Une cour d’appel américaine a donné raison mercredi à l’administration Obama en classant, au nom du secret d’Etat, le dossier des vols secrets de la CIA mis en place après le 11 septembre pour transporter des suspects de terrorisme et les interroger à l’étranger. Le parlement européen , un instant à la pointe du combat au côté du Conseil de l’Europe, va-t-il réagir ?
Circulez, il n’y a rien à voir. L’affaire des vols secrets de la CIA a été classée mercredi par la cour d’appel fédérale de San Francisco. Les 11 juges assurent dans une décision à six voix contre cinq avoir été convaincus par le ministère public que les éléments à charge dans cette affaire «devaient absolument être protégés par la prérogative du secret d’Etat». Une victoire pour l’administration Obama, qui cherche à améliorer l’image de l’agence de renseignement et qui se passerait volontiers de nouvelles révélations qui pourraient accompagner un procès.
Car l’affaire est explosive. Elle a débuté mai 2007 par une plainte de cinq anciens détenus contre Jeppesen Dataplan, une filiale de Boeing, qu’ils accusent d’avoir appuyé la logistique des transferts de suspects de terrorisme vers des prisons hors des Etats-Unis. Les cinq plaignants affirment avoir été enlevés, transportés dans des pays étrangers et remis à des agents de la CIA ou à des gouvernements étrangers pour être torturés. Les faits invoqués se sont déroulés sous l’administration Bush, qui a reconnu publiquement que ce type de transfèrements a en effet eu lieu après les attentats du 11 septembre. Les «points de chute» les plus fréquemment évoqués vont de Kaboul à Guantanamo en passant par Rabat, Alger, Le Caire, Amman, Bagdad, ainsi que quelques villes européennes comme Bucarest, Timisoara, en Roumanie, et Szymany, en Pologne.
Mais pour la cour d’appel de San Francisco, «même si des informations sur ces opérations ont été publiquement révélées, le rôle de Jeppesen et son éventuelle responsabilité dans les vols ne peuvent pas être pris isolément des parties du dossier qui sont secrètes et protégées». Si les jugent insistent «sur le fait que l’invocation du secret d’Etat pour obtenir le classement d’un dossier devrait être rare», ils précisent que «le cas existe» et doit en l’occurrence être respecté.
«Un triste jour». L’Association américaine de défense des libertés civiles (Aclu), qui défendait les plaignants dans cette affaire, a aussitôt annoncé qu’elle allait saisir la Cour suprême. La puissante organisation a estimé dans un communiqué qu’il s’agissait d’«un triste jour, pas seulement pour les victimes de torture dont le besoin de justice a été anéanti, mais pour tous les Américains qui se soucient de l’Etat de droit et de l’image de notre pays dans le monde». L’Aclu rappelle qu’«à l’heure actuelle, aucune victime du programme de torture de l’administration Bush n’a été entendue par la justice».
En avril 2009, la même cour d’appel, réunie en formation restreinte à trois juges, avait pourtant donné raison aux plaignants et ordonné que la procédure se poursuive. Une victoire pour les pourfendeurs des méthodes et des décisions de l’administration Bush en matière d’anti-terrorisme. Mais l’administration Obama a demandé à la cour de réexaminer le cas en formation plénière. Lors de l’audience le 15 décembre, elle avait, comme l’administration Bush auparavant, plaidé l’impossibilité de «démêler» le secret d’Etat du reste, si la responsabilité de Jeppesen venait à être examinée dans le détail par un jury.
Deux des cinq plaignants sont toujours emprisonnés, l’un au Maroc, l’autre en Egypte. Les trois autres ont été libérés par le gouvernement américain, sans aucune accusation. Parmi eux, figure l’Ethiopien Binyam Mohammed, libéré du camp de Guantanamo au Royaume-Uni en février 2009. Réfugié en Grande-Bretagne, il affirme avoir été secrètement transporté en 2002 au Maroc pour y être torturé, puis en 2004 à Kaboul, où il dit également avoir subi des tortures avant de rejoindre Guantanamo. Il accuse en outre le MI5 d’avoir participé à certains interrogatoires.