La nouvelle responsable de la justice, la commissaire désignée Viviane Reding, a déclaré vouloir protéger la vie privée des citoyens et renforcer les droits des citoyens : ce seront les toutes premières priorités dans les prochaines années. Viviane Reding est la commissaire désignée de l’UE pour la justice, les droits fondamentaux et la citoyenneté, elle s’est exprimée lors de son audition (12 janvier), en réponse aux questions des députés européens.
Exprimant sinon son opposition ferme, du moins sa méfiance, aux scanners corporels dans les aéroports, Viviane Reding s’est exclamé : « ce n’est pas la panacée »). S’exprimant dans le même registre, elle a dit très clairement son regret que les années précédentes aient été marquées plus par la sécurité que la justice. Elle veut réconcilier le citoyen avec le droit européen en rapprochant ce dernier des citoyens et a cité à plusieurs reprises le rapport Lamassoure. Le droit à se déplacer est pour elle un élément essentiel. Elle a lancé l’idée d’un « Code civil européen » et a insisté sur la dimension « extérieure » que comportait son portefeuille qu’elle gèrera en relation étroite avec Catherine Ashton ainsi que sur la dimension essentielle de la formation des professionnels (Erasmus des magistrats), de l’information de tous (rôle de l’Office des Publications officielles des Communautés européennes OPOCE) et d’une bonne communication. Les droits des victimes n’ont pas été oubliés. En un mot des droits clairs, des normes fortes, une information régulière du Parlement européen dont elle a demandé l’aide à plusieurs reprises. Le Parlement européen sera pleinement associé au futur accord Swift dont un député, a regretté qu’il ait été conclu la veille de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, se faisant ainsi le porte-parole de la grande majorité. Bravant bien des tabous, elle a osé parler du parquet européen en termes ambitieux.
Ce portefeuille, attribué à Viviane Reding, commissaire luxembourgeoise qui s’occupait du portefeuille de la société de l’information dans la Commission Barroso I (2004-2009) va englober notamment des domaines politiques tels que la libre circulation des citoyens, le droit de la famille, le droit pénal, les droits des consommateurs, la politique européenne de communication, l’égalité des sexes et la législation anti-discrimination. Mme Reding, qui se présente pour un troisième mandat en tant que commissaire de l’UE et sera promue vice-présidente si elle est confirmée, s’est montrée assurée dans la maitrise d’une matière vaste et complexe devant les eurodéputés des commissions des Affaires juridiques, de la justice et des affaires intérieures, et de l’égalité des genres.
Le nouveau portefeuille de la justice est le premier de son espèce dans l’histoire de l’UE et a été créé du fait de la volonté des libéraux européens de mettre en avant l’importance croissante des droits des citoyens dans les 27 membres de l’Union en vertu du traité de Lisbonne. Ce fut une des conditions du soutien des libéraux à la candidature de José Manuel Barroso. En effet, Mme Reding, s après avoir rempli un mandat dynamique en tant que commissaire des télécommunications de l’UE et de la société de l’information, a affirmé aux eurodéputés qu’elle ne perdrait pas de temps à marquer son territoire dans son nouveau poste, s’étant engagée en priorité à renforcer le droit à la vie privée des citoyens.
Non aux scanners corporels dans les aéroports : la commissaire désignée luxembourgeoise a entre autre affirmé être opposée à l’introduction obligatoire de scanners corporels dans les aéroports de l’UE, une idée controversée qui a fait surface à la suite de l’attaque terroriste manquée de décembre 2009 aux Etats-Unis. Notre besoin de sécurité ne justifie pas toute invasion dans nos vies privées, a dit Mme Reding, ajoutant que les citoyens « étaient des êtres humains, pas des objets ». De telles mesures devraient être optionnelles pour les aéroports, a-t-elle affirmé, ajoutant : « nous ne devrions jamais être dirigés par la peur (…)les scanners « ne sont pas une panacée » !
La commissaire désignée a aussi déclaré dans ses réponses aux questions des eurodéputés de centre gauche qu’elle améliorerait les mesures portant sur la confidentialité dans tous les accords futurs sur la protection des données passés avec les Etats-Unis. (affaire swift). « Vous pouvez être certains que les droits fondamentaux, y compris la protection des données, seront tout en haut de ma liste », a-t-elle dit. En réalité, Mme Reding est allée encore plus loin, en déclarant qu’il y aurait une politique de tolérance zéro en ce qui concerne toutes les violations de la Charte des droits fondamentaux, désormais contraignante avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Viviane Reding a précisé qu’elle n’hésiterait pas à employer la manière forte et si nécessaire à lancer des procédures en manquement à l’encontre des Etats membres, même les plus gros. « Je n’ai pas peur de dire non », a-t-elle dit. Mon passé le démontre, a-t-elle poursuivi, rappelant sa bataille menée dans son précédent mandat sur le roaming et la surfacturation des communications transfrontalières par GSM. Elle a annoncé de nouvelles propositions pour le divorce transfrontalier, n’hésitant pas faire usage (avec regret) de la coopération renforcée avec les seuls états qui voudraient l’accompagner afin de contourner le veto de certains Etats membres (la Suède par exemple)
Dans sa déclaration d’intention, Mme Reding a aussi affirmé qu’elle publierait un Livre vert fin 2010 sur la liberté de circulation des documents civils transfrontaliers, l’idée étant de faciliter le mariage et le divorce par delà les frontières et de mettre fin à l’exequatur. C’est un problème de plus en plus important dans les 27 Etats membres. 20 % de tous les divorces de l’UE ont une dimension transfrontalière, a-t-elle argué, ajoutant que les documents légaux qui y sont liés, comme les droits d’héritage ou les actes authentiques sont confrontés à des problèmes similaires. Nous devons nous diriger vers un système de justice civile européenne, a-t-elle insisté.
