Des scientifiques et des magistrats se sont réunis pour débattre de l’utilisation des images cérébrales dans les procédures.
Les techniques modernes d’imagerie cérébrale et, plus généralement, les neurosciences ont-elles une place dans les procédures judiciaires ? Plusieurs pays ont déjà répondu positivement à la question en recourant à ces méthodes pour vérifier la véracité des propos tenus par un accusé ou évaluer son degré de responsabilité. En France, où les neurosciences n’ont pas encore franchi les portes des tribunaux, le sujet reste sensible, tant pour des raisons de fiabilité scientifique que pour des questions d’ordre éthique. Chercheurs, magistrats, médecins et autres spécialistes ont fait le point lors d’un séminaire organisé par le Centre d’analyse stratégique, organisme rattaché au Premier ministre.
Le débat ne date pas d’hier. Les premiers polygraphes, ou détecteurs de mensonges, ont été développés aux États-Unis au début des années 1920. Rapidement, leur fiabilité a été contestée, les scientifiques soulignant que les mesures chimiques, physiologiques ou électriques réalisées par ces appareils pouvaient traduire des émotions liées à d’autres comportements que le mensonge (à commencer par le stress de l’examen). La Cour suprême américaine a finalement interdit les polygraphes en 1988. Mais des détecteurs de mensonge de nouvelle génération apparaissent, qui font appel aux techniques modernes d’imagerie comme les IRM fonctionnelles. Pourtant reste le problème fondamental, le principe même de l’examen : on fait observer : le détecteur peut signifier que la personne dit sa vérité, même si ce n’est pas la vérité. Il n’y a pas de vérité neurale».
D’où une très grande prudence qui se renforce encore si l’on pose la question : les neurosciences peuvent-elles renseigner sur la responsabilité d’un délinquant ? Certes certaines anomalies cérébrales augmentent le risque de comportement antisocial, ce qui ne veut pas dire qu’elles y conduisent systématiquement et surtout la plupart des comportements antisociaux criminels pervers sont le fait de sujets au cerveau normal.
Plus généralement, la neurobiologiste Catherine Vidal (Institut Pasteur) recommande la plus grande prudence dans l’interprétation des IRM cérébrales. «Des lésions anatomiques n’ont pas nécessairement un retentissement fonctionnel, relève-t-elle en insistant sur les propriétés de plasticité du cerveau. De plus, il est souvent impossible de savoir si des anomalies sont la cause ou la conséquence d’un comportement déviant.
Dans sa dernière « Note de veille » le Centre d’Analyse stratégique s’est efforcé de bien cerner le débat et ses enjeux. « : Perspectives scientifiques et éthiques de l’utilisation des neurosciences dans le cadre des procédures judiciaires ». Trois interrogations majeures se dégagent
– La responsabilité et la dangerosité à l’aune des neurosciences
– Les neurosciences dans la procédure judiciaire
– Perspectives éthiques et légales
Le terme « neuroloi », rappelle le Centre d’Analyse stratégique, désigne de manière générique l’ensemble des travaux en neurosciences dont les résultats peuvent – à diverses échelles allant de la pharmacologie à la neuropsychologie en passant par l’imagerie cérébrale – participer à l’éclairage des procédures légales et judiciaires. Mieux évaluer la véracité des propos tenus par une personne mise en examen, l’impartialité d’un juge et des jurés ou encore le degré de responsabilité d’un accusé, sont autant d’aspects pour lesquels les sciences du cerveau pourraient être convoquées par les tribunaux. Dans différents pays, les neurosciences sont appréhendées comme un vecteur de progrès dans le domaine des politiques de prévention et de sécurité, mais également, en l’absence de régulations adaptées, comme une menace potentielle pour les libertés publiques et les droits de la personne. Les enjeux sont donc importants et sensibles, dépassant largement les seuls domaines techniques, médicaux et scientifiques. La note de veille met en garde contre toutes sortes d’illusions scientifique car au bout du compte on n’échappe pas au devoir de responsabilité. Des techniques d’une extrême complexité ne les rendent pas pour autant infaillibles c’est qu’à chaque instant interviennent les biais émotionnels. Il reste dangereux de s’engager dans la course à la certitude et de la demande sécuritaire exacerbée. En conclusion le CAS estime que l’introduction des neurosciences dans les tribunaux est prématurée. Il existe des droits supérieurs devant lesquels la recherche de la preuve scientifique peut avoir à s’arrêter : la mission première de la justice est de protéger les individus avant même d’établir la vérité.
Note de veille du CAS