Elle est enfin arrivée avec ses exaltations et ses angoisses, ses controverses aussi nous le verrons. Comme souvent elle est passée inaperçue de beaucoup, minimisée par d’autres. C’est la stratégie 2020 dont l’éditorial veut parler. Nous entrons dans une nouvelle période historique : après la crise violente, globale que l’Union européenne vient de subir, accompagnée d’une régression de plusieurs années en arrière, elle doit dire concrètement quelle va être sa nouvelle manière de vivre ensemble, ses objectifs et comment les atteindre, selon quelles règles. Une nouvelle culture du risque et de sa gestion, une nouvelle culture de la prévoyance dans un monde dans un profond changement.
Réunis à Bruxelles les 25 et 26 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement censés occuper la majeure partie du sommet européen aux discussions sur la stratégie 2020 l’ont réduit à la portion congrue, repoussant à juin une grande partie des décisions. Qu’importent les controverses (à trop long terme face aux urgences immédiates, trop complexe, pas assez détaillée, pas assez contraignante ou bien trop contraignante), l’heure de vérité est arrivée, c’est le moment d’agir a cru pouvoir dire la Commission en présentant son programme de travail pour l’année en cours. Pour l’essentiel sa proposition a été entérinée par les chefs d’Etat ou de gouvernement, certes subsistent des pudeurs terminologiques qui, par exemple, font préférer la lutte pour l’inclusion sociale à la lutte contre la pauvreté. Il est vrai le mot pauvreté écorche la bouche, mais c’est la réalité. Quelques chiffres doivent encore être fixés, des concrétisations plus affirmées doivent encore être adoptées pour assurer et mobiliser les acteurs, tous les acteurs. Mais le coup d’envoi a été bel et bien donné. Le succès se mesurera à la capacité qu’auront tous les acteurs à s’approprier cette stratégie 2020. Le Parlement européen semble vouloir s’approprier, au même titre que les autres, la stratégie 2020 : il s’organise de façon inédite en vue de rendre son avis (une deuxième résolution) avant le sommet de juin. C’est désormais une « ardente obligation » pour reprendre une expression restée longtemps célèbre du général de Gaulle parlant du plan et de la planification à la française. Un plan dont le maître d’œuvre incomparable, Pierre Massé, disait qu’il était « réducteur d’incertitudes » et que l’essentiel n’était pas d’avoir un plan, comme on détient une relique ou un talisman, mais « de le faire ». C’est en « faisant » que les informations s’échangent, que le dialogue se noue et que les énergies se mobilisent.
Ce coup d’envoi de la stratégie 2020 coïncide avec la parution d’un document salué comme étant du plus haut intérêt, celui du think tank Notre Europe (1) consacré au partenariat Europe et Etats-Unis. Là encore c’est l’heure de vérité. Les deux sont liées : il est difficile pour les Etats-Unis de faire de la relation avec une Europe divisée, nombriliste, à la traîne, une priorité. Pas de partenariat avec les Etats-Unis sans une stratégie 2020 forte, mobilisatrice, bref réussie. A la décharge de l’Union européenne, disons que les Etats-Unis et son président ont peut-être un peu trop rapidement conclu que traité de Lisbonne ou pas, décidément les européens sont indécrottables et qu’on ne s’en sortirait pas à les traiter comme un « acteur global ». A l’Union européenne de les convaincre du contraire et dissuader les Etats-Unis de jouer avec les divisions européennes et d’avoir une politique une politique cohérente : les Etats-Unis ne peuvent plus, selon une tradition établie de longue date, être agacés au plus haut point par l’inconsistance d’une Europe divisée et d’autre part entretenir ces mêmes divisions ;
