La chancelière allemande Angela Merkel a reçu mercredi 3 novembre 120 élus, ministres et responsables d’associations pour un sommet sur l’intégration, question qui provoque un débat virulent dans le pays. Les participants à cette réunion à la chancellerie ont adopté un plan d’action pour mieux promouvoir l’intégration des 15,6 millions d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère vivants en Allemagne. Dans l’article précédent, nous nous interrogions pour savoir si les propos de la chancelière étaient vraiment scandaleux, à ce stade il semble bien qu’ils ont provoqué une prise de conscience des réalités et suscité la volonté de prendre le problème à bras le corps.
Parmi les mesures figurent notamment une meilleure maîtrise de la langue allemande, cheval de bataille de la chancelière qui y voit la «clé de l’intégration». Le gouvernement doit débloquer de 400 millions d’euros d’ici 2014 pour favoriser l’apprentissage de l’allemand par les enfants d’immigrés.
Le gouvernement entend également augmenter le nombre d’immigrés dans les services publics, notamment dans la police. «Il ne suffit pas d’attendre les candidatures, il faut que nous allions là où se trouvent les enfants immigrés, dans les écoles», a martelé le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière.
Auparavant la chancelière avait réaffirmé que l’intégration, absente du débat politique pendant plusieurs années, était désormais une des ses priorités. Il y a «un très grand besoin de rattrapage», a-t-elle souligné. Or il faut bien admettre que le débat a fait rage en Allemagne antérieurement à l’intervention de la chancelier, depuis la publication par un responsable de la Banque centrale, Thilo Sarrazin, qui a depuis démissionné, d’un pamphlet affirmant par exemple que le pays «s’abrutit» sous le poids des immigrés musulmans. «L’Allemagne court à sa perte» s’est déjà vendu à 1,1 million d’exemplaires. Il dénonce en particulier les faibles qualifications professionnelles des 4 millions de musulmans alors que l’Allemagne, pays vieillissant, aurait grand besoin de main-d’oeuvre étrangère qualifiée. La classe politique a condamné cet ouvrage, mais une majorité d’Allemands approuvent les thèses de Thilo Sarrazin.
Angela Merkel a levé un tabou en affirmant que le modèle multiculturel dans lequel cohabiteraient harmonieusement différentes cultures avait «complètement échoué». Certains dénoncent cependant une stigmatisation des étrangers, en particulier des Turcs, dans ce débat. Mais le débat suite à cette seconde intervention de Angela Merkel prend une autre direction. Après le débat hystérique sur l’immigration et la place de l’islam, le pays veut trouver un peu de sérénité. C’est pourquoi la chancelière a reçu 120 élus, ministres et représentants de la société civile pour un sommet à Berlin pour élaborer un «plan d’action» en faveur des 15,6 millions d’étrangers vivant en Allemagne. «Nous devons rattraper ce que nous n’avons pas fait au cours des trente dernières années», a déclaré la chancelière à l’issue de ce «sommet de l’intégration».
L’Allemagne, dont un habitant sur cinq est pourtant soit étranger soit d’origine étrangère, a toujours du mal à se voir comme un pays d’immigration. En 2000, elle avait franchi une étape historique en renforçant considérablement le droit du sol, qui accorde la nationalité allemande aux enfants nés en Allemagne de parents étrangers. Dans les rangs de l’opposition de gauche, des critiques se sont également élevées contre le fait même d’organiser un tel sommet, qui en est à sa quatrième édition, accusé de constituer «un alibi» pour le gouvernement conservateur-libéral d’Angela Merkel. Pour le maire social-démocrate (SPD, opposition) de Berlin, Klaus Wowereit, ce sommet ne sert qu’à faire «de belles photos de presse arrangées». Car parallèlement, le gouvernement réduit les budgets des services sociaux urbains et de l’éducation interculturelle, dénonce-t-il.
Les arguments la droite ultraconservatrice dénonçant une immigration envahissante et leur manque de volonté à s’intégrer ont été démentis par les faits. Les étrangers sont désormais plus nombreux à quitter l’Allemagne qu’à y entrer: le solde migratoire est négatif depuis 2008. Par ailleurs, leur assiduité aux cours d’intégration financés par l’Etat (cinq cents heures de cours d’allemand, d’histoire et d’éducation civique) est irréprochable. Le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière (CDU), avait avancé en septembre un nombre de «réfractaires à l’intégration» entre 10 et 15%. Un chiffre qui n’a jamais été vérifié. En Saxe, par exemple, on a démontré en 2009 un réfractaire sur 3200 diplômés.
Au contraire, la polémique a fait prendre conscience à l’Allemagne qu’elle avait besoin de l’immigration pour son avenir. Les entreprises font face à un manque cruel de main-d’œuvre qualifiée depuis plusieurs années. «Nous avons besoin de 400 000 ingénieurs supplémentaires. L’Allemagne renonce actuellement à une création de richesse de l’ordre de 25 milliards d’euros, soit 1% de croissance», estime Hans Heinrich Driftmann, président de la chambre de commerce et d’industrie allemande (DIHK).
Dans les soins hospitaliers et les aides à domicile, la pénurie de main-d’œuvre est déjà criante et elle devrait s’accentuer dans les prochaines années. «On ne pourra pas résoudre le problème en recrutant sur le marché du travail allemand», insiste Thomas Greiner, président de la Fédération des aides-soignants. Et de souligner l’urgence du problème en raison du vieillissement de la population: «Nous ne sommes pas les seuls à être confrontés à cette situation en Europe. Il faudra sans aucun doute recruter en Asie», dit-il. Selon lui, l’Allemagne aura besoin de 300 000 aides-soignants dans les prochaines années, dont 77 000 personnels qualifiés.
Les ministres du gouvernement Merkel réclament maintenant un assouplissement du droit des étrangers. Ursula von der Leyen, la ministre du Travail (CDU), veut une loi pour faciliter leur entrée sur le territoire, «quelle que soit leur culture d’origine». La ministre libérale de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger (FDP), réclame une réforme pour éviter les expulsions d’enfants et d’adolescents bien intégrés. «Nous ne pouvons pas discuter d’une immigration contrôlée tout en expulsant ceux qui remplissent les conditions d’une intégration réussie», déplore-t-elle.
Quant à Maria Böhmer, la ministre d’Etat chargée de l’intégration, elle refuse les nouvelles sanctions contre les «réfractaires» réclamées par la droite réactionnaire. Elle veut un accès plus facile des Allemands d’origine étrangère dans les services publics, notamment dans la police et l’enseignement. Enfin, la ministre de la Famille, Kristina Schröder, a débloqué 400 millions d’euros pour les crèches afin d’aider les enfants d’origine étrangère à maîtriser la langue de Goethe avant leur scolarisation.
Pour la ministre de l’Education Annette Schavan (CDU), l’Allemagne doit absolument devenir «plus attractive» pour «attirer les talents du monde entier». Elle prépare un projet de loi permettant une plus large reconnaissance des diplômes étrangers. Plus de 300 000 étrangers pourraient en profiter, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation.