Thème de la conférence donnée aux Cercles Benenson (Amnesty Belgique) et Wresinski (ATD Quart Monde) ULB – 15 octobre 2009
Le principe de l’indivisibilité des droits de l’homme est aujourd’hui accepté mais on se heurte malgré tout au problème du cloisonnement. La déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte relatif aux droits économiques et sociaux des Nations Unies n’ont qu’une efficacité juridique limitée. Au niveau européen, il y a, d’une part la Convention européenne des droits de l’homme qui porte sur les droits civils et politiques et d’autre part la Charte sociale européenne qui porte sur les droits économiques et sociaux. Ces deux textes n’ont pas la même efficacité juridique. La Cour de Justice veille effectivement au respect des droits civils et politiques, mais en ce qui concerne la Charte sociale, il n’y a pas de contrôle juridictionnel mais seulement un Comité qui fait des recommandations non contraignantes. L’indivisibilité des droits fondamentaux n’est donc pas totalement reconnue dans les faits si bien que les droits des pauvres reste encore de pauvres droits comme le disait Pierre Imbert.
Un « leading case » en cette matière fut l’arrêt Airey contre Irlande. Une femme ne parvenait pas à obtenir un divorce parce qu’elle n’avait pas les moyens de se payer un avocat. La Cour a estimé que l’aide judiciaire était, dans ce cas d’espèce, indispensable à l’exercice d’un droit civil. Comme l’écrit Alain Touraine : « La reconnaissance des droits fondamentaux serait vide de contenu si elle ne conduisait pas à donner à tous la sécurité et à étendre constamment les garanties légales et les interventions de l’Etat qui protègent les plus faibles ».
La Cour a ainsi pu réaliser certaines percées à la faveur de quelques affaires qui lui ont été soumises.
Le procès équitable
A partir de l’arrêt Airey, la Cour a prononcé une série d’arrêts appliquant le principe d’un égal accès à la justice pour tous, sans nécessairement aller jusqu’à prôner la justice gratuite. Par touches successives, elle a commencé à examiner les obstacles financiers disproportionnés qui s’interposent entre la justice et les justiciables en situation de précarité, qu’il s’agisse de frais de justice excessifs, ou modulés en fonction du montant de la demande ou encore de mesures portant déchéance de recours (appel, cassation) au détriment de celui qui s’est trouvé dans l’impossibilité de payer l’intégralité du montant de la condamnation infligée.
Le droit au respect des biens
Le droit de propriété a aussi trouvé, paradoxalement, à s’appliquer en faveur des plus pauvres. Dans l’arrêt Stec c. Royaume-Uni, la Cour s’est fondée sur l’article 1 du protocole additionnel (respect des biens) combiné avec l’article 14 (interdiction des discrimination) pour affirmer qu’on ne pouvait refuser à certains des prestations sociales, lorsqu’elles existent, pour des raisons liées à leur sexe, leur état civil ou leur nationalité.
L’article 14 a aussi été interprété de telle façon qu’il faille aussi mettre fin à des discriminations indirectes. C’est ainsi que la Tchéquie a été condamnée parce que pratiquement tous les enfants Rom étaient dirigées vers l’enseignement spécial, des test ayant montré qu’ils n’avaient pas un quotient intellectuel suffisant. Ces tests ont été considérés comme discriminatoires car réalisé pour des enfants appartenant à une autre communauté.
La vie privée et familiale
Dans divers arrêts, la Cour a énoncé le principe selon lequel le placement d’enfants ne pouvait être considéré que comme une mesure à prendre en tout dernier recours. Le fait de ne pas disposer d’un logement décent, ne peut notamment pas être considéré comme un motif valable puisqu’il appartient à l’Etat de veiller à ce que chaque famille puisse être correctement logée.( Wallova et Walla c. République Tchèque). De même, la cécité des parents ne pas non plus peut être légitimement invoquée (Savigny c. Ukraine).
