Une démarche de défiance, défiance à l’égard des juges nationaux et européens, des communautés immigrées, défiance qui traduit aussi un certain désarroi. Pourquoi « criminaliser » l’immigration, son efficacité est douteuse et le climat qu’elle crée est détestable. Le projet de loi crée une interdiction de séjour sur le territoire européen d’une durée maximale de cinq ans pour les étrangers expulsés ainsi que des « zones d’attente temporaires » ad hoc en cas d’arrivée d’un groupe d’étrangers en dehors de tout point de passage frontalier. Il institue des sanctions administratives et judiciaires contre les employeurs d’étrangers en situation irrégulière. Par ailleurs, il crée une « carte bleue européenne », de trois ans renouvelable, pour les travailleurs hautement qualifiés. Il institue une « charte des droits et des devoirs » que devra signer tout étranger accédant à la nationalité française.
L’attitude française (comme d’autres) n’est pas de son temps, à l’heure où l’on voit l’organisation américaine IPC( Immigration Policy Center)publier régulièrement Etat par Etat l’apport des « non americans » à l’économie américaine et la perte que représenterait le départ de ces « non americans » , illégaux en très grosse majorité. http://www.immigrationpolicy.org/sites/default/files/docs/DHS_Progress_Report_-_030210.pdf http://webmail.skynet.be/page.html?action=viewmessage&message_id=67482&thisfolder=INBOX
Les principales dispositions du texte : le projet de loi crée une interdiction de séjour sur le territoire européen d’une durée maximale de cinq ans pour les étrangers expulsés ainsi que des « zones d’attente temporaires » ad hoc en cas d’arrivée d’un groupe d’étrangers en dehors de tout point de passage frontalier. Il institue des sanctions administratives et judiciaires contre les employeurs d’étrangers en situation irrégulière. Par ailleurs, il crée une « carte bleue européenne », de trois ans renouvelable, pour les travailleurs hautement qualifiés. Il institue une « charte des droits et des devoirs » que devra signer tout étranger accédant à la nationalité française. Ces mesures se veulent la transposition des trois directives européennes correspondantes (directive du retour, de la lutte contre le travail au noir et la carte bleue européenne dont Nea Say a rendu compte lors de leur adoption). Les mesures veulent unifier le cadre juridictionnel au bénéfice apparent du juge administratif à l’occasion de ce qui est présenté comme une réorganisation. Faute de pouvoir créer une juridiction unique, le projet de loi réorganise donc l’intervention des deux juges en inversant le moment où ils statuent. « Il s’agit, explique M. Besson, de clarifier et de rendre plus cohérente l’intervention des deux juges. » Le juge administratif, qui se prononce sur la légalité de la mesure d’éloignement, interviendra avant le JLD, garant des libertés fondamentales. Mais fait-on observer, cette réorganisation se fait au prix d’une des prérogatives du juge judiciaire ce qui fragilisera le dispositif lorsqu’il sera examiné au niveau européen les analogies avec d’autres dossiers ne manquent pas. L’intervention du JLD, qui se prononce sur le maintien des étrangers en rétention mais aussi, en amont, sur la légalité de l’interpellation de la personne, sa garde à vue et le respect de la notification de ses droits, est repoussée : il sera saisi cinq jours après le placement en rétention – contre quarante-huit heures actuellement – avec obligation de statuer dans les vingt-quatre heures. L’administration disposera, elle, en revanche, d’un délai plus long (six heures au lieu de quatre), pour former un recours suspensif contre une décision du JLD de remise en liberté d’un étranger. Garde à vue comprise, un étranger pourra ainsi être privé de liberté pendant une semaine sans voir un juge. Quid de la jurisprudence créée par l »arrêt Medvedev de la CEDH (cf. autre article dans Nea Say) ? Le juge judiciaire pourra aussi prolonger la rétention de vingt jours au lieu de quinze aujourd’hui. Délai qui pourra encore être augmenté de vingt jours.
La durée maximale de rétention passe ainsi de trente-deux à quarante-cinq jours. Pourtant, comme le rappelle la Cimade, association présente en centres de rétention, la durée moyenne de rétention, en France, ne dépasse pas dix jours et demi. « Beaucoup d’étrangers sont expulsés en moins de quatre à cinq jours, notamment les personnes ayant un passeport, ou celles qui, sous procédure Dublin II, sont renvoyées dans le premier pays européen de l’espace Schengen qu’ils ont foulé, relève toujours la Cimade. Désormais toutes ces personnes pourront être expulsées sans être passées devant le JLD, qu’il y ait, ou non, irrégularité de la procédure. »Par ailleurs, le projet de loi restreint le champ de contrôle du juge judiciaire. Certaines irrégularités de procédure qui justifiaient jusqu’ici des remises en liberté, pourraient ne plus être invoquées. En conclusion pour beaucoup de magistrats, ce projet de loi est inspiré par un esprit de défiance à l’égard du juge judiciaire. Il cherche soit à éviter le passage de l’étranger devant le JLD, soit à limiter son pouvoir de contrôle. C’est une atteinte grave aux libertés fondamentales.
