Ces questions nous devons nous les poser au moment où vient d’être lancée l’année européenne contre la pauvreté, au moment où Viviane Reding dans son audition au Parlement européen a indiqué qu’il n’y avait pas, à ses yeux, de place pour une loi Hadopi. Les auditions de Mme Kroes (société de l’information) et de Michel Barnier (Marché intérieur) montrent que le débat va inévitablement rebondir. De son côté, le premier ministre français, François Fillon, a présenté les grandes lignes du programme national pour le déploiement du très haut débit, avec notamment la création d’un fonds doté de 2 milliards d’euros, dans le cadre du grand emprunt. Il a évoqué également la mise en place d’un tarif social pour les abonnements à l’Internet, qui concernerait les personnes les plus modestes, à l’instar de ce qui se fait déjà pour le téléphone.
L’Internet appartient au quotidien de tous. Ce n’est plus seulement un moyen de télécharger des films ou de la musique, il permet d’être en liaison avec le monde extérieur. Les gens s’en servent pour payer leurs impôts, obtenir des formulaires administratifs ou trouver du travail. Au point que ceux qui n’y ont pas accès peuvent, d’une certaine manière, se sentir exclus de la société. Internet est aussi devenu un moyen de réduire certaines inégalités sociales, notamment dans l’éducation et l’accès à l’information. Beaucoup de parents s’en servent pour aider leurs enfants à faire leurs devoirs.
Certains en viennent à réclamer la mise en place d’un tarif social de l’Internet, afin qu’il puisse être proposé au plus grand nombre. L’Europe qui avait lancé dans le cadre du « paquet télécommunications » un débat sur la loi Hadopi (dossier législatif de la loi Hadopi http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/protection_penale_proplitt.asp et cg Nea say)
et aussi sur la pauvreté n’a pas encore fait le lien entre les deux. Il faut sans doute aller plus loin avec la mise en place d’un service universel, comme cela se fait déjà avec le téléphone dans certain pays, où chaque usager peut exiger l’installation d’une ligne et bénéficier de l’aide d’un fonds public, financé par les opérateurs, s’il n’a pas les moyens. Cela devrait être la même chose pour l’Internet, comme c’est le cas dans les pays nordiques, où les autorités se sont aussi engagées sur le niveau de débit fourni. Lors de l’audition de Michel Barnier au parlement européen, le commissaire désigné a été interrogé à plusieurs reprises sur sa conception du service universel.
Les opérateurs ne semblent pas fondamentalement hostiles à ce principe de service universel, même s’ils devraient s’acquitter d’une nouvelle taxe. Ils savent que c’est un moyen de drainer des clients supplémentaires. Mais l’obstacle est d’abord politique. La création d’un tel service entraînerait la fin des « lois Hadopi » (lire aussi infra : Vingt-deux propositions pour « l’après Hadopi ») contre le piratage, qui stipule que l’on peut couper l’accès à l’Internet. N’importe quel usager qui s’en trouverait soudainement privé pourrait en effet se retourner contre l’État, s’il s’agissait d’un service universel.
Vingt-deux propositions pour l’après-Hadopi rapport Zelnik http://www.la-croix.com/illustrations/Multimedia/Actu/2010/1/7/Rapportzelnic.pdf
Lancée il y a quatre mois, la mission « Création et Internet », confiée à Patrick Zelnik, PDG du label indépendant Naïve, Jacques Toubon (ancien ministre de la culture) et Guillaume Cerutti (PDG de Sotheby’s France), a remis mercredi 6 janvier son rapport au gouvernement pour améliorer l’offre légale de biens culturels sur Internet. Il préconise notamment la mise en place d’une « taxe Google », basée sur les revenus publicitaires générés sur le Net. Cette idée de taxation de Google, reprise en partie par le chef de l’Etat, donne lieu à un vaste débat qui ne peut rester désormais à l’intérieur de l’hexagone français.
Le ministre de la culture et de la communication, Frédéric Mitterrand, a rappelé dans son discours http://www.culture.gouv.fr/mcc/Espace-Presse/Discours/Discours-de-Frederic-Mitterrand-ministre-de-la-Culture-et-de-la-Communication-prononce-a-l-occasion-de-la-remise-du-rapport-de-la-mission-creation-et-internet
, en recevant le rapport le mercredi 6 janvier : la mission « Création et Internet » est née du « bouleversement de nos pratiques culturelles qui a provoqué le développement exponentiel d’Internet ». Adoptée par le Parlement au mois de septembre 2009 après nombre d’atermoiements, la loi Hadopi 2 a organisé la sanction du téléchargement illégal. En confiant cette mission de faire un rapport à Patrick Zelnik, le gouvernement entendait parallèlement ouvrir des pistes de réflexion pour développer l’offre légale de biens culturels sur Internet en sortant d’un modèle d’achat « souvent perçu comme complexe, voire prohibitif » et de l’utopie d’une « gratuité factice », a rappelé le ministre.
Une centaine d’auditions d’acteurs des secteurs de la musique, du livre, de l’audiovisuel et du cinéma ont permis de dégager 22 propositions. Pour la filière musicale, qui se trouve dans la situation la plus « dramatique », la commission propose la création d’une carte « Musique en ligne », d’une valeur de 50 €, pour inciter les jeunes internautes à se tourner vers le téléchargement légal. Pour le livre, secteur en pleine mutation, elle suggère d’étendre le prix unique au livre numérique, de défendre un taux de TVA réduit, et de créer pour les éditeurs une plate-forme unique de distribution des livres numériques. De plus, que ce soit pour les livres ou les films, elle préconise d’investir massivement dans la numérisation, dont le coût sera partiellement assumé par le grand emprunt national annoncé en décembre. Celle des films pourrait être soutenue par une redevance sur l’exploitation des films tombés dans le domaine public. Elle souligne aussi le soutien nécessaire à la vidéo à la demande (VOD) et souhaite que les films soient disponibles par ce canal plus rapidement après leur sortie en salles. Pour financer ces propositions, chiffrées à 50 millions d’euros pour 2010 (puis 35 à 40 millions pour les deux années suivantes), la mission a proposé la création d’une taxe sur les revenus publicitaires en ligne, qui concernerait les grandes sociétés (Google, Microsoft, AOL, Yahoo…).
Frédéric Mitterrand s’attend à ce que certaines de ces propositions suscitent « des réactions vives ». À commencer par celle de grandes firmes directement visées par le volet financier du rapport. S’agissant du milieu musical, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) a fait savoir dès la remise du rapport que « les solutions retenues (…) étaient clairement insuffisantes pour soutenir (…) un marché en transition affecté par une violente dégradation. » La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), de son côté, s’est dite « satisfaite » des propositions novatrices contenues dans le rapport.