En dépit des assurances renouvelées par la Commission que l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) en cours de négociations entre l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les Etats-Unis, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et l’Union européenne, ne nuira pas aux internautes ni aux fournisseurs des services internet, le Parlement reste sceptique sur plusieurs points. Venu présenter (à la demande expresse du Commissaire ) à la commission des libertés civiles du parlement européen le 13 juillet, Karel de Gucht a été mal inspiré et n’a pas réussi à les convaincre.
Beaucoup d’ennui et de redites au sein de la commission réduite à la présence de 3 ou 4 députés. Au lendemain du 9ième round tenu à Lucerne ( 28 juin-1er juillet) le commissaire en charge du commerce a rappelé que l’Acta vise à traiter les infractions, à grande échelle, des droits de la propriété intellectuelle qui ont un impact significatif sur le commerce et non à contrôler les voyageurs sur le contenu de leurs ordinateurs portables. L’ACTA ne réduira pas les libertés civiles, ni ne conduira au harcèlement du consommateur, a-t-il assuré. Concernant les droits de propriété intellectuelle, Karel de Gucht a réaffirmé que l’Acta sera pleinement conforme à la législation communautaire et n’inclura pas de nouveaux droits de propriété intellectuelle, ne changera pas leur durée, ni ne modifiera les législations nationales existantes. Il établira des règles minimales sur la façon dont les innovations et les créateurs pourront faire valoir leurs droits aux frontières et devant les tribunaux. L’ACTA sera non seulement conforma au droit communautaire concernant les droits de propriété intellectuelle, mais aussi à la directive sur le commerce électronique, la réglementation du paquet télécoms et les lois applicables à la protection des données personnelles et la vie privée. Concernant le chapitre Internet le Commissaire a réaffirmé que l’ACTA ne cherche pas à introduire un mécanisme de sanctions contre le téléchargement illégal à l’image du système de riposte gradué Hadopi qui prévoit un avertissement ou une amende pour sanctionner deux premiers téléchargements illégaux, puis la coupure à l’accès à Internet en cas de troisièmement téléchargement illégal. L’ACTA vise fondamentalement à établir des normes essentielles pour tout ce qui est fait sur l’Internet, ainsi qu’en matière de conception et de design, pour lutter contre la contrefaçon dans le monde. L’ACTA ne prévoit pas ce qui peut être mis en œuvre, mais la manière dont on peut mettre en œuvre ce qui existe déjà. L’objectif est de s’en tenir à l’acquis communautaire a-t-il insisté. Mais il n’a pas caché le désaccord persistant et profond entre les parties concernant l’inclusion da ns l’ACTA des indications géographiques, à laquelle s’opposent les Etats-Unis. Sans une portée plus large, le commissaire ne voit pas les avantages que pourrait avoir un tel accord. Enfin il s’est opposé vigoureusement aux allégations selon lesquelles l’Acta ferait obstacle au commerce des médicaments génériques.
Le déploiement de tous ces arguments est loin d’avoir convaincu à l’instar du grec Stavros Lambrinidis (S&D) et des rares autres parlementaires présents(essentiellement verts et S&D). Ils ont réitéré leurs inquiétudes concernant l’introduction d’un mécanisme de riposte gradué de type Hadopi. Stavros Lambrinidis a demandé au commissaire de s’assurer que la version finale du texte ne fasse aucune référence directe ou indirecte à un tel mécanisme. I l a aussi demandé au négociateur européen si étaient toujours présentes dans la dernière version consolidée les dispositions incluses dans le précédent texte consolidé concernant aussi bien les sanctions concernant le téléchargement illégal à l’échelle commerciale que les clauses permettant aux autorités nationales d’exiger des fournisseurs de services sur Internet de fournir aux propriétaires de droits d’auteur des informations sur les utilisateurs téléchargeant de la musique. Karel de Gucht a répondu que l’échelle commerciale n’est pas définie dans la législation communautaire qui laisse le choix à chaque Etat membre de décider comment sanctionner le téléchargement illégal et elle ne le sera pas non plus dans l’ACTA a expliqué le commissaire qui a promis, en outre, le respect de la conformité des dispositions ACTA concernant les fournisseurs de services Internet avec la directive communautaire sur le commerce électronique. Plusieurs rounds de négociations seront encore nécessaires avant la conclusion d’un accord qui devra obtenir l’aval du Parlement européen.
