Il est grand temps que le pacte européen pour l’immigration et l’asile repris par le programme de Stockholm se concrétise et plus particulièrement son volet politique d’intégration. Des centaines d’Africains ont protesté violemment contre l’exploitation dont ils font l’objet dans cette région gangrenée par la mafia. Jeudi soir, les affrontements ont fait 34 blessés, dont 18 policiers. L’exemplarité de ces incidents, exceptionnels par leur ampleur, a attiré l’attention du Haut Commissaire aux refugiés des Nations Unies (HCR).
Victimes d’exploitation, de vexations et de provocations, des centaines d’immigrés africains, le plus souvent clandestins, ont provoqué depuis jeudi une véritable émeute dans la petite ville calabraise de Rosarno, au sud de l’Italie. Vivant depuis des années des conditions d’habitat et d’hygiène terribles, travaillant dans les champs d’agrumes jusqu’à quatorze heures par jour pour une vingtaine d’euros, ils ont bloqué et saccagé une partie de la commune et se sont très violemment affrontés aux forces de l’ordre, après avoir été une nouvelle fois l’objet d’intimidations.
Jeudi après-midi, deux d’entre eux ont en effet été pris pour cible et légèrement blessés par des inconnus tirant avec une arme à air comprimé. Au retour du travail, les centaines d’étrangers ont alors décidé de se rassembler pour bloquer dans un premier temps les routes d’accès à Rosarno, n’hésitant pas à s’en prendre physiquement aux automobilistes avant de fondre dans le centre-ville. Armés de barres de fer, de bâtons et de pierres, ils ont jeté des pierres sur les commerces, brûlé des bennes à ordures, détruit de nombreuses voitures. La police est intervenue, chargeant très durement les manifestants. Le soir, le bilan était de 34 blessés (dont 18 policiers) et de sept immigrés arrêtés.
La protestation a repris le vendredi matin avec le renfort de centaines d’immigrés provenant de toute la région de la plaine de Gioia Tauro (qui accueillerait au total 15 000 étrangers). Les écoles et les commerces sont restés fermés. Mais, de nouveau, des vitrines ont été brisées et des poubelles renversées tandis qu’une partie des habitants de Rosarno s’organisaient à leur tour contre les immigrés, certains tirant des coups de feu en l’air. Le calme n’est que très provisoirement revenu qu’après une rencontre entre une délégation de travailleurs africains et le commissaire Domenico Bagnato, qui assure l’administration de la ville depuis que le Conseil municipal a été dissous pour infiltration mafieuse. Le représentant de l’Etat a assuré aux immigrés que leurs dortoirs seraient «surveillés et protégés», que des structures seraient aménagées et des toilettes chimiques installées. «Les lieux où ils vivent sont comme les cercles de l’enfer de Dante, ce sont des conditions inhumaines et de désespoir», a rappelé Don Carmelo Ascone, le curé de Rosarno.
Après l’entrevue avec le commissaire, les travailleurs africains ont accepté de mettre un terme à la manifestation. Mais une centaine d’habitants de la ville se sont à leur tour mobilisés pour occuper la mairie et demander l’expulsion des étrangers. «Basta avec les extracommunautaires, il faut qu’ils s’en aillent», a hurlé l’un des meneurs parcourant les rues de la ville en voiture avec un mégaphone. Le ministre (Ligue du Nord) de l’Intérieur, Roberto Maroni, qui a dépêché des renforts sur place, a profité des incidents pour parler d’une «trop grande tolérance envers l’immigration clandestine». «Ce n’est pas parce que celui qui recourt à la violence est un immigré que l’on doit le tolérer», lui a fait écho le ministre de la Défense, Ignazio La Russa, tandis que le secrétaire du Parti démocrate, Pierluigi Bersani, invite au contraire à prendre «le problème à la racine, un problème marqué par la mafia, l’exploitation, la xénophobie et le racisme». La police n’exclut d’ailleurs pas que la’Ndrangheta, la mafia calabraise, ait provoqué les incidents de Rosarno pour détourner l’attention et alléger la pression de la police dans sa lutte contre les clans. «Le problème des immigrés est lié à celui de la N’Drangheta, a de son côté estimé le vicaire du diocèse de Rosarno, Don Pino Demasi. L’exploitation est en partie pilotée par la criminalité organisée.» Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés se déclare en tout cas «très préoccupé par la situation à Rosarno» et estime qu’il est «absolument nécessaire d’empêcher la chasse à l’immigré». Comme pour donner raison à ce sombre pressentiment et signe que la tension restait très vive, on apprenait hier soir de source officielle que deux immigrés avaient été grièvement blessés à coups de barres de fer à Rosarno, tandis que deux autres avaient été victimes de tirs de balles dans les jambes ou renversés par des voitures.