Europe sociale : elle existe, on l’a rencontrée à Strasbourg le 16 juin dernier (temps de conduite des routiers. Mais que de péripéties incroyables ! la preuve d’une démocratie européenne animée, bien vivante.

Le Parlement européen a dû se positionner sur un enjeu de taille: faire avancer les choses sur le terrain de l’Europe sociale, ou bien les faire reculer… C’est une petite révolution qui a eu lieu avec le vote sur le rapport de Mme Bauer (PPE, Slovaquie) concernant l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier.

 

En un mot : la règlementation sur le temps de travail doit également s’appliquer aux routiers indépendants. Les conducteurs d’autocars et les routiers indépendants doivent être soumis aux mêmes règles en matière de temps de travail que ceux employés par les entreprises, selon l’Assemblée plénière, qui a confirmé le vote de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement.

Une majorité de députés a rejeté, le 16 juin, la proposition de la Commission européenne visant à exclure les conducteurs indépendants de la législation actuelle sur le temps de travail dans le domaine du transport. Avec 368 voix pour, 301 contre et 8 abstentions, la plénière a confirmé le vote de la commission de l’emploi et des affaires sociales du 28 avril, pour mettre fin à cette exemption, citant des arguments de santé et de sécurité des conducteurs, de sécurité routière et de concurrence équitable. Après ce vote, la Commission européenne a annoncé qu’elle analyserait « toutes les options possibles, y compris le retrait de la proposition ». Le Parlement a donc confirmé sa position par un vote sur la résolution législative, adoptée par 383 votes pour, 263 contre et 23 abstentions.

Le rapporteur Edit Bauer (PPE, SK) ainsi qu’une majorité de députés des groupes PPE, ADLE et ECR soutenaient, au contraire, l’approche de la Commission européenne, concluant qu’il n’était pas nécessaire d’inclure les conducteurs indépendants dans le champ d’application de la directive mais qu’il fallait plutôt régler le problème des « faux indépendants », c’est-à-dire les conducteurs qui ont officiellement un statut d’indépendants mais ne sont pas libres d’avoir des relations commerciales avec plusieurs clients.  « Les conducteurs indépendants sont d’ores et déjà soumis au règlement 561/2006 sur le temps de conduite » et « dans aucun autre secteur d’activité, les travailleurs indépendants ne sont actuellement soumis à des limitations du temps de travail », ont-ils argumenté.

Un peu d’histoire et pas mal de péripéties

Les conducteurs indépendants étaient temporairement exclus de la législation actuelle sur le temps de travail dans le domaine du transport par route mais devaient être soumis à ces règles à partir du 23 mars 2009 sauf si la Commission publiait une proposition avant cette échéance. La Commission européenne a publié une proposition en octobre 2008, concluant qu’il n’était pas nécessaire d’inclure les conducteurs indépendants dans le champ d’application de la directive. Le vote du 16 juin rejette cette proposition.

Les conducteurs indépendants seront donc soumis aux mêmes règles que ceux qui sont employés par les entreprises. La directive 2002/15/CE couvre le temps de travail des activités de conduite, mais également d’autres activités telles que le chargement et le déchargement, l’assistance aux passagers, le nettoyage et l’entretien, les formalités avec les autorités policières, douanières, etc. Elle fixe une limite hebdomadaire de 48h par semaine en moyenne, qui peut être portée à 60h par semaine, à condition que la moyenne des 48h par semaine sur une période de 4 mois ne soit pas dépassée.

En effet, en octobre 2008, la Commission européenne a proposé d’exclure définitivement les chauffeurs routiers indépendants du champ d’application de la directive de 2002 sur le temps de travail.

Dans un premier temps, la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales du Parlement européen avait rejeté cette proposition, considérant qu’on ne pouvait pas exclure tous les conducteurs indépendants du champ de la directive. Mais lors du vote en plénière, en mai 2009, le Parlement a refusé de valider la position de sa Commission, et un nouveau rapport a alors dû être rédigé.

En septembre dernier, Mme Bauer, nouvellement désignée comme rapporteur sur ce sujet, proposait à la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales de maintenir sa position de rejet de la proposition de la Commission européenne, afin de voir si le Parlement dans sa nouvelle composition, issue des élections du mois de juin, était prêt à faire avancer les choses sur le terrain de l’Europe sociale. Mais après un débat acharné en Commission, et au grand désespoir de la gauche et des Verts, Mme Bauer fut désavouée à une voix près (24 pour, 25 contre). Après cet accident de la route, elle a donc été chargée de rédiger un nouveau rapport.

Le 28 avril dernier, le nouveau rapport de Mme Bauer a été discuté en Commission de l’Emploi et des Affaires sociales. Elle proposait cette fois-ci d’exclure les chauffeurs routiers indépendants du champ de la directive temps de travail, mais avec une précaution. En effet, depuis l’exclusion des indépendants de cette directive en 2002, dans un certain nombre de pays est apparu le phénomène des « faux indépendants »: les entreprises demandaient à leurs chauffeurs de prendre le statut d’indépendants pour échapper à la directive, mais en réalité ces chauffeurs restaient sous l’autorité d’un seul et unique « client ». Elle proposait donc de poser une définition claire et précise des « faux indépendants » qui eux devaient entrer dans le champ de la directive.

Mais la Commission emploi a pris un nouveau virage: cette fois-ci, une partie de la droite française et espagnole ainsi que des libéraux se sont alliés à la gauche et aux écologistes pour demander de nouveau le rejet de la proposition de la Commission, considérant que quelque soit son statut, un chauffeur fatigué était un chauffeur dangereux sur la route, et que les mêmes règles de santé et de sécurité au travail devaient s’appliquer à tous les chauffeurs.

C’est finalement cette position qui a été retenue par le Parlement, à l’issue d’une séance de vote plutôt houleuse: 368 députés ont voté pour le rejet de la proposition de la Commission et 301 contre, et 383 ont voté en faveur de la résolution législative demandant l’inclusion de tous les indépendants dans la directive temps de travail, 263 contre.

Texte de la Résolution (FR) (EN)

 

Texte de la Proposition de la Commission  (FR)  http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0650:FIN:FR:PDF

 

(EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0650:FIN:EN:PDF

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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