Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l’homme, intervient pour la première fois dans le débat sur la garde à vue en France. Il souhaite que les États modifient leur législation sans attendre d’être condamnés par la CEDH. « Cessons de jouer à cache-cache avec la Cour européenne des droits de l’homme » nous dit son président
« Cessons de jouer à cache-cache avec la Cour européenne des droits de l’homme » nous dit son président. Il ajoute : « Sur les questions de société les plus épineuses, nous laissons en général une large marge d’appréciation aux États jusqu’à ce qu’un consensus politique se dégage au niveau européen. À partir du moment où une évolution juridique identique se dessine un peu partout, nous pouvons adopter une démarche proactive. En bref, la Cour ne crée pas un mouvement de façon artificielle et ex nihilo, elle l’accompagne. «
La Croix : Deux arrêts de la CEDH viennent de condamner la Turquie pour ne pas avoir permis la présence des avocats en garde à vue. Depuis, la polémique enfle en France. La chancellerie doit-elle se plier à cette jurisprudence et garantir, elle aussi, l’intervention des avocats à tous les stades de l’interrogatoire ? Jean-Paul Costa : La question est de savoir si les arrêts de la CEDH lient les États dans les seuls litiges qui les concernent ou s’ils s’imposent à l’ensemble d’entre eux. Aujourd’hui, les arrêts ne lient que ceux directement visés par la plainte.
Mais sans doute faut-il repenser ce dispositif et enjoindre aux pays européens de revoir leur législation quand un problème chez eux est analogue à celui identifié par la Cour dans un autre pays. Il faut cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l’homme.
Les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois. Cette question pourrait être l’une des pistes proposées le mois prochain à la conférence internationale d’Interlaken (Suisse).
Le nombre de requêtes déposées devant la Cour contre la France a baissé ces dernières années. Est-elle un bon élève ?
On peut le dire. Elle était le quatrième État le plus condamné il y a une décennie, elle n’est plus que le onzième aujourd’hui. Les requêtes ont baissé du fait de l’action du législateur, des juridictions et de l’exécutif, tous trois se montrant de plus en plus attentifs à la protection des droits de l’homme.
Il reste, bien sûr, des points noirs, et tout particulièrement concernant les conditions de détention. Dans ce domaine, plusieurs arrêts ont récemment visé la France. Mais ces affaires restent ponctuelles et, lorsqu’elle a été condamnée, elle s’est plutôt rapidement conformée à nos recommandations.
La CEDH a pris position sur la présence des crucifix dans les écoles italiennes, sur l’adoption par des personnes homosexuelles en France et pourrait – à l’avenir – se prononcer sur l’interdiction de construction de minarets en Suisse. Ne s’immisce-t-elle pas trop dans la vie des États ?
Les justiciables ont de plus en plus tendance à la solliciter pour régler les problèmes de société divisant les opinions publiques. Ils lui font jouer un rôle d’arbitre qui n’était pas forcément le sien au départ.
On peut se réjouir de la notoriété grandissante de la Cour mais cela lui octroie une très lourde responsabilité. Particulièrement en ce qui concerne la place de la religion dans la vie en société. Nous avons eu à nous positionner sur le port du voile à l’école en Turquie, sur les caricatures de Mohammed ou, plus récemment, sur la présence du crucifix dans les écoles italiennes. Ce n’est pas étonnant puisque la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît la liberté de religion.
Mais, étant donné la diversité des pays signataires de la Convention européenne des droits de l’homme (certains étant laïques, d’autres ayant une religion d’État, d’autres encore vivant sous un régime concordataire), il est difficile de trouver une solution harmonieuse.
Le problème se pose aussi concernant les droits des homosexuels. Du fait que certains pays leur reconnaissent de plus en plus de droits, faut-il exiger de l’ensemble des États européens qu’ils évoluent dans ce sens ou est-il préférable de laisser une marge d’appréciation aux législateurs nationaux ?
C’est l’une des questions les plus complexes à trancher.
Comment y faites-vous face ?
Sur les questions de société les plus épineuses, nous laissons en général une large marge d’appréciation aux États jusqu’à ce qu’un consensus politique se dégage au niveau européen. À partir du moment où une évolution juridique identique se dessine un peu partout, nous pouvons adopter une démarche proactive. En bref, la Cour ne crée pas un mouvement de façon artificielle et ex nihilo, elle l’accompagne.