Sortir de la crise, refonder sur des bases totalement nouvelles le partenariat avec les Etats-Unis ont l’un et l’autre des vertus communes pour nous européens : accepter, enfin, de partager notre souveraineté et parler d’une seule voix, vraiment d’une seule voix. Notre Europe le dit clairement les Européens doivent accepter de reprendre le chantier de leur unification politique, elle seule est susceptible d’être prise au sérieux par Obama. Divisée l’Europe ne compte pas. La solidarité collective, la recherche de l’intérêt général, la construction des souverainetés partagées doivent l’emporter définitivement sur la montée en puissance des intérêts particuliers et les prérogatives les moins justifiables des Etats. En d’autres termes, c’est ce à quoi appelle la Stratégie 2020. Les opportunités d’action ne manquent pas. L’Europe ne manque ni d’atouts, ni d’arguments rappellent Notre Europe. Un dernier conseil salutaire de Notre Europe : ne pas fonder son action, ni sur le force des armes comme a tendance parfois à le penser les Etats-Unis, ni sur la magie des mots comme le pensent trop souvent les européens. Plus rien, même les choses les moins contestables n’est indispensable, nécessaire, efficace, intangible. Les certitudes de la construction européenne sont ébranlées ce qui ne veut pas dire qu’elles vacillent, simplement qu’elles demandent à être consolidées avec de nouvelles pierres apportées à l’édifice. L’urgence s’impose, si non l’Europe se verra imposer bien des épreuves et bien des servitudes dont elle a perdu le souvenir pour peu qu’elle les ait connues.
« Partenariat Euro-Américain. Une nouvelle approche » est absolument à lire. La lecture n’est ni longue, ni désagréable. Une fois de plus Nicole Gnesotto a su exprimer avec clarté la complexité, avec clarté et avec un bonheur dans l’écriture assez rare. Une réserve cependant : l’ombre portée de la guerre froide est encore trop présente malgré les efforts faits pour s’en éloigner. L’OTAN est encore trop souvent évoqué : certes, aujourd’hui, la disparition de l’OTAN créerait plus de problèmes que son seul maintien n’en pose. Mais les nouveaux équilibres financiers, commerciaux et économiques ont ouvert la brèche pour des transformations qui sont déjà à l’œuvre et vont se traduire par une diminution de la puissance américaine, même si elle restera un des pôles majeurs de cette nouvelle configuration. Il est temps de réfléchir à « l’éloignement cordial » des Etats Unis et de l’alliance atlantique qu’ Yves Boyer pressent comme inéluctable, même s’il n’est pas immédiat (« Vision américaine de l’OTAN » Fondation pour la recherche stratégique). Les Etats-Unis, le moment venu, n’hésiteront pas à en prendre l’initiative. Trop de choses du passé encombrent encore l’analyse, trop de choses concernant le futur n’ont pas encore pénétré l’analyse. Ainsi il est frappant de constater que des éléments sont absents malgré le fait qu’ils aient dominé (empoisonné diront certains) avec constance les relations entre européens et américains au cours de ces dernières années : le lecteur ne trouvera rien sur les leçons à tirer des conflits âpres sur la protection des données personnelles, la conception de la vie privée, les affaires Swift, PNR, Acta, les vols secrets et prisons secrètes de la CIA. Ce sont plus que de simples anecdotes. Il suffit de constater la mobilisation par les Etats-Unis de toute sa capacité d’influence qui est grande pour empêcher le Parlement européen de « ratifier » l’accord concernant le transfert des données bancaires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, dit « accord Swift ». Des enseignements sont à tirer incontestablement.
(1) Partenariat Euro-Américain. Une nouvelle approche (FR) http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/Etude75-PartenariatEuro-Am_ricain-fr.pdf
(2) (EN) http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/Etude75-EU-US_Relations-en.pdf
Groupe de réflexion :Romano Prodi, Guy Verhofstadt (co-présidents), Jezy Busek, Etienne Davignon, jacques Delors, Joshka Fischer, Paavo Lipponen, Tommaso Padoa-Schioppa
Rapporteur : Nicole Gnesotto