Le droit au logement
Dans l’arrêt Mc Cann c. Royaume-uni du 13 mai 2008 la Cour affirme que » la perte de son logement est la forme la plus radicale d’ingérence dans le droit au respect du domicile d’une personne en sorte que pareille mesure n’est conventionnellement admissible que moyennant l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif de sa proportionnalité. ». En l’espèce, le requérant n’avait pas eu la possibilité de défendre sa cause devant un tribunal. C’est au demeurant en s’appuyant sur l’enseignement de l’arrêt McCann que la Cour constitutionnelle belge a récemment annulé les dispositions du Vlaamse wooncode qui autorisaient la rupture d’un bail social sans intervention préalable du juge de paix.
Dans un arrêt « pilote » Hutten-Czapska c. Pologne, où des propriétaires se plaignaient d’un blocage des loyers constituant une atteinte à leur droit de propriété, la Cour a estimé qu’il fallait tenir compte de tous les intérêts en cause. Il y avait, certes, une violation du droit de propriété, mais il fallait aussi tenir compte de la dimension sociale et économique du problème et donc trouver un juste équilibre entre les droits des propriétaires de tirer un profit de leurs biens et l’intérêt général de la collectivité et ceci, en prévoyant suffisamment de logements pour les personnes les plus démunies.
Les traitements inhumains et dégradants
L’article 3 de la Convention interdit la torture et les traitements dégradants. On recourt à cet article, par exemple en ce qui concerne la surpopulation des prisons. Les suicides en prison sont par exemple examinés en rapport avec cet article 3. On pourrait aussi se demander s’il ne pourrait pas également être invoqué pour la question des étrangers. En principe, il s’agit d’une interdiction absolue. Mais une certaine retenue est malgré tout nécessaire dans son application concrète dans la mesure où l’on fait parfois appel à la notion de « seuil de souffrance ». Lors de l’affaire qui opposa Mme Van Volsem à l’Etat belge en 1990, la requérante alléguait que l’interruption de la fourniture d’électricité dans le logement social qu’elle occupait avec ses enfants était contraire à l’article 3. L’ancienne Commission européenne des droits de l’homme déclara ce grief non fondé, motif pris que » la suspension ou les menaces de suspension des fournitures d’électricité n’atteignait pas le niveau d’humiliation ou d’avilissement requis pour qu’il y ait traitement inhumain ou dégradant »
Cette notion de seuil de gravité a été invoquée dans d’autres arrêts, notamment O’Rourke c. Royaume-Uni et Larioshina c. Russie.
Il y a a aussi la requête Winterstein et autres contre France. Il s’agit d’une affaire introduite par ATD Quart Monde. Comme cette affaire n’est pas traitée par ma section, je peux en parler. Il s’agit d’une affaire très intéressante qui porte sur la question de savoir si les autorités qui, en connaissance de cause, privent de logement des personnes démunies et particulièrement vulnérables (s’agissant de gens du voyage; de familles comprenant notamment des enfants ou des personnes dont la santé est déficiente) ont, le cas échéant, une part de responsabilité dans ta grande pauvreté et l’exclusion sociale que cela engendre.
Cette requête a été introduite sous le visa de l’article 3, mais aussi de l’article 8. Elle continue son chemin probablement davantage sous le visa de l’article 8.
En ce qui concerne l’article 3, il reste encore cette difficulté du « seuil de gravité ».
C. Limites et critiques
Malgré ces percées incontestables reconnaissant de l’indivisibilité des droits de l’homme, il faut se garder d’un optimisme excessif. Les critiques sont nombreuses. Le Président de la Cour constitutionnelle belge, critique notamment cette interprétation extensive des droits civils et politiques. Dans un arrêt N. c. Royaume-uni du 27 mai 2008, la Cour a estimé que le sida ne pouvait faire obstacle à l’expulsion d’une citoyenne ougandaise malgré le fait qu’elle ne pourrait pas bénéficier d’un traitement adéquat dans son pays.
En conclusion : il est très important que des associations comme ATD Quart Monde continuent à soumettre à la Cour de « bonnes affaires » qui lui permettent de progresser dans la bonne direction.