Droit et terrorisme (s). L’accord SWIFT/TFTP entre les Etats-Unis et l’Union européenne, nouvel avatar de la lutte contre le terrorisme ? Le terrorisme (les terrorismes) et le droit, une confrontation sans issue ? Au bout du compte lutter contre le terrorisme n’est-ce pas avant tout lutter contre nos peurs ?
Condamnation morale, procès d’intention ? L’accusation de terrorisme, la lutte contre le terrorisme méritent plus que cela. Certes son apologie est un crime et l’accumulation de conventions internationales ou au niveau régional le confirme, mais le problème est que ce corps juridique donne de ce crime des définitions extrêmement variées et souvent contradictoires. Peut-on contourner la difficulté en posant comme principe que le terrorisme est une « technique », un « instrument » de combat aussi ancien que la guerre elle-même ? Posant la question on mesure la difficulté d’avoir une réponse satisfaisante : les combattants les plus divers ont été accusés de terrorisme, les mouvements de libération nationale comme par exemple aussi les « français libres » refugiés à Londres en lutte contre l’occupation nazie et le régime du gouvernement de Vichy. Le partisan, le franc tireur ont reçu leur statut depuis plusieurs décennies, mais qu’importe dans l’immédiat ! Le philosophe-politologue Carl Schmidt a pu considérer qu’un modèle parfait de la guerre a existé pendant un siècle entre 1815 et 1914 où les guerres opposaient strictement des armées régulières en uniforme, faisant clairement la distinction entre non-combattants et les combattants aux intentions claires et prévisibles : ils cherchent la bataille décisive entraînant la fin des combats et la conclusion d’un traité de paix. Depuis plus d’un demi siècle les choses ont bien changé.Le Parlement européen en exigeant que le futur accord avec les Etats-Unis comporte une définition du terrorisme a-t-il eu tort ? Certes non, mais a-t-il obtenu beaucoup plus qu’une satisfaction formelle dénuée de conséquences opérationnelles pratiques ?
La grande juriste Mireille Delmas-Marty s’est efforcée de dresser une typologie juridique du terrorisme, mais après avoir développé plusieurs réflexions éclairantes, fécondes, elle a dû y renoncer dans la pratique en constatant que l’émergence progressive d’une communauté mondiale de valeurs se heurtait à un singulier durcissement des particularités et spécificités nationales ou régionales. Un exemple : la confrontation particulièrement âpre autour notamment de la nation de « droits de l’homme » qui a atteint son paroxysme à la Conférence de Durban et lors de son suivi. Le terrorisme n’est pas un crime ordinaire et le problème se complique singulièrement en faisant remonter le délit très en amont de toute réalisation d’une infraction (ici dans ce cas d’espèce, l’accord Swift vise le financement ) , en effet la formule revient à criminaliser l’intention. La complication devient extrême lorsqu’on en vient à parler, comme après les attentats du 11 septembre de « terrorisme global » ! Jusqu’où va le droit de légitime défense ? Même au lendemain du 11 septembre on n’a pas osé aller trop loin. Rappelons que les résolutions des 12 et 28 septembre 2001 n’ont pas osé franchir certaines limites. Les résolutions 1368 et 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies affirment que les attaques terroristes du 11 septembre 2001 « comme tout acte terroriste international, constituent une menace pour la paix et la sécurité internationales ». Plus précisément la première résolution reconnait « le droit inhérent à la légitime défense, individuelle ou collective » et la seconde résolution réaffirme « le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective ». En revanche, l’argument de défense préventive, avancé dans un premier temps par le gouvernement américain à l’appui des frappes en Iraq lancées en 2003, ayant suscité de fortes réserves, n’a finalement pas été retenu. Face à ce véritable nœud gordien, comment le trancher ? En modifiant la Charte des nations Unies ont répondu certains éminents juristes ! Nous en sommes là…et nous avons atteint les limites du droit international classique et de l’approche purement nationale. Propos d’étape bien médiocre même s’il demeure difficilement contestable. L’Union européenne en introduisant, dans l’accord, la lutte contre le terrorisme, ouvre un chantier d’une exceptionnelle ampleur, mais cela était nécessaire et sa finition est urgente sous peine de voir ressurgir des imbroglios juridiques du type de ceux des « prisonniers » de Guantanamo. Eventualité d’autant plus grande que les ressources nécessaires pour commettre un acte terroriste n’exigent pas d’énormes engagements, ni des organisations sophistiquées. Un individu isolé, autoproclamé justicier et combattant de la bonne et juste cause, peut réaliser un acte terroriste d’une certaine ampleur au retentissement démesuré dans l’opinion publique.