Au cours de la dernière décennie, la justice a été négligée au détriment de la sécurité et le traité de Lisbonne permet dorénavant un équilibre, a déclaré la commissaire désignée à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté.
Mme Reding s’est prononcé en faveur d’un Erasmus des magistrats et des professions juridiques, d’une action très spécifiques en direction des populations vulnérables : minorités, (elle attache de l’importance au prochain sommet de Cordoue sur les Roms), personnes âgées, handicapés. A Sophie Int’veld qui l’interrogeait sur les homosexualités (LGBT) elle a répondu que les droits de l’homme constituait un tout et devaient s’appliquer de façon horizontale sans exception. Elle a rappelé à Mme Angelilli son action en matière d’alerte rapide pour les enlèvements d’enfants et le recours aux nouvelles technologies pour précisément lutter contre les réseaux pédophiles et sur ce point elle a reçu l’appui des professionnels. Elle fera rapidement des propositions pour lutter contre les abus sexuels et en matière des droits de l’enfant, elle compte bien associer les enfants eux-mêmes. L’initiative citoyenne ne fut pas oubliée : au préalable, il faudra bien définir ce sur quoi une initiative peut porter (une consultation citoyenne est en cours). Une initiative doit respecter les droits fondamentaux, par exemple il ne peut être question de faire une consultation sur la peine de mort dont l’interdiction est un acquis pour toujours.
Les questions des députés
Les députés des trois commissions parlementaires ont interrogé Mme Reding sur les actions qu’elle comptait entreprendre en tant de commissaire pour renforcer la protection des données et de la vie privée, celle des droits d’auteur, de faciliter les procédures de divorces transfrontaliers mais aussi les actions en matière de protection des minorités, de droits des enfants, de reconnaissance mutuelle des actes juridiques et de discrimination envers les femmes, la protection des consommateurs.
Simon Busuttil (PPE, MT) a souhaité que la commissaire présente des exemples concrets d’action dans le domaine des droits des citoyens. Mme Reding a répondu qu’elle s’attaquerait aux obstacles aux droits à la libre circulation, par des procédures d’infraction contre certains Etats membres si nécessaire. Elle a en outre souhaité agir dans le domaine de la justice civile, afin de réduire l’incertitude juridique lors des divorces transfrontaliers.
Claude Moraes (S&D, UK) a demandé comment Mme Reding entendait résoudre les conflits possibles avec le futur commissaire aux Affaires intérieures et intégrer la défense des droits fondamentaux aux autres politiques. Louis Michel (ADLE, BE) s’est interrogé sur les actions à entreprendre afin d’amener les Etats membres à respecter les droits fondamentaux. Viviane Reding a estimé que la Commission « a travaillé en équipe et continuera à le faire » et souligné que des études d’impact en matière de droits fondamentaux porteront sur chaque nouvelle proposition de la Commission. L’étude préalable de la conformité de toutes les propositions de la Commission au regard de la Charte des Droits fondamentaux concernera aussi le droit international, donc y compris sur le plan international. Elle a ajouté que la Cour de Luxembourg et celle de Strasbourg seront amenées à coopérer plus étroitement et le plus en amont possible après la signature par l’UE de la Convention européenne des droits de l’Homme, tâche qu’elle compte entreprendre sans retard.
Raül Romeva i Rueda (Verts/ALE) et Rui Tavares (GUE/NGL, PT) ont soulevé la question de la protection des données dans le cadre d’accords internationaux comme sur les transferts de données bancaires (SWIFT) ou de données relatives aux passagers aériens (PNR) avec les Etats-Unis ainsi que sur le possible recours aux scanners corporels dans les aéroports. « Vous pouvez être sûrs que les droits fondamentaux et la protection des données figureront en haut de mon agenda » a répondu Mme Reding. « Nous ne nous laisserons pas dicter des règles allant à l’encontre des droits fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme (…) notre besoin de sécurité ne peut justifier de violation du droit à la vie privée. Nous ne devons pas nous laisser diriger par la peur, mais par des valeurs ». Les contrôles justifiés doivent être moins intrusifs et le passage aux scanners corporels doit se faire sur une base volontaire.
