La place des femmes dans les conflits armés ainsi que leur rôle dans les opérations de maintien de la paix furent repensés, il y a dix ans, par la résolution 1325 -adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies le 31 octobre 2000. Le dixième anniversaire de cette résolution annonce le temps des rétrospectives, tantôt heureuses, tantôt amères. Des pistes pour l’avenir espèrent les députés européens rassemblés dans une réunion conjointe de la commission des Femmes (Femm) et de la sous-commission des droits de l’homme le 8 novembre dernier.
DECLARATIONS AMBITIEUSES, REALISATIONS MODESTES
La résolution 1325 (2000) fut novatrice à bien des égards puisque, pour la première fois, les Nations Unies soulignent l’importance d’une approche de genre dans les conflits armés. Les femmes sont dès lors vues comme des agents de changement, et non plus comme de simples statistiques asexuées. Les violences sexistes, et le viol en particulier, se voient reconnaître une place à part dans les situations de conflit ou post-conflit – nécessitant de ce fait une réponse appropriée et spécifique.
Cette résolution fut suivie, en 2008 et 2009, par les Résolutions 1820, 1888 et 1889, contenant les engagements des Etats à lutter contre les violences faites aux femmes, et spécifiquement contre le viol en tant qu’arme de guerre.
Comme le précise Françoise Nduwimana (1), consultante pour le Bureau de la Conseillère spéciale pour la parité entre les sexes et la promotion de la femme (OSAGI), « la résolution 1325 constitue un appel d’engagement de tous les acteurs multilatéraux, régionaux, bilatéraux, et nationaux, incluant la société civile, impliqués dans le règlement des conflits. Sa mise en œuvre repose d’une part sur la définition d’objectifs et de cibles mesurables, et d’autre part, sur l’élaboration de stratégies adéquates et la mobilisation de ressources appropriées ».
Les plans d’actions nationaux sont, entre autres, une façon de mettre en œuvre la Résolution, même si, nuance Mme Nduwimana, « ils ne constituent pas une panacée ».
Une décennie plus tard, quels sont les progrès constatés ?
Si l’on enregistre bel et bien certaines avancées en la matière (2), le constat reste amer. Dix ans après l’adoption de la résolution, et malgré les formules ambitieuses utilisées dans les différents instruments internationaux, il semblerait que la place accordée aux femmes aux tables de négociations soit bien en-deçà des proportions espérées. Parallèlement, les dix dernières années furent, aux termes de Ban Ki-Moon, « entachées d’exemples répétés d’abus » (3). Le Secrétaire Général cite, à cet égard, « les effroyables viols généralisés perpétrés récemment en République démocratique du Congo ».
Si l’indignation envers ce genre de pratique est bien réelle, il n’empêche qu’une rhétorique bien huilée soit parfois préférée à une mise en œuvre effective et concrète. En effet, les discours – louables- se multiplient, sans pour autant faire nécessairement place à des actions tangibles.
En témoignent les différentes déclarations rendues récemment…
A l’occasion d’une conférence de haut niveau tenue le 9 septembre 2010 à Bruxelles afin de marquer le dixième anniversaire de la résolution 1325 (4), Alain Leroy, chef du département des opérations de maintien de la paix des Nations unies, et Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la paix en 2003, ont « appelé à une plus grande responsabilisation et à un meilleur suivi du respect des droits des femmes dans les conflits armés, notamment par le Conseil de sécurité des Nations unies », ont souligné « la nécessité d’accroître la participation des femmes aux opérations visant à assurer la paix et la sécurité internationales » et ont exigé « qu’il soit mis fin à l’impunité dont jouissent les auteurs d’actes de violence commis contre des femmes dans les conflits armés », reprenant presque mot pour mot le texte de la Résolution.
De la même manière, les 15 et 16 septembre 2010 étaient tenus à Genève des rencontres dont « le résultat final prendra la forme d’une série de recommandations qui constitueront la contribution de l’UE à la discussion ministérielle de haut niveau de l’ONU organisée par la Conseil de Sécurité à New-York en octobre » (5).
Le 26 octobre 2010, à l’occasion d’un débat public tenu au Conseil de sécurité, Pedro Serrano (Chef de la délégation de l’Union Européenne auprès des Nations Unies) a exhorté le Conseil à « mettre fin à l’impunité des auteurs de crimes sexuels, y compris les dirigeants de groupes armés qui encouragent le recours à ces actes en tant qu’armes de guerre », estimant que « le Conseil devrait inclure la lutte contre la violence sexuelle dans tous les mandats de ses comités de sanctions » (6).
Dix ans plus tard, donc, il semblerait que la plupart des objectifs de la résolution 1325 ne sont pas atteints. Lourde machine difficile à mettre en marche ? Manque de volonté de la part d’Etats qui estiment, dans certains cas, que la question du genre n’est pas une priorité absolue ? Soutiens financiers insuffisants ?
Si ces raisonnements peuvent en partie expliquer le maigre résultat obtenu, une autre explication réside dans l’absence d’indicateurs permettant d’évaluer le chemin parcouru et les actions engagées. Il est en effet « difficile de quantifier les progrès enregistrés [car] nous manquons de méthodes appropriées pour mesurer les résultats de notre action » (7), souligne le Secrétaire Général Ban Ki-Moon.