C’est dire l’importance de trouver une définition technique, pragmatique du terrorisme et acceptable par toutes les parties prenantes et à cet égard la recherche d’une définition européenne est prioritaire. Mais l’Europe a hésité à codifier elle-même sa définition en raison de la diversité des définitions existantes dans ses Etats membres et aussi pour ne pas freiner toute tentative qui serait faite au niveau international. La France a réalisé un premier essai avec sa loi du 22 juillet 1996 lorsqu’elle-même venait d’être confrontée à une série d’attentats sanglants. Au lendemain du 11 septembre l’adoption du mandat d’arrêt européen a rendu indispensable cette définition avec la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002. C’est une définition complexe risquant d’aller au-delà du terrorisme proprement dit, allant jusqu’à la notion de complicité et se référant aux intentions des auteurs, agissant « dans le but de gravement intimider une population ». L’évaluation du degré de gravité de la menace de chantage sur les personnes, les gouvernements, les institutions internationales reste par la force des choses subjective. Sont inextricablement mélangés les buts recherchés par les auteurs et les conséquences de leurs actes. Le terrorisme est à la fois conçu comme un moyen qui menace et un objectif, la volonté de semer la terreur. Le Conseil de l’Europe dans un cadre à la fois plus large et plus complexe s’est contenté de se référer indirectement à cette définition par un considérant du préambule de la convention européenne pour la prévention du terrorisme adopté en 2005 et entrée en vigueur en 2007 : « rappelant que les actes de terrorisme, par leur nature ou leur contexte, visent à intimider gravement une population, ou à contraindre indument un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou à gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ». En ne mentionnant pas toute référence aux actes criminels commis, pour ne mentionner que « leur nature ou leur contexte », cette définition imprécise n’aide pas à évaluer la légitimité par exemple d’une demande de communication d’informations. Cette définition est dangereuse car elle permet des dérives car elle vise aussi « la prévention », en incriminant des actes préparatoires ou collatéraux sans lien direct avec la participation à une entreprise collective même si elle est le fait d’un petit nombre de personnes, voire d’une seule. On imagine déjà le potentiel de conflits ou de chamailleries entre les deux rives de l’Atlantique dans l’interprétation du concept si décisif de « lutte contre le terrorisme ». Une définition européenne ou un accord transatlantique ne suffiront pas. Une stratégie internationale contre le terrorisme est indispensable et chacun devra y consentir tôt ou tard, bon gré malgré. La recherche d’une définition internationale en dépit de sa difficulté est d’une grande priorité sur le plan opérationnel tout comme l’est le rappel incessant de la primauté du droit.
La conclusion est à emprunter à Mireille Delmas-Marty qui écrit dans l’ouvrage collectif « Histoire et droit, Terrorismes » (CNRS éditions) « Le concept de terrorisme est sans doute pertinent pour comprendre les conditions d’émergence d’une violence d’origine et à but politique, violence « exercée contre un Etat et/ou une société de la part d’un acteur que l’on peut considérer comme non-étatique, même s’il peut disposer par ailleurs d’un soutien étatique externe au pays considéré. En revanche il ressort de nos travaux que ce concept est juridiquement inadapté à remplir la fonction d’incrimination pénale ». Pour elle la seule analyse juridique acceptable consisterait à considérer le concept de terrorisme comme un concept de transition et appelé à disparaître et à utiliser d’autres incriminations déjà pratiquées, mais une telle solution, reconnait-elle est difficile à accepter dans le contexte juridico-politique actuel, car trop radical. Mais il reste urgent de progresser sous peine de voir ressurgir des concepts juridiques encore moins confortable comme celui « d’ennemi combattant illégal » surgi du cerveau des juristes américains pour régler le sort de ceux qui détenus à Guantanamo n’étaient à leurs yeux ni des combattants, ni des prisonniers de guerre. Poursuivant sa démonstration, Mireille Delmas-Marty fait observer qu’à supposer que l’on parvienne à défini r un cadre juridique mondial contre le terrorisme, sa mise en valeur dépend encore de la possibilité d’un accord sur des valeurs communes car la légitime défense doit être compatible avec les valeurs qui fondent la communauté mondiale, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Il faut aussi une instance juridictionnelle mondiale et prévoir un recours par exemple auprès de la CPI, solution qui supposerait une extension de sa compétence actuelle au terrorisme, choix qui exclut tout recours individuel et soumet l’arbitrage au bon vouloir des Etats, seuls habilités à pouvoir saisir la CPI qui par ailleurs est actuellement contestée et n’a pas un caractère universel en l’absence de certains « grands » Etats. Pour l’instant, bornons nous à constater que les pratiques pénales actuelles font courir, par leurs incertitudes, des risques à l’ensemble de la planète en nourrissant indirectement le terrorisme. Il convient de réintégrer le « combattant illégal » dans le domaine de la loi. Un historien a pu faire remarquer que depuis la guerre mondiale de 1939, sur le plan juridique, il n’y a plus de guerre : à qui la déclarer ?à qui la faire ?quel ennemi désigner et comment terminer la guerre ? comment et avec qui faire la paix ?
Le chemin vers une solution que nous venons à peine d’esquisser, montre combien les voies sont semées d’embûches et pour cette raison il semble qu’il reviendrait assez naturellement au Parlement européen d’explorer ,le premier, cette voie par une réflexion qu’il est peut-être le seul à pouvoir conduire.
Réfléchissant au phénomène du terrorisme nous sommes conduit naturellement (et pas seulement sur le plan de la sémantique ou de l’étymologie) à analyser nos peurs, à les exorciser pour mieux comprendre les ressorts du phénomène terroriste. La prochaine génération fera peut-être à l’actuelle génération, ou à celle qui l’a précédée, le reproche de l’avoir polarisée (à l’initiative de Georges Bush)sur la lutte contre le terrorisme au détriment d’autres questions plus vitales pour l’humanité. Le temps est venu pour une approche plus distanciée à l’égard du terrorisme.