Jacek Protasiewicz (PPE, PL) a demandé comment la Commissaire désignée entendrait faire fonctionner l’initiative citoyenne prévue par le traité de Lisbonne. Mme Reding a estimé que les conditions permettant de recourir à cette initiative devraient d’abord être clarifiées. « Nous ne pourrions par exemple accepter une initiative citoyenne sur la peine de mort, car cela irait à l’encontre des droits fondamentaux » a-t-elle expliqué.
En réponse à Rosario Crocetta (S&D, IT) sur Europol, Eurojust, la reconnaissance mutuelle et la saisie des biens de criminels, Mme Reding a déclaré qu’un éventuel parquet européen s’occuperait principalement des cas transfrontaliers graves. Si les traités permettent d’aller plus loin (que la simple protection des intérêts financiers de l’UE), il faut pour cela le soutien des Etats membres, a-t-elle ajouté et l’aide du Parlement européen qu’elle a demandé à plusieurs reprises tout au long de son intervention. Elle a par ailleurs souhaité que les Etats membres renforcent leur coopération contre la pédophilie, et estimé que la protection des victimes (droit des victimes) ne saurait être assurée « du bout des lèvres ».
Une législation pour les divorces transfrontaliers (cf autre information dans Nea Say…) »Allons de l’avant, n’attendons pas », même si le texte n’est pas appliqué par certains Etats membres, a déclaré la commissaire désignée en réponse à une question de Tadeusz Zwiefka (PPE, PL) sur une nouvelle législation sur les divorces transfrontaliers. Si elle a déclaré « ne pas aimer » le principe de la coopération renforcée, elle a estimé que celle-ci serait la seule façon d’avancer sur certains dossiers ou l’unanimité est impossible.
Equilibre entre droits industriels et droits des consommateurs : invitée par Bernhard Rapkay (S&D, DE) à commenter l’article d’un journal allemand la décrivant comme une ami des industriels européens, Mme Reding a répondu que l’industrie des télécommunications, avec laquelle elle a travaillé lors de son précédent mandat, pourrait ne pas partager cet avis. Elle a estimé qu’un équilibre devrait être trouvé entre les droits de l’industrie et ceux des consommateurs.
Reconnaissance mutuelle des actes juridiques, Raffaele Baldassare (PPE, IT) a demandé si Mme Reding comptait étendre le principe de reconnaissance mutuelle des actes juridiques au-delà des actes authentiques notariés. L’intéressée a estimé que l’extension des successions transfrontalières invitait à aller plus loin, mais qu’une consultation publique devrait d’abord avoir lieu.
Protection de la propriété intellectuelle, Lidia Joanna Geringer de Oedenberg (S&D, PL) a souhaité connaitre la position de la commissaire désignée sur la question de la défense de la propriété intellectuelle. Mme Reding s’est prononcée en faveur de nouveaux instruments de protection et non sur la seule répression. Elle a ajouté qu’une loi comme la loi française dite « loi Hadopi » n’avait pas sa place dans le droit européen.
Respect des traditions juridiques, Diana Wallis (ALDE, UK) and Sajjad Karim (ECR, UK) ont souligné le besoin de respect par la Commission des traditions nationales des Etats membres, parmi lesquels ceux ayant un système de « common law » dans l’élaboration du système européen de justice civile. Mme Reding a indiqué qu’elle tiendrait compte des 27 situations nationales. Elle a en outre souhaité formuler une proposition sur la méthode pour progresser.
Mme Reding a été appelée également à répondre aux questions de la commission du droit des femmes et de l’égalité des genres.
Congé de maternité, Marije Cornelissen (Verts/ALE, NL) s’est interrogée sur l’avenir du congé paternité. Mme Reding a répondu que la proposition de la Commission de porter de 14 à 18 semaines le congé maternité aurait des difficultés au Conseil, et que l’inclusion du congé paternité au texte pourrait le mener au blocage. (cf. articles de Nea say à ce sujet)
Ecart de salaire entre hommes et femmes, Edit Bauer (PPE, SK) a souligné la différence entre la législation et la pratique. Mme Reding a regretté qu’un écart de salaire de 17% perdure entre hommes et femmes malgré les mesures existantes, et ajouté qu’un instrument très important n’était pas utilisé, la stratégie européenne pour l’Emploi. Mme Reding a marqué son plein accord avec la députée et pris l’engagement que le prochain rapport et le prochain exercice à ce sujet intègrera bien cette dimension.
Combattre les violences faites aux femmes, après avoir souligné qu’elle a été appelée dans le passé à préparer pour le Luxembourg la conférence de Pékin, elle a estimé que l’arsenal de mesures juridiques devrait être renforcé, en réponse à Britta Thomsen (S&D, DK), qui a demandé si les violences faites aux femmes devraient être reconnues comme une infraction aux droits fondamentaux.
Réponses écrites de Mme Reding au questionnaire du Parlement européen (FR) http://www.europarl.europa.eu/hearings/static/commissioners/answers/reding_replies_fr.pdf
(EN) http://www.europarl.europa.eu/hearings/static/commissioners/answers/reding_replies_en.pdf