En tant que « l’un des suppléments les plus constructifs aux instruments de la résolution 1325 », cet ensemble d’indicateurs constituerait, en tout état de cause, un pas de géant vers la réalisation des buts poursuivis (8). En effet, « la mise en œuvre de la résolution 1325 doit faire l’objet d’une rationalisation et être suivie de près en utilisant un ensemble d’indicateurs appropriés (…) C’est alors seulement que la résolution 1325 pourra réaliser la promesse prise lorsqu’elle a été conçue il y a dix ans » (9).
Si, au niveau des Nations Unies, le Conseil de sécurité n’a pas encore adopté ces indicateurs -pourtant présentés au mois d’avril 2010- l’Union Européenne dispose, elle, de cet outil précieux depuis le mois de juillet.
DES PISTES POUR L’AVENIR ?
La séance conjointe entre la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres (FEMM) et la sous-commission droits de l’homme (DROI) qui se tint le 8 novembre dernier fut l’occasion de mettre en exergue les progrès à faire, notamment de la part de l’UE et du Parlement.
Mme Giji Gya, venue présenter un projet d’étude établi à la demande de la sous-commission DROI propose ainsi diverses pistes à suivre, certaines évidentes, d’autres plus surprenantes.
Assez naturellement, Giji Gya encourage le Parlement à jouer un rôle de catalyseur et à mettre en place une véritable politique de leadership. Elle déplore à ce propos un manque de mise en œuvre systématique au niveau européen, ainsi qu’une absence de liens entre court terme et long terme.
Le problème, note-t-elle, est que l’harmonisation est quasiment inexistante, et ce malgré une prolifération d’actions communes (par le biais des missions de la PCSD – Politique commune en matière de sécurité et de défense). Bien que le déploiement de l’action soit du ressort des Etats-membres, Giji Gya plaide donc en faveur d’une normalisation de la part de l’Union Européenne.
Les réseaux de femmes et les ONG étant les principaux acteurs du changement sur le terrain, il est également essentiel de se doter de structures efficaces –par le truchement, entre autres, d’un soutien financier de la part du Parlement- qui permettraient à leur démarche de rencontrer de meilleures conditions d’action.
Margot Wallström, nommée le 2 février 2010 Représentante spéciale pour la violence sexuelle dans les conflits, a réalisé un inventaire des pratiques en matière de maintien de la paix, un guide « d’excellente facture » qui pourrait servir à l’Union Européenne lors de ses missions. Ce livre, qualifié de « chaînon manquant » par Giji Gya, reprend en effet tous les aspects du maintien de la paix, et est ventilé de manière très intéressante pour les députés et les personnes de terrain.
Un autre progrès potentiel relevé par Giji Gya se trouve dans la méconnaissance du lien entre violences contre les femmes et prolifération des armes. La question hommes/femmes serait, selon l’étude réalisée par Giji Gya, étroitement liée à la problématique du commerce des armes.
En conclusion, une meilleure exécution de la résolution 1325 au niveau européen passerait par plusieurs pôles essentiels : la création d’une véritable architecture de la question de genre, une promotion accrue du gender mainstreaming (10), et la mise en place de structures financières et organiques.
Fanny Davoise
- Dans un rapport intitulé « La Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité : Comprendre les implications, remplir les obligations », datant du 21/04/2010 ; voir http://www.un.org/womenwatch/osagi/cdrom/documents/Background_Paper_Africa_fr.pdf
2. Citons à titre d’exemple la création d’ONU-Femmes, la nomination d’onze femmes aux postes de Représentantes spéciales ou Représentantes spéciales adjointes du Secrétaire général dans les opérations de maintien de la paix et les missions politiques spéciales, ou encore la multiplication des plans d’action au niveau national.
3. Voir « Ban Ki-Moon rappelle que la Résolution 1325 (2000) a reconnu le rôle des femmes comme agents de changement en matière de paix et de sécurité », sur http://www.un.org/News/fr-press/docs/2010/SGSM13202.doc.htm.
4. Voir http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/116364.pdf.
6. Voir “Près de 90 orateurs s’expriment au Conseil de Sécurité à l’occasion du dixième anniversaire de la Résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité” sur http://www.un.org/News/fr-press/docs/2010/CS10071.doc.htm
7. Ibidem.
8. Toujours selon Ban Ki-Moon, « les indicateurs vont nous permettre d’identifier les progrès réalisés et de fournir au Conseil des informations systématiques et comparables pour assurer un suivi et une responsabilisation efficaces ».
9. « Les conflits armés et les femmes – La résolution 1325 du Conseil de sécurité : dix ans d’existence », par Rachel Mayanja, Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la parité des sexes et la promotion de la femme.
10. Défini par les Nations Unies comme étant une « globally accepted strategy for promoting gender equality ». Le gender mainstreaming n’est pas une fin en soi mais bien une stratégie, une approche, un moyen d’atteindre le but qu’est l’égalité. Voir http://www.un.org/womenwatch/osagi/gendermainstreaming.htm .