Le droit à la protection de son intimité sur internet devrait être inscrit dans la Constitution, estime Alex Türk, le président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et président du G 29 qui au niveau européen regroupe les 27 contrôleurs à la protection des données personnelles. (cf. autre information sur le programme de Stockholm)
Dans un entretien accordé à Reuters, il dit avoir tenté de convaincre – en vain – Simone Veil de faire entrer ce nouveau droit à l’oubli numérique dans la loi fondamentale quand l’ancienne ministre présidait le comité chargé de réfléchir à une éventuelle révision du préambule de la Constitution de 1958. Pour Alex Türk, professeur de droit de formation, la France devrait rejoindre les treize Etats de l’Union européenne qui reconnaissent le principe de protection des données numériques dans leur Constitution. « Il faut appliquer à internet le même type de raisonnement que pour l’écologie, dont la charte a été adossée à la Constitution », estime-t-il. « Nous devons avoir le droit à protéger notre environnement numérique ». « Je veux pouvoir vivre libre dans la société numérique. Il faut un droit à l’incognito, à la solitude sur internet », plaide Alex Türk, qui insiste sur l’équilibre à trouver avec la liberté d’expression et le droit d’aller et venir sur le net.
Les réseaux sociaux sur internet ont fait exploser le nombre de données personnelles, souvent volontairement publiées par les internautes mais qui peuvent se révéler embarrassantes. Techniquement, il n’y a aucune limite à la mémoire d’internet et il n’existe pour l’instant pas de texte contraignant, d’où une réflexion naissante sur le droit à l’oubli numérique qui consiste en l’effacement des données. La secrétaire d’Etat chargée de l’Economie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, a annoncé la rédaction d’une charte pour mieux gérer ces traces numériques d’ici à juin prochain.
En parallèle, deux sénateurs ont rédigé une proposition de loi qui propose de rendre obligatoire la publication d’informations sur la durée de conservation des données personnelles et de faciliter le droit à leur suppression. A l’instar de la secrétaire d’Etat à l’Economie numérique, Alex Türk s’inquiète des problèmes causés par les données personnelles dans les processus de recrutement. Selon une étude citée par Nathalie Kosciuscko-Morizet lors d’un atelier consacré à l’oubli numérique à Paris début novembre, 35% des recruteurs américains ont reconnu avoir éliminé des candidats pour cause de propos ou de photos sur internet jugés déplacés. « Les jeunes qui viennent nous voir sont dans une situation infernale: ils ont été profilés et n’ont pas été embauchés », explique le président de la Cnil.
Mais, selon lui, le nombre de plaintes n’explose pas pour autant. « Les gens ne viennent plus, c’est le règne du ‘à quoi bon’ puisqu’il n’existe aucune contrainte au niveau international », dit-il. Il n’y aura, à ses yeux, « pas de vraie solution sans les Etats-Unis », dont sont originaires la plupart des géants de l’internet, comme Google, Facebook ou Yahoo. « Pour les Américains, les données personnelles sont des données commerciales qui ont une valeur marchande. En Europe, nous pensons que ce sont des attributs de la personnalité », rappelle-t-il, pour preuve des difficultés à venir. Il faut aller d’autant plus vite, insiste le sénateur du Nord, que les technologies futures poseront de nouveaux problèmes. « Avec les nanotechnologies, nous allons entrer dans l’ère des systèmes d’information qui verront, entendront, communiqueront à distance. Nous n’aurons bientôt plus jamais la certitude absolue d’être seul », prédit Alex Türk.