Les députés français ont adopté, par 335 voix contre une, le projet de loi sur l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public que le Sénat examinera à son tour en septembre. Ce texte, présenté par la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, prévoit l’interdiction du port du voile intégral dans tout l’espace public, avec, à la clef, une amende de 150 euros accompagnée ou non d’un stage de citoyenneté en cas de refus. En outre, toute personne obligeant une femme à porter le voile sera passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende. Un amendement socialiste, qui a été adopté, double ces peines lorsque la personne contrainte est mineure au moment des faits. Ces sanctions n’entreront en vigueur que six mois après la promulgation du texte, le temps de mener une « démarche de dialogue et de persuasion auprès des femmes portant volontairement le voile intégral ». Selon les autorités, environ 2.000 femmes portent le voile intégral en France, qui sera le deuxième pays en Europe à prendre ce genre d’interdiction, la Belgique l’ayant précédé il y a quelques mois.
« L’adoption de ce projet de loi contre la dissimulation du visage est un double succès », a estimé Michèle Alliot-Marie. « Un succès d’abord pour la démocratie qui sort grandie d’un débat parlementaire de grande qualité. Un succès pour la République et pour les valeurs qu’elle incarne ». Les groupes UMP et du Nouveau Centre (NC) ont voté pour, seul un élu du parti majoritaire et deux NC s’étant abstenus. Le groupe socialiste n’a pas participé au scrutin, mais 14 députés PS ont voté pour, de même que les radicaux de gauche. Les communistes et apparentés, qui qualifient ce texte « d’opération politicienne », n’ont pas participé au scrutin, de même que les élus Verts. Le communiste Gérin qui a présidé la commission d’enquête a voté pour.
Le président UMP de l’Assemblée, Bernard Accoyer, avait annoncé par avance qu’il saisirait le Conseil constitutionnel, comme le prévoit l’article 61 de la Constitution, afin « de lever toute incertitude » sur le projet de loi.
« Le voile intégral dissout l’identité d’une personne dans celle d’une communauté », a déclaré Michèle Alliot-Marie. « Il remet en cause le modèle d’intégration à la française, fondé sur l’acceptation des valeurs de notre société », a-t-elle ajouté. Jean-François Copé, le président du groupe UMP, a souhaité mercredi que le texte, une fois définitivement voté, soit soumis au Conseil constitutionnel « afin que son application ne puisse être contestée ». Et le président de l’Assemblée, Bernard Accoyer (UMP), a annoncé peu après qu’il saisirait le Conseil constitutionnel, comme le prévoit l’article 61 de la Constitution, afin « de lever toute incertitude » sur le projet de loi. Ce qui entre temps a été fait . Le Conseil d’Etat avait émis des réserves sur l’interdiction générale du port du voile. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est prononcée le 23 juin contre une interdiction générale du port du voile intégral ou d’autres tenues religieuses.
L’emporte une « démarche de dialogue et de persuasion auprès des femmes portant volontairement le voile intégral ». Selon plusieurs sources, environ 2.000 femmes porteraient le voile intégral en France, qui sera le deuxième pays en Europe à prendre ce genre d’interdiction, la Belgique l’ayant précédé il y a quelques mois. Au passage, rappelons que le 11 mai dernier , les groupes de la majorité mais aussi le PS avaient voté une proposition de résolution UMP sur les pratiques attentatoires aux valeurs de la République, première étape législative en vue de l’interdiction du voile intégral.
Un bilan et quelques leçons
Premier constat, les experts du gouvernement ont préparé un texte concis, afin de limiter les risques de recours juridique. La loi ne vise pas le voile intégral en tant que tel, mais tout ce qui dissimule le visage. C’est par une série de tâtonnements successifs que le résultat final a été atteint notamment dans ce qu’il a de plus fondamental : le fondement, c’est la dissimulation du visage. Il est contraire aux valeurs qui « garantissent la cohésion nationale » et porte atteinte à la dignité de la personne. La défense de « l’ordre public » autorise l’État à prohiber ces comportements. Le principe est simple : l’article premier pose une règle simple, « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Le champ d’application, c’est l’espace public : l’article 2 définit le champ de l’interdiction. Elle ne se limite pas à certains lieux publics, comme le proposait le Conseil d’État, mais à tout ce qui ne relève pas strictement du privé, à savoir la rue et « les lieux ouverts au public ou affectés à un service public ».
