Premier constat : il faut discuter avec les communautés musulmanes sur leurs demandes. Ce qui n’implique pas de céder sur tout. Dix mois faits d’atermoiements, revirements. Aucun fondement juridique incontestable. La dignité serait le seul fondement valable mais cette notion n’est pas définie dans la Constitution fait remarquer le Premier ministre, mais il oublie (ou ignore) que la dignité de l’homme est l’article 1 de la Charte européenne des droits fondamentaux.
Apparait un nouveau délit si le port du voile est imposé par la violence, l’abus de pouvoir ou l’autorité, passible de lourdes peines. Cette peine clarifierait l’intention du législateur : la loi ne serait pas faite pour protéger la société française, mais bien les femmes et leurs droits. Mais la législation nationale et européenne est assez largement complète à cet égard, qu’il s’agisse de la loi nationale ou européenne, seule l’application laissant à désirer. L’exécutif a choisi la mesure la plus claire et la plus lisible pour l’opinion publique, mais est-ce la formule la plus applicable ? Un espoir : la période de médiation. Le consensus républicain sera-t-il compatible avec la procédure d’urgence, notion éminemment extensible ou réductible selon les exigences politique du moment. Tous les camps, toutes les familles sont divisés. La Cour européenne des droits de l’homme tranchera-t-elle en dernière ressort ? Nous savons dans quel sens elle le fera, mais nous savons aussi qu’une telle procédure n’interviendra que dans des délais assez longs, ménageant ainsi toutes les susceptibilités.
Un rapide retour en arrière pour retracer les étapes principales.
« La Burqa n’est pas la bienvenue sur le territoire de la République. Ce n’est pas l’idée que la République se fait de la dignité de la femme ». Voilà ce qu’affirmait Nicolas Sarkozy devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 22 juin 2009. Depuis, la classe politique, le chef de l’Etat, le Premier ministre, les autorités judiciaires, morales et religieuses ont beaucoup peiné à mettre en place un cadre législatif, concernant le port du voile intégral, conformément aux valeurs républicaines et laïques de la France. En février 2010, Jean-François Copé dépose une proposition de loi interdisant le port du voile intégral dans tout l’espace public. Le président du groupe UMP de l’Assemblée nationale supplante la mission parlementaire d’information sur le port du voile intégral, présidée par André Gérin, et rapportée par Eric Raoult du groupe majoritaire UMP à l’Assemblée nationale. Le 21 avril, Nicolas Sarkozy tranche en faveur d’un projet de loi d’interdiction générale sur le territoire national. Assumant de passer outre l’avis du Conseil d’Etat qui, le 30 mars dernier, avait estimé qu’une interdiction générale ne pourrait trouver « aucun fondement juridique incontestable » et préconisé de limiter l’interdiction aux seuls lieux publics. Le projet de loi sera présenté le 19 mai prochain en conseil des ministres.
La crainte d’une éventuelle colère du monde musulman tant sur le plan national que sur le plan internationale et diplomatique hante certains. Cette question s’était déjà posée lors de l’interdiction du port du voile à l’école. Pourtant, aucunes représailles à constater. Alors que la Belgique a déjà voté l’interdiction de la burqa (bien que non nommée) dans tout espace public et qu’une femme italienne vient d’être condamnée à payer une amende de 500 Euros pour avoir porté le voile intégral, comment la France compte-t-elle légiférer sur cette problématique qui mêle droits de la femme, laïcité, liberté de culte ? Liberté de culte mais les théologiens musulmans font remarquer qu’il ne s’agit pas d’une pratique religieuse….Les exigences de la sécurité sont également évoquées.
Pour éviter de stigmatiser une religion, où mettre les limites ? car il est clair qu’on ne peut tout admettre et tout laisser faire . Difficile de répondre, l’important, c’est de traiter ces questions de façon non discriminatoire. Peut-on l’aborder dans un esprit pragmatique, autour d’un concept mis au point au Canada, celui d’accommodement raisonnable ? Cela signifie accepter la légitimité de l’autre et se poser la question du bout de chemin que chaque partie peut faire pour trouver une solution qui favorise le vivre ensemble. Les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances : peut-on dispenser un jeune motocycliste sikh du port du casque car incompatible avec le port du turban ? Et qu’en est- il dans la pratique de la burqa? Un accommodement est-il possible dans un tel climat de méfiance exacerbée ? Il pourrait sembler légitime d’exiger que les visages des personnes circulant dans l’espace public soient visibles. Mais l’interdiction ne doit pas discriminer l’islam: ce n’est pas en tant que symbole religieux ou au nom de l’égalité homme-femme que la burqa mérite d’être proscrite. Mais au nom de la sécurité publique et du vivre ensemble avancent d’autres personnes. Sortir le visage couvert, que ce soit d’une cagoule ou d’un voile, n’est pas très rassurant et ne favorise pas la coexistence. Mais l’argument de la sécurité n’est pour l’instant pas retenu par le législateur, ni le Conseil d’Etat.
La solution, quelle qu’elle soit, doit responsabiliser et ne doit pas pouvoir être interprétée comme une mesure d’exclusion. Tout cela n’est-il pas faire la part trop belle aux intégristes de tout bord ? Tout ce débat n’aurait pas lieu sans ce climat d’islamophobie argumentent d’autres intervenant mais la réplique apparait immédiatement : tout ne va pas bien au sein de l’islam européen. Il y prévaut notamment une lecture très littérale du Coran, qui ne favorise ni la modernité ni l’intégration pourtant existent des approches religieuses novatrices, compatibles avec l’égalité des genres, la pluralité religieuse et le respect de l’individu mais elles restent méconnues et ne bénéficient pas de la notoriété acquise par certains penseurs minoritaires à qui l’on fait trop facilement de la publicité. Certains analystes admettent qu’il y a dans l’islam contemporain un vrai défaut de débat, de reconnaissance de la diversité interne et de dialogue. C’est un des défis qu’il doit affronter: le pluralisme intracommunautaire. Que dire du terme de djihad, trop rapidement traduit par « guerre sainte » ? Une ambiguïté sur ce plan doit être levée.
Débat d’une complexité rare qui se double des problèmes de la tactique politicienne du moment : en France, pour l’opposition socialiste comment marquer à la fois leur réprobation du voile intégral et leur différence, voire leur défiance, avec le gouvernement ? Comment dire non au voile intégral sans dire oui au gouvernement ? Au bout du compte quelle position réaliste et pratique trouver afin de ne pas faire aux intégristes des deux bords le cadeau d’une annulation du texte par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des Droits de l’homme? Comment cesser d’alimenter la machine infernale qui est en train de se construire entre stigmatisation et ressentiment victimaire ?