Les USA et l’Europe parviendront-ils à se réconcilier sur l’ACTA ? En tout cas, la réunion bilatérale programmée dans quelques semaines a cet objectif. Car depuis quelques temps, les divergences semblent de plus en plus marquées entre les deux parties. Et même si d’autres pays participent aux négociations, il est clair qu’un désaccord insurmontable entre les USA et l’Union européenne conduirait le traité à un échec. Le prochain round de négociations sur l’ACTA sera-t-il en réalité une réunion bilatérale entre les États-Unis et l’Union européenne ? Selon un message laissé sur Twitter par l’eurodéputé espagnol David Hammerstein Mintz, et adressé à La Quadrature du Net, » « les prochaines négociations autour de l’ACTA ne seront pas un « round » mais une « réunion d’intersession » qui débutera le 16 août à Washington ». Toujours selon le député européen, qui tient l’information du représentant américain au commerce, cette rencontre exceptionnelle entre les deux blocs aura pour mission d’aplanir les différences qui persistent de chaque côté de l’Atlantique. Et selon David Hammerstein Mintz, les oppositions restent nombreuses entre les deux parties : « brevets, indications géographiques, design industriel, sanctions contre les utilisateurs finaux ». Cette réunion n’a manifestement pas été programmée au hasard. Plusieurs observateurs proches du dossier ont remarqué le creusement d’un fossé assez important entre les États-Unis et l’Union européenne. James Love, le directeur de l’ONG Knowledge Ecology International, avait ainsi remarqué que Luc Devigne n’était plus en charge du dossier de l’ACTA. Luc Devigne était pourtant le responsable de la délégation européenne lors des réunions sur l’ACTA. Lorsque que la Commission européenne a organisé une réunion publique de consultation, c’est lui qui fut en première ligne pour défendre le projet d’accord international. Pour certains, cette éviction serait le signe clair d’un désaccord entre les deux parties. Du côté européen, l’un des points d’achoppement avec les USA porte sans doute sur l’opportunité de dévoiler ou non les travaux de l’ACTA. Le 13 juillet dernier, le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, avait expliqué devant la commission des Libertés civiles du parlement européen que l’Union européenne n’avait pas pu dévoiler la dernière version du projet d’accord puisque l’une des parties s’y était opposée. Et selon toute vraisemblance, il s’agissait des États-Unis. Nous venons de voir que très clairement le différend sur les appellations géographiques pourrait conduire à une impasse totale.
Par ailleurs, les parlementaires européens opposés au traité international sont en passe de réunir les 396 signatures nécessaires pour transformer une déclaration contre l’ACTA en déclaration officielle du Parlement européen. Au dernier pointage, il n’en manquait plus que 16.
L’Organisation Mondiale du Commerce sera-t-il bientôt le nouveau théâtre d’un affrontement entre les pays du Nord et du Sud à propos de l’ACTA ? La Parlement européen, rappelons- le, avait demandé que les négociations ACTA entrent dans le processus OMC. Face à l’intense émotion suscitée un peu partout sur les médicaments génériques, l’Inde est prête à déposer une plainte contre le projet d’accord international anti-contrefaçon devant l’OMC. À l’heure actuelle, pas moins de quarante pays (dont vingt-sept de l’Union européenne) sont impliqués dans les négociations internationales sur l’ACTA. Cependant, l’ACTA est avant tout un accord entre les pays les plus développés. Si des pays comme le Mexique, la Jordanie, le Maroc et les Émirats arabes unis sont présents à la table des négociations, ils sont minoritaires face au club des pays les plus riches. Citons ainsi les États-Unis, le Canada, la Corée du Sud, l’Australie, le Japon, la Suisse, la Nouvelle Zélande et Singapour. I l n’y a pas que le Parlement européen ou de grandes ONG, le projet est également très mal perçu chez certains grands pays émergents, comme l’Inde et la Chine. En juin dernier, nous rapportions d’ailleurs que l’Inde compte mener une coalition des pays du Sud pour s’opposer à l’accord commercial anti-contrefaçon. Une initiative qui avait d’ailleurs été saluée par la Chine, en se joignant à l’Inde dans cette bataille. Car en effet, les pays du Sud estiment qu’un tel projet international est une menace directe contre les intérêts des pays émergents. En verrouillant un peu plus la propriété intellectuelle, les pays du Nord cherchent à conserver la maitrise des débats ainsi que leur avance dans de nombreux domaines (scientifiques, techniques, culturels…). L’Inde a clairement annoncé ses intentions : le pays allait « organiser des discussions avec des pays qui pensent comme nous, et nous pourrions nous opposer conjointement et individuellement à la proposition de l’ACTA, en organisant des discussions avec les pays impliqués ». Parmi les pays évoqués, nous retrouvions bien évidemment la Chine, mais également l’Égypte et le Brésil.
