et son adjoint Marco Mancini, contre qui treize et dix ans de prison avaient été requis. La déposition du général Pollari devant la commission Libe du Parlement européen n’avait pourtant pas été convaincante : rapidement de incohérences voire des mensonges sont apparus dans son intervention.
Pour leur défense, les deux officiers supérieurs avaient fait valoir le secret d’Etat que le gouvernement de Romano Prodi, puis celui de Silvio Berlusconi à partir de juin 2008, avaient opposé à leur comparution en justice. En Italie, le secret d’Etat peut être imposé pour quatre ans et être renouvelable pour une durée identique. Le magistrat a eu recours à l’article 202 du code de procédure pénale pour statuer qu’il ne pouvait procéder à l’exécution du jugement, «la connaissance des faits couverts par le secret d’Etat étant essentielle pour se faire une idée de la culpabilité des inculpés». Le tribunal a également décrété à titre provisoire un million d’euros de dommages et intérêts en faveur de l’ex-imam et 500.000 euros en faveur de son épouse. Il appartiendra aux tribunaux civils de définir avec précision le montant des indemnisations. «Si le secret d’Etat avait été levé, il serait apparu que non seulement j’étais innocent, mais aussi hostile à toute forme d’action illégale sur le sol italien», a déclaré le général Pollari, interrogé par téléphone.