Comme souvent dans l’histoire de la construction européenne, c’est bien à l’heure des crises majeures que les Etats sont prêts à bouger et bougent. Des propositions anciennes de la Commission ressortent des tiroirs, quittent les limbes où elles semblaient être condamnées à rester dans l’indifférence, sans excès d’honneur comme sans excès d’indignité. Or en très peu de jours nous venons d’être les témoins de propositions présentées dans un temps record et de décision à haut niveau politique : mécanisme européen de stabilité financière, possible instrument de gestion de crise par exemple, gouvernance économique de la zone euro.
Certes comme l’a souligné à plusieurs reprises Michel Barnier, le temps politique et démocratique n’est pas celui des marchés et de la spéculation, ce dernier évolue à la vitesse de la nanoseconde quand le rythme politique, exceptionnellement, peut-être de l’ordre d’un week end ou d’une nuit sans sommeil. Des impatiences subsistent mais prenons les comme telles.
Les difficultés, énormes, existent , il ne sert à rien de les cacher (et d’ailleurs comment les cacher), mais ne perdons pas de vue que la mise en place de la gouvernance économique de la zone euro représente une transformation radicale de l’Union européenne. Mettre exclusivement l’accent sur les difficultés, réelles, les obstacles, les lenteurs, relatives, les divergences et les oppositions, les maladresses dans la hâte du moment, les polémiques aussi vite allumées qu’elles s’éteignent d’elles mêmes, revient à méconnaître gravement la signification et la portée de l’évolution en cours, une évolution que l’on a pu qualifier de considérable ou d’historique au lendemain, par exemple, de la décision des 9/10 mai. Ce qui apparait maintenant comme assez largement acquis est énorme.
Se confirment semaine après semaine la réforme du cadre réglementaire des services financiers et de leurs acteurs, l’exigence de gérer en commun l’économie, de se concerter efficacement et à temps en matière budgétaire, l’objectif de faire supporter au secteur financier les coûts des ses comportements erratiques excessifs….tout cela est une authentique révolution. Il y a quelques mois cela relevait du rêve ou du délire. Or constatons que des mesures opérationnelles sont déjà prises ou en cours d’élaboration et il ne faut guère s’attarder sur certaines mesures nationales (qui vont dans le bon sens même si aujourd’hui encore elles soulèvent des réticences ou plus comme la suspension en Allemagne des ventes à découvert de certaines catégories d’obligations en attendant les règles communautaires comme l’a annoncé Michel Barnier pour octobre prochain. Il a d’ailleurs calqué son tableau de marche sur les engagements du G20 : il a fait distribuer à la presse un tableau synoptique que les journalistes auraient été bien inspirés de présenter à leurs lecteurs et de commenter.
Il faut a aussi souligner combien les transformations en cours dépassent ce qui relève strictement du domaine financier et monétaire ou budgétaire et fiscal. Nous sommes entrés dans le domaine du politique : l’Europe vient d’effectuer une percée politique, vers plus de solidarité transnationale, une percée qu’il reste à confirmer. Ironie de l’histoire ce que l’on attendait traditionnellement des Institutions et de leur modernisation surgit aujourd’hui des graves difficultés du moment et ce n’est pas la première fois dans l’histoire des peuples européens.
Dans tout cela quel est le rôle des institutions rénovées, plus ou moins six mois après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ? Il reste assez modeste, même si raisonnablement on admet que c’est « un plus » et, qu’à tout prendre, elles ont bien fonctionné et qu’à aucun moment ils n’ont été un obstacle ou un frein. Le 10 mai au matin de ce que Cohn-Bendit a qualifié de « nuit du 4 août » en référence à un épisode historique emblématique de la Révolution française, les observateurs diligents de la chose européenne on pu entendre Alain Lamassoure littéralement exulter (« je me délecte) au vue des informations sorties de la nuit écoulée. Alain Lamassoure,( président de la commission des budgets, ancien conventionnel dont il reste un des meilleurs historiens) faisait observer qu’on faisait qu’on allait faire tout ce que l’on s’était interdit de faire, car, n’est-ce pas, les traités ne le permettaient pas….Il en prenait bonne note et donnait les rendez-vous du futur. Le président de la Commission comme celui du Conseil européen, Hermann van Rompuy, s’accordent pour dire que tout, ce que l’on veut faire, peut fait et doit faire, tout cela peut être entrepris et réalisé à Traités constants. N’ouvrons pas la boîte de Pandore d’une nouvelle révision des traités. La qualité des hommes, leur engagement est supérieur à la qualité des textes de traités.
Pour terminer rapidement ce bilan, disons que le président du Conseil européen a su rapidement prendre sa place, tout sa place, mais pas plus ; indiquer très clairement à ses partenaires comment il entendait jouer son rôle. Il a ainsi confirmé que l’homme malade de l’Europe ce n’étaient ni la Commission, ni le Parlement européen, mais le Conseil européen. Au bout du compte, ni le Parlement européen, ni la Commission ne pâtissent de l’apparition de ce nouveau personnage : elles reçoivent un surplus d’efficacité, de détermination et de continuité cohérente dans l’action. Les trois institutions au travers de leur président respectif se fréquentent de façon assidue, sur une base quasi hebdomadaire, même si elle reste assez largement informelle. Une seule ombre au tableau : la discrétion, pour ne pas dire plus, des parlements nationaux. Le débat naissant sur la politique budgétaire devrait leur fournir une occasion en or pour s’insérer dans le débat européen et rebondir. Ils auraient grand tort de borner leur attention sur ce qu’apporte le Traité de Lisbonne et de se dire : j’ai un carton dans ma poche, que je peux brandir et stopper pour un temps le processus législatif. C’est une vision réductrice de leur rôle, les parlements nationaux doivent prendre à bras le corps les débats tels qu’ils surgissent du Parlement européen, les relayer et les amplifier. Les parlements nationaux sont les plus proches des citoyens européens et des autres élus, régionaux ou locaux.