Y-a-t-il encore une place pour la réflexion géopolitique en Europe ?
L’exemple français nous montre une société égarée dans ses repères éthiques, mais la France n’est pas la seule se son espèce et un peu partout en Europe on assiste à la multiplication irraisonnée des concessions à une opinion publique affolée et dominée par la peur. Le « tout sécuritaire », bien sûr, mais aussi les déchirements provoqués par l’argent et les séductions fallacieuses qu’il entraine. Dans un tel contexte un discours de réflexion géopolitique, en Europe et pour l’Europe, est-il encore audible ? On peut en douter, mais tentons ce pari.
Un premier constat : vaille que vaille, l’Union européenne a démontré dans cette période de crise à la fois sa solidité, sa résistance face à l’ampleur des défis qui lui sont lancés, une ampleur sans précédent. L’Europe a su faire preuve de sa capacité de résilience exceptionnelle, même si ses procédures de décision restent complexes, quasiment incompréhensible pour une opinion publique légitimement impatiente. Les réalisations sont encore mitigées, la démarche hésitante, mais les résultats sont inespérés si l’on veut bien se reporter quelques années en arrière.
Un deuxième constat : l’Union est la première zone de création de richesses du monde avec près d’un quart du PIB mondial, elle devance la Chine. On peut s’interroger : pour combien de temps encore ? Mais aujourd’hui le fait est là ! Elle est le premier marché mondial par le pouvoir d’achat moyen de ses 500 millions de consommateurs. Elle concentre 40% du commerce mondial grâce au dynamisme de ses échanges intérieurs. La relance du Grand marché intérieur par Michel Barnier représente une opération d’envergure qui doit retenir notre attention et mobiliser nos énergies. Elle est une poutre maitresse de la « Stratégie 2020 ».L’Europe est le premier exportateur mondial ; elle est aussi le premier investisseur extérieur dans le monde. Les grandes économies mondiales (ou les moins grandes) , n’hésitent pas à investir et l’Europe attire plus que tout autre les investissements dits « IDE ».
Mais elle parait malheureusement être encore le jouet des autres puissances, par sa propre faute, et cela faute d’unité de commandement, de parole commune, d’une parole simple et courageuse. L’on ne peut pas imputer, une fois de plus, cette responsabilité au fonctionnement des institutions qui viennent d’être rénovée de façon satisfaisante au prix d’un marathon épuisant. La source de ses maux se trouve essentiellement dans le fait que l’Europe n’est pas consciente de sa propre force. Certes, une telle prise de conscience crée un certain vertige face aux nouvelles responsabilités ainsi créées, mais il faut surmonter les peurs et les inhibitions. Cette inconscience de ses propres forces l’empêche de définir clairement et sérieusement ses propres intérêts, de les confronter hardiment aux autres puissances, d’ajuster ses politiques internes aux nécessités de l’extérieur. La compétition farouche qui se dessine dans un monde, désormais multipolaire, rend cet effort inévitable. C’est une ardente obligation.
L’Europe doit définir de façon autonome, en toute liberté et indépendance, ses intérêts spécifiques. L’émergence de nouvelles puissances lui impose plus que jamais de se poser en termes de puissance et donc en termes d’unification politique où la première mission des institutions est d’incarner les intérêts supérieurs de l’union européenne.
Quels sont les intérêts de l’Europe à l’horizon 2030 ? Beaucoup d’observateurs s’accordent pour admettre qu’à cette date la Chine sera dans une position « hégémonique ». mais elle ne sera pas en situation d’uni-polarité exclusive : elle devra bien compter,, composer avec d’autres foyers de puissances secondaires. Essayons de visualiser la situation pour mieux situer ces « intérêts supérieurs de l’Europe. Aurons-nous un monde bi-polaire ordonné autour de la relation sino-américaine. Est-ce possible, mais surtout est-ce souhaitable pour ne pas dire nécessaire ? Comment se situerait alors l’ensemble européen ? On voit se dessiner pour deux options :
-. Certains pensent que pour garder du pois à l’Europe, sur la scène internationale qui sera alors celle de 2030, il faut aller vers les « Etats-Unis d’Occident » par rapprochement puis fusion des Etats-Unis et de l’Europe.
– . D’autres entendent ébaucher davantage, façonner le pôle d’une « Grande Europe », de «l’Atlantique à l’Oural », grande Europe élargie à la Turquie et aux pays du sud et de l’est Méditerranéen. Cette voie me parait la bonne pour diverses raisons sur lesquelles il est difficile de s’étendre, ici et aujourd’hui. Mais retenons que cet ensemble regroupe dès aujourd’hui un milliard de personnes, c’est-à-dire le volume approprié pour prétendre jouer un rôle.
Vision simple, simpliste diront certains. Mais nous avons besoin d’une vision simple (en tout cas simplifiée) comme les premiers messages des pères fondateurs de l’Europe, pour mieux nous situer et nous organiser et faire valoir nos intérêts. C’est la simplicité qui mobilise parce qu’elle est comprise et que son évidence s’impose naturellement sans arrières pensées, ni échappatoires. Elle s’impose aussi aux autres, pour les mêmes raisons, celle de la force de l’évidence. Le trait doit être dessiné de façon claire, assurée. Dans quelques jours le Conseil européen se réunira de façon inhabituelle avec comme thème de réflexion : les partenariats. Les résultats seront un test révélateur des volontés.