Roms : la France présente sa défense à Bruxelles. le gouvernement français a adressé une note à Viviane Reding. La controverse s’efface derrière l’argumentaire, Paris s’efforce de répondre point par point à Viviane Reding.
La France précise sa ligne de défense sur le renvoi de Roms, à quelques jours d’une réunion peut-être décisive de la Commission européenne. Dans une note adressée à Viviane Reding, le gouvernement français s’efforce de répondre aux demandes d’explication et se défend d’avoir violé la loi européenne.
Entre Paris et Bruxelles, l’heure n’est plus à la polémique. Le premier ministre, François Fillon, a tourné la page en notant mardi 22 septembre que «l’incident est clos». Reste le volet juridique. La commissaire Reding entend le mener à son terme, le 29, le Collège entendra un rapport de Mme Reding avant d’engager peut-être une procédure d’infraction. Ce rapport sera un rapport oral et pas nécessairement un rapport écrit avec des conclusions. Ce même jour la commission Libe du parlement européen entendra les trois commissaires concernés : Viviane Reding, Cecilia Malmström, Lazlo Andor. Une procédure d’infraction est le plus souvent une longue procession d’Echternach où les pas en avant succèdent aux pas en arrière et seul un petit nombre aboutit à une saisine de la Cour de Justice et la Commission perd assez rarement son procès car elle reste très précautionneuse avant de s’engager dans une saisine. Pour elle l’essentiel est que l’Etat modifie son comportement et non pas qu’il soit condamné. La note française, dont Le Figaro nous dit qu’il a obtenu une copie traduit la volonté du gouvernement français de jouer sur ce point l’apaisement : elle relève que les questions de Bruxelles sont légitimes, reprenant les paroles mêmes de Nicolas Sarkozy à Bruxelles à la clôture du dernier Sommet du Conseil européen.
La discrimination est le soupçon le plus grave qui pèse sur Paris et l’ouverture d’une telle procédure d’infraction serait une première dans l’UE. Les autorités françaises assurent que «l’ensemble de ces mesures d’évacuation des campements illicites ou d’éloignement s’est déroulé sans viser aucune population, dans le plein respect de la légalité et sous le contrôle étroit du juge». Au passage, la note rappelle que ces mesures «se poursuivront ainsi». Le texte confirme officiellement que les deux ministres dépêchés à Bruxelles cet été, Éric Besson et Pierre Lellouche, sont de bonne foi lorsqu’ils plaident avoir ignoré l’existence de la circulaire préfectorale du 5 août qui ciblait «en priorité les Roms». Cette circulaire a été depuis annulée et remplacée. Ce point qui se veut apaisant a son importance quand on sait que l’ire de la Commissaire aurait été provoquée par le fait d’avoir été bernée par un mensonge par omission. Il est ajouté que «Au demeurant, (elle) n’a eu ni pour objet ni pour effet de créer une quelconque discrimination, contrairement à la crainte que Mme Reding a pu exprimer», soutient l’auteur. L’annulation de la circulaire constitue une première réponse importante allant dans le sens souhaité par la Commission.
Dernier point, Paris assure que le droit français, ses principes généraux et la jurisprudence «répondent en tous points» aux interrogations sur la transposition dans la loi française de la directive européenne sur la liberté de circulation. «En tout état de cause, (les) mesures d’évacuation des campements illicites ont été prises dans le but de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité intérieure dans le cadre des responsabilités qui incombent à notre État, conformément à l’article 72» du traité de Lisbonne. Cette note, en forme d’argumentaire juridique, confirme que le dossier se déplace vers le strict terrain du droit et la libre circulation des personnes, véritable maquis juridique dans lequel et la Commission et plusieurs Etats membres se trouvent empêtrés, il sera difficile de stigmatiser une seul Etat membre. Malgré les critiques, Viviane Reding garde une volonté intacte de vérifier que la France n’a pas enfreint les lois européennes. Mardi, François Fillon était sur la même ligne : «Il est légitime que la Commission vérifie la légalité européenne de la conduite des opérations d’évacuation des campements illicites.»
Sur ce plan la Roumanie a de fortes chances de retrouver l’appui de la Commission : la libre circulation est un principe fondamental et sacré de l’Union européenne et cela depuis le premier jour et les expulsions restent difficilement admises, même en cas de délits. La jurisprudence de la Cour européenne de Justice ne permet pas une grande marge de manœuvre. Le président roumain Traian Basescu a déclaré, mercredi 22 septembre, avoir demandé à son homologue français Nicolas Sarkozy d' »essayer d’arrêter » les expulsions de Roms roumains, lors du conseil européen de jeudi, mais a ajouté n’avoir pas reçu de « réponse claire ». « Les rapatriements ne sont qu’une solution du moment » et pas à long terme, a-t-il souligné. « La Roumanie défendra toujours le droit des Roms de circuler librement en Europe. Ce sont des citoyens européens, et tant qu’il n’y a pas de preuves qu’ils ont enfreint la loi, ils doivent bénéficier des mêmes droits que chaque citoyen européen », martèle le président roumain. Selon lui, un mécanisme européen devrait être mis en place pour aider les municipalités qui voient s’ériger des camps de Roms, que ce soit à l’étranger ou en Roumanie, afin qu’elles puissent favoriser l’accès à l’éducation des enfants et l’accès au marché du travail. Nous retrouvons ici la sortie de toute cette affaire : la politique d’intégration des Roms en Europe, politique qui connait de grosses difficultés mais à laquelle, ni la Roumanie, ni la Bulgarie, ni aucun Etat membre ne sauraient échapper. C’est la raison même de l’Union européenne : son image dans le monde, sa capacité d’influence sont en jeu. La conférence de Bucarest de la mi octobre, la Task Force qui doit remettre son rapport avant la fin de l’année et qui vient de se réunir pour la première fois apporteront elles un début de solution, solution qui nécessairement va demander du temps.
Rares sont les chefs d’Etat européens à avoir clairement apporté leur soutien à la politique d’expulsions menée par le président français. A ce jour, seules l’Italie de Silvio Berlusconi et la République tchèque ont publiquement soutenu Paris. C’est désormais au tour du chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, d’aider le président français, fortement malmené ces dernières semaines. Dans un entretien mercredi au Wall Street Journal, il affirme que les Roms « n’ont pas été expulsés à cause de leur origine ethnique ». « Les mesures ont été adoptées dans le cadre de la loi. Les principes d’intégration doivent fonctionner, mais l’ordre public doit également être respecté dans les camps qui n’ont pas les conditions sanitaires ou sécuritaires adéquates », a-t-il ajouté. C’est la première fois que le chef de l’exécutif espagnol s’exprime aussi clairement sur le sujet. Très reconnaissant du soutien actif de la France dans la lutte anti-ETA et du rôle prépondérant joué par Nicolas Sarkozy pour que l’Espagne puisse participer au G20, il s’était gardé de critiquer le président français lors du conseil européen la semaine dernière. L’Espagne est aussi un pays qui a chez lui un nombre de Roms infiniment plus élevé que la France et la politique menée par l’Espagne n’es t pas montrée du doigt et les incidents proportionnellement moindre et l’opinion publique aussi moins chauffée à blanc.
Peut-on dire que de son côté Angela Merkel durcit son discours sur l’immigration comme l’ont souligné certains commentateurs ? Non pas vraiment ! Elle rappelle les conditions d’une bonne intégration, domaine dans lequel l’Allemagne a beaucoup investi comme l’a déjà signalé Nea Say. Simplement dans un discours prononcé samedi 25 septembre au congrès de la CDU à Mayence elle a exigé que les étrangers apprennent la langue et respectent les lois du pays d’accueil. « Quiconque souhaite vivre dans notre pays doit obéir à ses lois, souhaiter apprendre notre langue et accepter les règles de notre société et tous les articles de notre Constitution », a-t-elle martelé sous les acclamations de l’auditoire. C’est la moindre des choses peut-on être tenté de dire.
