Oui ! à l’espace européen de liberté, de sécurité, et de justice et non ! au grand Marché intérieur, une affirmation caricaturale de la perception française de l’Europe, mais elle a le mérite de montrer une tendance sous-jacente au comportement des français. A quelques jours d’intervalle, deux sondages apparemment contradictoires sont venus éclairer d’un jour nouveau le sujet sensible de l’expulsion des Roms.
Dans un sondage OpinionWay-Le Figaro du 16 Septembre, 56% des Français se déclaraient en effet hostiles à la Commission européenne, laquelle avait vivement critiqué en des termes certes peu amènes, la position de Paris au sujet de ces expulsions. Jusqu’ici donc, rien que de très classique : l’Europe, encore une fois, se mêlait de ce qui ne la regardait pas et pouvait encore passer, aux yeux de l’opinion hexagonale, pour cette odieuse technocratie tatillonne dont les responsables politiques français ont plus d’une fois dénoncé le poids envahissant de la chasse aux oiseaux, au plombier polonais. A nouveau l’illustration de son ingérence dans les affaires nationales.
Deux jours plus tard cependant, un sondage CSA-Le Parisien revenait sur la question avec, cette fois, des résultats inverses : non seulement 54% des interrogés affirment attacher une grande importance à ces remontrances bruxelloises mais, de plus, 56% d’entre eux considèrent que la Commission européenne, agissant de la sorte, est dans son rôle.
Ces deux résultats contradictoires relancent la question de la fiabilité des sondages. Si l’on analyse le sens du sondage CSA, un phénomène pour le moins inédit mérite pourtant d’être souligné : l’Europe n’est plus, cette fois, envisagée comme cette « empêcheuse de tourner en rond » de la politique nationale. Généralement considérée comme source de contraintes, elle apparaît ici au contraire comme un contrepoids légitime à l’action publique. Ce revirement certes fragile, concerne un sujet ponctuel, émotionnel. On ne saurait donc en conclure une conversion des Français à l’Europe. Il faut en revanche y voir la confirmation de l’intégration par les citoyens d’un libéralisme politique que l’Europe incarne et qui ne saurait se réduire à sa seule version économique. La publication des sondages Eurobaromètre pendant le mois d’août (dont des commentateurs hâtifs avait vu une désaffection générale et pas seulement française) va dans le même sens.
Quelle valeur accorder à deux sondages qui, sur un même sujet et presque en même temps, donnent des résultats totalement opposés ? La tentation serait grande de recourir à l’argument classique du manque de scientificité des enquêtes ou de mettre en cause une nouvelle fois le professionnalisme de Opinion Way considéré comme un outil de propagande de la présidence de la République. Les questions posées par CSA sont formulées de manière neutre et ouverte et de ce fait on est tenté de prendre les résultats comme fiables. Essayons d’aller plus loin. Le reproche majeur des français touche au libéralisme et le référendum de 2005 est encore présent dans les esprits pour nous épargner une démonstration. Ce dernier sondage sur les Roms marque, de ce point de vue, un véritable basculement puisque, en substance, il montre un taux de rejet de la politique française et un soutien inédit à l’Union européenne. D’abord, les interrogés estiment que l’Union peut légitimement s’interroger sur le bien fondé d’une politique publique française et exprimer à ce propos sa désapprobation. Ce premier élément est à lui seul significatif en ce qu’il témoigne de la conscience au sein de l’opinion de l’existence d’un ensemble intégré à l’échelon européen auquel la France appartient et dont elle ne peut s’abstraire. Conscience qui existait en négatif si l’on peut dire, puisque c’était ce qui était généralement dénoncé auparavant. Le sujet lui-même et les choix du gouvernement français favorisent ce basculement qui, à n’en pas douter, ne durera pas, comme la libéralisation du marché de l’électricité, des chemins de fer etc l’indiquera très certainement.
Cependant le fait que 56% des interrogés estiment que l’Union et la Commission européenne en particulier (ce que Nicolas Sarkozy reconnaîtra plus tard à Bruxelles lors du sommet européen dans sa conférence de presse)est dans son rôle en critiquant la France montre bien que les institutions européennes s’imposent comme garante d’un socle commun de valeurs, références et droits communs à l’ensemble des pays membres. En cette affaire, il est important de noter que c’est autant les atteintes à la liberté de circuler que la stigmatisation d’une communauté qui sont dénoncées, signe d’une admission des nouvelles frontières européennes. Or quelques années auparavant, on aurait pu parier sur le fait que de nombreuses voix n’auraient pas hésité à réclamer la fermeture de l’espace Schengen, chose si inenvisageable aujourd’hui que plus personne ne parle de « fermer les frontières ».
Cet affrontement entre la France et l’Union montre donc (d’une manière inattendue dirons certains, mais est-ce bien vrai ?) une progression de l’idée européenne, voire même d’une meilleure perception de ses institutions au moment où le ministre des affaires européennes, Pierre Lellouche fait des déclarations extravagantes (cf autre article dans Nea say N° 93). L’Europe ne serait plus le repoussoir habituel. Certes l’Europe est, effectivement, associée en premier lieu au libéralisme et, plus particulièrement au libéralisme économique mais est de moins en moins occultée une autre facette du libéralisme, à savoir le libéralisme politique, qu’elle défend pourtant aussi.
De façon sommaire, disons que le libéralisme politique consiste à reconnaître des droits individuels que la société doit garantir. On mesure chaque jour la force de cette idée : la lutte contre les discriminations, la reconnaissance de nouveaux droits à diverses catégories de populations témoignent quotidiennement des évolutions sociétales en cours. L’évolution des mœurs et des mentalités ne sont que le reflet social de ces avancées libérales.
Le libéralisme serait ainsi autant dénoncé d’un point de vue économique qu’il est encouragé et réclamé d’un point de vue politique. Avec la question des Roms, on peut considérer que les autorités gouvernementales françaises ont mésestimé le poids de cette seconde dimension. Son action est apparue dictée par des visées sécuritaires qui passent d’autant plus mal qu’elles atteignent directement à des droits auxquels nombre de Français sont attachés. Et à leurs yeux et dans ce contexte, l’Europe, en tant que défenseur des droits, pouvait à juste titre s’opposer contre la politique française en cours. Ce qu’elle n’a pas manqué de faire et les Français ont, finalement, d’autant mieux compris qu’ils en partagent les principes, semble-t-il Notons aussi que toutes les catégories répondent favorablement à la question de savoir si l’UE est dans son rôle, et ce très nettement y compris pour les non-diplômés (55%). Autrement dit, le diplôme n’est plus la variable aussi discriminante qu’il pouvait être pour établir le niveau de libéralisme des individus et ajoutons au niveau de l’acceptation de l’Europe puisque le non au référendum de 2005 a été le fait des non diplomés, des catégories modestes et rurales et… des femmes.
Ces deux sondages visiblement contradictoires recèlent donc des enseignements d’autant plus intéressants qu’ils sont pour le moins inattendus pour certains (le soutien à l’UE), et ce même si d’autres ne font que confirmer une évolution globale de la société (un libéralisme politique accru). Dans cette perspective, il sera intéressant de voir comment les choses vont évoluer sur les dossiers de l’Espace européen de liberté, de sécurité et de Justice. Eulogos ne peut que saluer une évolution qu’elle encorage