Comme toute loi des dérogations sont prévues: selon l’article 2, l’interdiction ne s’applique pas « si la tenue est prescrite par la loi ou un règlement, justifiée par la protection de l’anonymat, par des raisons médicales ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes, de manifestation artistiques ou traditionnelles ». Comme dans toute loi des sanctions sont prévues pour son non respect : selon l’article 3, la méconnaissance de l’interdiction est « punie de l’amende prévue pour les contraventions de deuxième classe, soit 150 € ». Le juge peut obliger, à la place de l’amende ou en complément, à accomplir un stage de citoyenneté. L’article 3 vise aussi le fait d’imposer à une personne de dissimuler son visage, « par menace, violence ou contrainte, abus de pouvoir ou d’autorité. Peine d’un an de prison et 30 000 € d’amende. ». La loi entrera en vigueur après un délai de six mois suivant la promulgation. Elle s’appliquera sur l’ensemble du territoire national, c’est-à-dire y compris dans les DOM-TOM. Un rapport sur l’application de la loi sera remis au Parlement dix-huit mois après sa publication.
Mais on peut s’interroger : était-il nécessaire de légiférer sur la burqa ?
Dominique Schnapper, sociologue éminente et ancienne membre jusqu’à ces derniers mois du Conseil constitutionnel, pense qu’il aurait été préférable ne pas recourir à la loi à chaque fois que se pose un problème de société. Cela dit, on voit bien que tous nos voisins européens cherchent une réponse politique à ce problème, y compris des pays de tradition très libérale comme la Suède, a-t-elle commenté. Nous sommes confrontés à une pratique qui heurte notre conception de la société. Elle est contraire au principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’échange entre les citoyens qui suppose l’établissement de relations égalitaires. La dissimulation du visage interdit d’identifier une personne qui, elle, vous regarde. Toute la difficulté est de traduire une conception du monde en norme juridique. Plusieurs fondements ont été écartés. Celui de la laïcité, car il n’est pas établi que la burqa est une pratique religieuse. Ou celui de l’atteinte à la liberté individuelle, en raison des témoignages de femmes qui revendiquent cette tenue comme un choix. Les pouvoirs publics ont trouvé un argument qui consiste à dire que la dissimulation du visage, contraire aux valeurs d’égalité et de dignité de la personne qui fondent le vivre-ensemble, menace l’ordre public. Cela traduit une évolution de notre conception de l’ordre public qui ne se limite pas à des considérations de sécurité ou d’hygiène. C’est un raisonnement intéressant mais audacieux. Pourquoi le Conseil d’État s’est-il montré réticent à l’égard d’une interdiction totale ?
Dans notre État de droit, répond Dominique Schnapper, il s’agit de concilier deux valeurs contradictoires, la liberté individuelle et l’ordre public. Sur la question du voile à l’école, le Conseil d’État avait apporté, depuis 1989, une réponse plutôt libérale en estimant que le seul fait de porter un voile ne pouvait justifier une exclusion scolaire. Mais cette solution très subtile n’a pas résisté à la réalité des problèmes rencontrés sur le terrain et le politique a repris la main en 2004 pour interdire le port de signes religieux « ostentatoires ». Aujourd’hui, les politiques assument leurs responsabilités en se référant à cet épisode qui fut – les faits l’ont prouvé – un succès. Mais cette fois-ci, la loi risque d’être plus difficile à faire respecter car on a affaire à des organisations fondamentalistes beaucoup plus fortes.
L’opposition a décidé de ne pas saisir le Conseil constitutionnel qui finalement le sera. Qu’en penser ? Les grandes lois de consensus, comme celle de 2004 sur les signes religieux ou celle sur l’autonomie des universités, ne font pas l’objet d’une saisine du Conseil. Cela montre la limite du Conseil constitutionnel qui, dans notre régime, s’incline devant la suprématie du législatif. (1)Cela dit, la loi sur la burqa pourrait faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, nouvelle procédure qui représente un progrès de l’état de droit. Quelle pourrait être, dans ce cas, la décision du Conseil ? Sa jurisprudence est traditionnellement très républicaine. On l’a vu dans le passé sur la question corse ou sur celle de la parité homme-femme. Mais le Conseil doit aussi prendre en considération la jurisprudence européenne qui est, sur ces sujets, très imprévisible.
