Le journal le Temps rapporte dans le détail une affaire assez exemplaire et riche d’enseignements. Le Parti radical a déposé un projet de loi visant à interdire le port «costume religieux» dans l’espace public. Les différentes communautés réagissent à l’offensive avec force.
Un canton de Genève sans religieuses avec l’un de leurs innombrables vêtements, sans prêtres en soutane, et surtout, sans femmes portant la burqa ou le niqab. Voilà à quoi aspirent les radicaux genevois, qui ont déposé un projet de loi visant à interdire le port du «costume religieux» dans l’espace public. Un terme qui vise autant «la soutane que la tenue des rabbins et la burqa», affirme le député radical Jean Romain, promoteur du projet. Il oublie au passage que le port de la burqa ne relève pas de la pratique religieuse comme le reconnaissent unanimement les théologiens musulmans. A peine lancé, le texte suscite la colère des communautés religieuses et les critiques d’autres partis.
Comme le rappellent les radicaux, Genève avait édicté en 1875 une loi interdisant le port «de tout costume ecclésiastique ou appartenant à un ordre religieux». Héritée des tensions du Kulturkampf, cette loi est toujours en vigueur, mais plus appliquée depuis longtemps. «Elle avait été conçue dans un climat de méfiance et dans un esprit de laïcité de combat», explique le philosophe Jean Romain.
Il convient aujourd’hui de la remettre au goût du jour en l’appliquant à toutes les religions, estiment les radicaux. «Depuis trente ou quarante ans, cette loi était oubliée parce que nous vivions dans un système profondément irréligieux. Mais les choses ont changé du tout au tout: Genève s’est ouvert à l’international, des gens sont venus s’installer chez nous avec leurs religions. La thématique religieuse, qui était pacifiée, est redevenue passionnelle. Nous estimons que le rôle de l’Etat est de veiller à éviter tout débordement», affirme Jean Romain.
Quel est l’objectif des promoteurs ? Sont visés «Tous les costumes qui recouvrent le corps, tant celui du raëlien, que la soutane du curé ou la tenue du rabbin. On pense aussi à la burqa et au niqab, qui sont revendiqués comme des costumes religieux», ne manque pas de préciser le député radical. Car c’est bien l’interdiction de ces deux dernières tenues qui est dans l’air du temps, et sur laquelle les radicaux insistent: «Les femmes peuvent porter la burqa où elles veulent, mais pas dans la rue. Les gens qui vivent chez nous doivent s’intégrer, tout comme je respecte les règles des pays que je visite», argumente Jean Romain.
Les visiteurs et touristes de passage à Genève ne seraient pas visés par la loi «afin de préserver la tradition d’ouverture et d’accueil de Genève». Par ailleurs, les radicaux disent tolérer les «accessoires religieux», comme le foulard, la kippa ou le col blanc. Au sein de la communauté musulmane, on est alarmé :ex-porte-parole de la mosquée et directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, Hafid Ouardiri s’indigne face à un projet qu’il juge «stupide et déraisonné. Le Parti radical surfe sur la vague populiste». Imam de la Grande mosquée de Genève, Youssouf Ibram ajoute que «certains politiciens perdent la raison». Très marqué par la votation des Suisses sur les minarets, il ne comprend pas pourquoi les radicaux prennent le risque «de rajouter une nouvelle polémique». D’abord, expose-t-il, «l’imam n’est pas tenu de porter la robe pour prier. Genève en a même connu un qui portait le costume-cravate». Concernant la burqa, Youssouf Ibram considère que la question ne doit pas être réglée au niveau politique, mais au cas par cas. «Trois ou quatre femmes portent la burqa à Genève, dont deux vivent en France voisine. Il ne faut pas les stigmatiser, car cela risque d’amplifier le phénomène.» Même inquiétude du Grand rabbin Marc-Raphaël Guedj, directeur de la Fondation interreligieuse Racines et Sources: «En étouffant les libertés religieuses, on risque de faire exploser les intégrismes contenus, qui pourraient se donner la main pour lutter contre cette idéologie laïque. Les radicaux prétextent vouloir maintenir la paix confessionnelle mais il n’y a pas de guerre actuellement. En voulant résoudre des problèmes qui n’existent pas on en crée d’autres: celui du conflit entre l’intégrisme religieux et l’intégrisme laïc. Catholiques, bouddhistes, juifs, musulmans: nous sommes tous concernés. Aucun autre pays n’interdit l’habit religieux! Cela frise le ridicule.» Par ailleurs, relève le Grand rabbin, la plupart des rabbins ne sont pas visés par ce projet. «Seuls quelques membres des communautés orthodoxes le sont.»
Pour l’instant , le projet radical ne semble pas trouver grâce auprès des autres partis. Vice-président du PLR, Pierre Weiss s’élève contre «la mise au pilori d’une religion, l’Islam.» Il s’étonne que le Parti libéral genevois, avec lequel les radicaux fusionneront bientôt, n’ait pas été informé de ce projet. Président du Parti socialiste, René Longet n’imagine pas «imposer l’uniforme civil aux bonnes sœurs dans ma commune d’Onex.» Il juge l’ensemble du projet inopportun. Même à l’UDC, l’élu Eric Bertinat critique un texte «qui fait l’amalgame entre les religions, entre la soutane et la burqa. J’ai toujours affiché mon catholicisme, et cette loi me heurte violemment.» De son côté, Jean Romain admet que le débat est émotionnel, mais assure qu’il est possible de l’aborder sur la place publique «sans se lancer des anathèmes.»
Une initiative malheureuse appelée à rester sans lendemain dans un pays traumatisé par l’affaire de l’interdiction des minarets ?