Le point d’interrogation a toute son importance, si déficit il y a, encore faut-il le démontrer, plutôt que procéder par une affirmation péremptoire comme le veut la mode de ces dernières années ce qui est paradoxal au moment où ce déficit se réduit peu à peu, années après années.
C’est un lieu commun que de parler de déficit démocratique, d’insuffisance de légitimité dans l’Union européenne. Ses institutions, reproche-t-on de façon souvent exacerbée, concentrent des déficiences que les citoyens seraient en droit de reprocher également et en première instance à leurs institutions nationales : un pouvoir distant et mal contrôlé, un développement de leurs tendances technocratiques, des formes diffuses et mal identifiées des gouvernances, des abus de pouvoir à commencer par ceux des juges ? Dérives et dysfonctionnements seraient le leitmotiv dominant.
Sans prétendre que tout marche bien, il est possible d’adopter un point de vue différent en montrant que les institutions européennes incarnent bien la démocratie et ses transformations : elles sont souvent à l’avant-garde de nouvelles formes qui n’existent pas, pas encore ou imparfaitement au plan national et c’est ce qui rend leur perception si imparfaite, si déroutante parfois pour le commun des citoyens.
Le fonctionnement des institutions européennes révèlent non pas les disfonctionnements mais les transformations des démocraties contemporaines. Au premier rang de ces changements, les conditions d’exercice de la légitimité. La légitimité semble changer de nature et dans cette phase intermédiaire entre l’ancien et le nouveau, les institutions européennes pourraient être handicapées de ce point de vue. Or il n’en est rien, bien au contraire : la légitimité s’incarnant dans une double légitimité une légitimité que l’on peut désigner comme une légitimité d’établissement et une légitimité d’impartialité. La légitimité d’établissement c’est celle qui tisse des rapports de confiance entre des citoyens et des gouvernants par la proximité et la confiance. Mais elle est toujours liée à une légitimité d’incarnation en général le suffrage universel et l’élection)à travers ceux qui les représentent et incarnent l’intérêt général.
Cette double légitimité traditionnelle s’affaiblit au bénéfice d’une nouvelle légitimité que certains désignent comme une légitimité qui monte en puissance : la légitimité d’impartialité et la légitimité de procédure qui régule et contrôle et préserve l’intérêt général en soustrayant les décisions au pouvoir exécutif. La légitimité d’impartialité devient de plus en plus centrale dans nos sociétés : les enquêtes le démontrent, les citoyens préfèrent des décisions par des « experts » indépendants, la qualité d’indépendance ayant à leurs yeux la plus grande importance.
Intuitivement on perçoit aisément qui, dans le triangle institutionnel, incarne la légitimité d’établissement (le Conseil, le Parlement) et la légitimité d’impartialité ou de procédure (la Commission). De ce fait la bonne démocratie en Europe est fonction du bon équilibre dans le fonctionnement du triangle institutionnel. Il n’y a pas de déficit démocratique comme il est traditionnellement affirmé et répété à satiété. C’est une démocratie de type nouveau, au fonctionnement subtil et inhabituel. Il faut s’accoutumer.
Qu’il y ait dans ce modèle des tensions, des conflits, c’est naturel. L’important est qu’après chaque phase de tensions, il y ait un retour à l’équilibre. C’est ce à quoi nous venons d’assister au cours de ces deniers mois, le dernier en date est celui marqué par la « crise des ROMS ». Seul le tumulte des évènements nous a fait perdre de vue l’importance essentielle, quasi historique, de ce qui se déroulait sous nos yeux et s’affichait à « la une » des journaux.
A la fin du printemps nous avons assisté à la mobilisation inédite et vigoureuse des quatre plus grands groupes politiques du Parlement européen pour défendre le modèle communautaire et les prérogatives de la Commission. La vigilance du Parlement européen n’a pas retombé depuis, et plus particulièrement en ce qui concerne « la gouvernance économique ».
Dans la « crise des ROMS » à quoi avons-nous assisté ? quelle en a été la conclusion ? Nous avons vu le premier ministre d’un pays, le Luxembourg, corriger une déviation trop répandue : confondre un membre de la Commission et son pays d’origine. La Commission incarne l’intérêt général et ne représente pas la somme des intérêts particuliers. Il n’est que trop dommage pour la clarté et le bon fonctionnement des institutions qu’on ait pas retenu que le nombre de commissaires ne devait pas être égal à celui des Etats membres, mais il n’en reste pas moins vrai qu’au cours de cette crise l’indépendance et la légitimité de la Commission ont été confirmées. Dans l’ultime phase de la crise, la France a confirmé avoir corrigé l’acte administratif qui citait explicitement et prioritairement les Roms en tant qu’objectif des expulsions. Nicolas Sarkozy a affirmé (et publiquement) que son pays continuera à agir dans le strict respect du droit communautaire et il a reconnu que la Commission européenne a pour rôle de veiller au respect des traités, qu’elle peut poser des questions, et donc mener une enquête, et que la France continuera à y répondre et que, s’il y a eu des erreurs, « naturellement on les corrigera ».
Près de 45 ans après « l’heptalogue » qui mit fin à la crise de « la chaise vide » par un accord sur le désaccord, nous venons d’assister, sans nous en rendre compte (sauf les plus lucides) à un évènement de première grandeur dans l’histoire institutionnelle de l’Union européenne. L’âpreté des débats lors du dernier Conseil européen ne doit pas cacher les effets positifs : désormais qu’on s’intéresse plus aux questions de fond et moins aux querelles sur le modèle communautaire versus l’intergouvernemental ! Une fois de plus les évènements, et pas la doctrine ou l’idéologie, ont tranché en faveur du modèle communautaire.
(1) Ce n’est pas une pure coïncidence si cet éditorial est publié quelques jours après le 15 septembre, date de la Journée internationale de la démocratie. Mais ce n’était pas prémédité….
(2) Le Président du Parlement européen, Jerzy Buzek, a réaffirmé l’universalisme du concept : « Nous sommes convaincus que les gens du monde entier souhaitent vivre dans un système démocratique et qu’ils doivent être en mesure de choisir leur gouvernement ». Conscient de sa valeur d’exemple, le Parlement européen tente de soutenir les idéaux démocratiques dans le monde. La démocratie est une aspiration universelle ». C’est en substance ce qu’a affirmé le Président du Parlement européen à l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, créée en 2007 par une résolution des Nations unies
-. Déclaration de Jerzy Buzek (en anglais) Thème de la journée internationale de la démocratie 2010 http://www.europarl.europa.eu/president/view/fr/press/press_release/2010/2010-September/press_release-2010-September-15.html
-. Thèmes de la journée internationale de la démocratie http://www.europarl.europa.eu/news/public/story_page/015-81945-253-09-37-902-20100910STO81934-2010-10-09-2010/default_fr.htm
-. Présentation du Bureau de promotion de la démocratie parlementaire http://www.europarl.europa.eu/news/public/story_page/008-78552-190-07-28-901-20100709STO78532-2010-09-07-2010/default_fr.htm
-. Prix Sakharov http://www.europarl.europa.eu/parliament/public/staticDisplay.do?language=FR&id=42
-.Résolution de 2009 sur le renforcement de la démocratie dans les relations extérieures de l’UE http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2009-0056+0+DOC+XML+V0//FR