« Cela signifie tout – y compris l’égalité des droits pour les femmes – ce qui est dans notre devise (…) », a précisé la chancelière, dont le gouvernement de centre droit CDU-CSU-FDP est distancé de 15 points par l’opposition SPD-Verts dans les sondages d’opinion. Angela Merkel a également prévenu que l’Allemagne attendait des immigrés qu’ils fassent plus d’efforts pour s’intégrer. « L’intégration est un enjeu vital pour l’avenir. Ceux qui veulent vivre ici doivent parler la langue (allemande) », a-t-elle souligné. Les propos tenus par Angela Merkel surviennent dans le sillage de l’affaire Thilo Sarrazin, du nom d’un membre du directoire de la Bundesbank qui a dû récemment démissionner pour avoir écrit un ouvrage accusant les musulmans de miner la société allemande et de vivre aux crochets de l’Etat-providence propos auxquels se sont ajoutées des considérations douteuses. La chancelière, tout comme la majeure partie de l' »establishment » politique outre-Rhin, ont condamné dans un premier temps les thèses défendues par le banquier de la Buba, qui ont suscité un vif débat dans tout le pays.
Placée sous le regard soupçonneux de la Commission européenne pour son traitement des Roms, la France entend bien se défendre de toute discrimination. La Commission a ainsi indiqué, mercred 22 septembrei, avoir reçu des autorités françaises de nouveaux éléments pour son analyse sur la situation des Roms. La Commission, qui annoncera la semaine prochaine si elle engage une procédure contre la France, a refusé de donner des détails mais, selon un document consulté , les autorités françaises ont adressé à la Commission une note sur la circulaire controversée du 5 août ciblant les renvois de Roms. Ce document administratif est devenu la principale pièce à charge, susceptible de justifier l’ouverture éventuelle d’une procédure d’infraction pour application discriminatoire de la législation de 2004 sur la libre circulation. « La circulaire du 5 août n’a eu ni pour objet ni pour effet de créer, contrairement à la crainte que vous avez pu exprimer, une quelconque discrimination », assure Paris. La plupart des camps évacués concernaient des gens du voyage de nationalité française, et non des Roms roumains et bulgares, fait-il valoir. Ajoutons que cette circulaire ayant disparu, les raisons d’engager une procédure d’infraction s’éloignent.
La France est avec une quinzaine d’autres Etats dans le collimateur pour mauvaise transposition d’une législation sur la libre circulation des citoyens européens. Plus embarrassant, elle pourrait également être visée pour application discriminatoire de ce texte. Mais cette décision, qui stigmatiserait Paris, seul, devra être juridiquement inattaquable, bien des juristes hésitent à trancher et à franchir le Rubicon et donc rien n’est encore tranché. La réputation d’arbitre impartial de la Commission est en jeu et son argumentation sera certainement très serrée, évitant la complaisance à l’égard d’un Etat membre important tout autant qu’elle refusera de jeter de l’huile sur le feu et de joindre sa voix à celle des verts et de libéraux du Parlement européen qui commencent à agacer la droite du Parlement (PPE)qui évolue lentement mais évolue vers une position plus raisonnable et la gauche (socialistes) qui estiment qu’en ces temps de crise économique et sociale, le Parlement devrait avoir d’autres priorités et qu’il est grand temps de trouver une issue à ce dossier. Un instant déçu par la modération de Viviane Reding avant son coup d’éclat, le Parlement s’oriente vers une position plus claire de soutien à la Commission : « sur les Roms, la Commission a agi correctement. Nous ne devons pas la critiquer mais l’aider, et je dois l’inviter à s’en tenir à son point de vue », a demandé le chef de file des eurodéputés libéraux, Guy Verhofstadt. De son côté la Commission européenne, quelle que soit sa décision ,devra démontrer qu’elle ne recule pas devant un « grand » pays en abdiquant sur les grands principes et les valeurs dont elle se réclame avec constance mais aussi qu’elle ne poursuit pas une polémique devenue sans objet si sa décision ne blanchit pas totalement la France.