Or, le face-à-face Nord / Sud risque de connaitre un nouveau développement. En effet, à l’occasion d’une conférence de presse le secrétaire indien en charge des questions commerciales a laissé entendre que l’Inde pourrait porter plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce. Selon The Internets, qui cite la presse locale, l’Inde veut être particulièrement vigilante sur l’impact que pourrait avoir l’ACTA, et notamment si elle bouscule les traités déjà signés au sein de l’OMC et de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Rappelons à ce sujet que ces deux organisations sont les endroits habituellement utilisés pour résoudre des problématiques touchant à la contrefaçon commerciale. Le Parlement européen a d’ailleurs exprimé sa surprise de ne pas voir ses deux grandes organisations piloter ces négociations (cf. Nea Say). Toujours est-il que les pays du Sud sont désormais plus aptes à rivaliser avec les pays du Nord, notamment au sein de l’OMPI. Puisque ces derniers ne veulent pas perdre leur avantage, ils ont donc mécaniquement mis en marche l’ACTA en essayant de s’accorder entre eux sur les différents aspects de la propriété intellectuelle. À l’inverse, les pays du Sud refusent de faire de l’OMC et de l’OMPI des outils permettant de renforcer les brevets et le copyright, puisque ces domaines pèsent en partie sur le développement de leurs économies. Les pays du Sud veulent également limiter au maximum l’influence de l’ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), entré en vigueur en 1994.
Le médiateur européen évoque à son tour de « lourdes conséquences législatives » pour l’Europe autour du projet de traité international. A l’origine une association allemande la FFII, elle avait demandé l’accès aux documents . Notons qu’il arrive régulièrement que même le Parlement a des difficultés à obtenir des documents de la part du Conseil en particulier parce que les réunions de Coreper et les groupes de travail ne sont pas ouverts. La FFII avait pourtant motivé sa demande en s’appuyant sur « le règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission », et notamment en son point dix : « afin d’améliorer la transparence des travaux des institutions, le Parlement européen, le Conseil et la Commission devraient donner accès non seulement aux documents établis par les institutions, mais aussi aux documents reçus par celles-ci ». Or, dans un communiqué de presse publié aujourd’hui, et relayé par Astrid Girardeau, la FFII rapporte les déclarations de « l’ombudsman » européen, qui officie en tant que médiateur entre les citoyens et les autorités européennes. Selon lui, l’ACTA « pourrait avoir de lourdes conséquences législatives pour l’Union européenne ». Dans ces conditions, le médiateur admet que les « citoyens auraient un véritable intérêt à être informé à propos de l’ACTA » dans la mesure où le projet final « pourrait forcer l’Union européenne d’adapter sa législation » Seulement, le processus de validation d’un traité international n’est pas exactement le même que le processus législatif. Et les outils européens ne peuvent pas forcément s’appliquer à tous les textes concernant l’Union européenne. C’est ce qu’a détaillé le médiateur européen, en nuançant ses propos (.pdf). Puisque la procédure pour l’ACTA n’est pas la même que celle de la loi ; il n’est donc pas certain de pouvoir obtenir la transparence des documents en cours. Mais pour un représentant de la FFII, « c’est une lacune » exploitable. « Il est possible de forcer la main des démocraties sur leur législation tout en empêchant le grand public de regarder l’ensemble des documents. La législation de l’Union européenne sur l’accès aux documents doit être corrigée » a relevé Ante Wessels. « Dans le même temps, les parlements ne devraient pas accepter l’usage de cette défaillance. La Convention de Vienne sur le droit des traités expose que l’histoire d’un traité joue un rôle dans l’interprétation de ce traité. Sans une divulgation complète, les parlements devront se prononcer sur un texte comportant des éléments inconnus ». Est-ce possible, non bien sûr, on imagine mal le Parlement européen ratifiant un traité en n’étant pas en « toute connaissance de cause » ! Dieu merci ! il y a les fuites et la Quadrature du net publie un exemplaire de l’état des négociations à la date du 13 juillet, ce qui ne règle pas le problème soulevé par le médiateur européen http://www.laquadrature.net/wiki/ACTA_20100713_version_consolidated_text
Le prochain billet sera consacré à la prise de position d’un groupe d’ONG