Bousculée par la mondialisation, la France n’est-elle pas en train de se crisper sur la question de la diversité et du vivre-ensemble ?Nous avons cette manière très française, théorique, idéologique, de mener les débats. Mais tous les pays européens sont aujourd’hui entraînés dans un questionnement identitaire (cf. l’éditorial du N° 91 de Nea Say) car, après avoir dominé le monde, ils constatent leur décadence sur la scène internationale. Le pluralisme culturel est en soi une valeur positive, mais tous les États s’interrogent sur la nécessité de faire respecter les valeurs qui fondent la société. Le problème de la burqa n’échappe pas, en tout cas, à une tentation d’instrumentalisation. On en a fait une priorité, alors que les vrais enjeux du moment sont ailleurs. Je pense à la croissance ou à la question dramatique des jeunes qui, mal formés, ne parviennent pas à entrer dans le monde du travail. Après s’être affrontées vigoureusement, la droite et la gauche ont fini par réaliser un consensus assez large. En un an, tout le monde a beaucoup évolué sur le sujet, il s’agit de défendre les valeurs de notre société et la France, malgré elle, est à la pointe d’une évolution générale qui concerne toute l’Europe. On peut regretter que les institutions européennes , et au premier rang le parlement européen, n’aient pas eu un débat. Il ne s’agit pas de légiférer au niveau européen, hypothèse absurde repoussée avec énergie par la commissaire Cecilia Malmström, mais c’eût été se créer une occasion de débat sur l’identité européenne, ce qu’elle est, ce qu’elle n’est pas, ce en quoi elle croit, ce qu’elle ne peut admettre. Bref battre enfin sur ces valeurs si souvent évoquées mais jamais nommées ou mises en débat. Le débat a cependant bien eu lieu au niveau européen, les sociétés n’ont pu l’éviter, mais faute d’un peu de formalisme institutionnalisé, ce fut une véritable cacophonie.
La nouvelle procédure de la question prioritaire de constitutionnalité ouvre désormais cette possibilité aux citoyens. Le gouvernement a toutefois fixé un délai de six mois avant l’entrée en application de la loi, pour se protéger de tout danger immédiat.
Au bout du compte, pourquoi un tel consensus a-t-il pu finalement se dégager après de longs et spectaculaires débats émaillés de rebondissements ?
L’Assemblée s’est prononcée sur le texte de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public. Après des mois de tergiversations, d’échanges vifs renforcés par la discussion sur l’identité nationale, une majorité, transcendant les frontières des partis : vaille que vaille, une quasi unanimité s’est imposée en faveur de l’interdiction , au minimum, à défaut de dire oui, les députés se sont abstenus. Les opposants déclarés se comptent sur les doigts d’une seul e main et celle-ci est même trop grande !
Derrière le rideau de l’apparent consensus, pourtant, se cachent des motivations très diverses. Il y a ceux qui veulent interdire le voile intégral (parce que c’est de cela qu’il s’agit, malgré l’habillage global de la version finale) au nom du respect de la dignité des femmes : ils partent du principe que les hommes les forcent à cacher leur visage ; il y a ceux qui expriment sans détour leur rejet de l’islam (même si le Coran n’exige pas le port du voile intégral) et de ses signes d’appartenance, de plus en plus visibles dans les pays occidentaux, par ailleurs largement déchristianisés ; d’autres mettent en avant les nécessités de la sécurité. Beaucoup, enfin, disent simplement leur gêne de ne pouvoir « envisager » la personne fantôme parfois croisée dans les rues de nos villes. Une turbulence forte dans les raisons et pas toujours avouées ce qui traduit les tiraillements de la société française et européenne il faut bien le dire même si rares sont les pays qui ont été confrontés à un débat de cette envergure. Le texte de loi, donc, s’efforce de ne pas stigmatiser la burqa et encore moins l’Islam, mais de rappeler des principes généraux. Il se veut plus pédagogique que répressif et prévoit une période de transition pour arriver à convaincre plus qu’à contraindre et faciliter la résolution des cas litigieux : on imagine qu’il ne sera pas aisé de verbaliser. Les promoteurs de la loi espèrent une application en douceur, qu’elle libérera les femmes et ne les renverra pas, comme on a pu le craindre, à l’enfermement des espaces privés. Il faut également espérer que les plus extrémistes de tous bords ne se saisiront pas de ce nouvel épisode législatif pour attiser chez les musulmans le sentiment d’être discriminés et rejetés. Ce qui est recherché c’est le mieux vivre ensemble – justification ultime de la loi – et ce mieux vivre ensemble préconisé par tous ceux qui veulent échanger à visage découvert est à ce prix. « Un dialogue sans voile suppose, et l’absence de voile et la réalité d’un dialogue » ont pu dire à juste titre certains analystes.
Texte du projet de loi http://www.la-croix.com/Projet-de-loi-interdisant-la-dissimulation-du-visage-dans-l-/documents/2426600/47601
(1) Son attitude a été un peu différente avec son arrêt sur la garde à vue (cf. autre article dans le présent numéro 91 de Nea say). Mais dans le même temps il s’en est remis totalement à la représentation nationale pour voter la loi et ne lui donne pas d’instructions ou d’orientation. Seule contrainte , légiférer avant le 1er juillet 2011.