Alvaro Gil-Robles et Thomas Hammarberg, l’un après l’autre commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Louise Harbour ancienne commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, ont fortement critiqué cette tendance à la criminalisation des législations sur l’entrée et le séjour irréguliers des migrants en Europe. Cette criminalisation, le plus souvent présentée comme une méthode de maîtrise des flux migratoires, porte atteinte, selon eux, aux principes du droit international, elle est aussi à l’origine de nombreuses tragédies humaines sans pour autant atteindre sa finalité, qui est de maîtriser réellement l’immigration. Nea say a régulièrement fait état des prises de position du commissaire au droits de l’homme du Conseil de l’Europe. La rétention-détention deviendrait peu à peu la règle au lieu d’être l’exception.
Autre sujet d’inquiétude, « la peine de bannissement laissée à la discrétion de l’administration, il consacre un recul du contrôle du juge sur les actes de l’administration et il maintient le délit de solidarité malgré les apparences. Le projet de loi préconise de prononcer une interdiction de revenir sur le territoire pour une durée de deux ou trois ans, voire cinq ans, avec l’idée que cette « peine » dissuadera d’un séjour sans permis. Comme si cette interdiction pouvait être plus forte que le besoin vital de retrouver famille et enfants ou d’empêcher des déboutés de l’asile, expulsés, de revenir après l’expérience de persécutions persistantes dans leur pays d’origine. En instituant cette interdiction de revenir, on crée une nouvelle « double peine » fait observer le mouvement associatif. On imagine aisément les situations inextricables, voire dramatique que cela pourra générer sans pour autant garantir une meilleure gestion des flux migratoires: cette « peine » de bannissement pourra être prononcée par les préfectures de manière discrétionnaire contre tout étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. On imagine le drame qu’une telle « sanction » provoquera pour des couples dont un conjoint est frappé d’une telle interdiction du territoire européen.
Chacun a gardé en mémoire l’histoire, récente, des Kurdes arrivés par la Corse et placés en centre de rétention qui ont été libérés par les juges des libertés en raison des vices de procédure commis lors de leur arrestation. Plutôt que de donner des consignes strictes pour que les procédures soient désormais respectées, le projet de loi préfère modifier les règles. C’est ainsi que les zones délimitées à proximité des frontières et lieux de débarquement, appelées « zones d’attente », dans lesquelles les droits sont restreints, seraient étendues du lieu de la découverte de l’étranger jusqu’au poste frontière le plus proche. Ces zones de « non-France », où les droits sont très limités, pourraient ainsi s’étendre sur décision administrative à n’importe quel endroit du territoire ! Les rôles sont renversés: ce ne sont plus les actes de l’administration qui sont placés sous contrôle, ce sont ceux des magistrats !
Comme Nea say l’a relaté à plusieurs reprises, l’opinion publique est très majoritairement hostile aux poursuites fondées sur le délit de solidarité, cette incrimination de personnes qui portent assistance de manière humanitaire aux étrangers en situation irrégulière en France. Le ministre s’était engagé à modifier la loi pour faire disparaître cette incrimination des personnes accomplissant des actes de solidarité. Or ce qui est préconisé dans le projet de loi laisse subsister le délit et l’apparente ouverture se limite toujours à la situation de « danger actuel ou imminent », ce qui écarte l’action d’aide simplement humanitaire.
Une attitude « raisonnable » doit s’imposer. Des voix diverses, débordant largement les clivages politiques habituels s’élèvent pour réclamer un audit général, le chiffre des expulsions réalisées ou recherchées ne peuvent l’objectif, la mesure de toute chose. Après beaucoup d’autres on ne peut que déplorer l’absence d’analyse d’impact. Quelle est l’ampleur exact des flux migratoires ? Le rôle de l’immigration comme frein au vieillissement de la population ? Quel est l’impact démographique sur le peuplement et l’occupation du territoire ? Les conséquences sur les salaires et les comptes sociaux ? Y-a-t-il une réelle alternative à l’intrusion croissante du judiciaire et déclin des autorités nationales en faveur d’une gouvernance européenne que dénonce un peu rapidement la démographe Michèle Tribalat dans son livre « Les yeux grands fermés : l’immigration en France » (Ed. Denoël) ? Les conséquences de l’intégration des migrants en situation régulière qui sont les laissés pour compte des politiques., etc…Il ne sert à pas grand-chose d’empiler des textes multiples, contradictoires aux interprétations contradictoires, inappliquées parce que inapplicables. Un audit général devrait enfin, on peut l’espérer, permettre de bien saisir ce qui fait réellement problème dans l’immigration : le phénomène lui-même ou les politiques pratiquées ? Sans doute un peu les deux. Il est temps d’évaluer une politique à l’aune de ses résultats et sur la longue durée, une petite décennie.