L’ambassade des Etats-Unis à Paris s’est intéressée de très près à la loi Hadopi (qui sanctionne les internautes coupables de téléchargements illicites), car en France, comme ailleurs, la majorité de la musique et des films piratés sont américains.
Les diplomates ont d’abord suivi les diverses péripéties parlementaires autour du projet de loi avec étonnement, qualifiant le comportement des députés français de « théâtre de l’absurde ». Ils sont alors entrés en relation avec un conseiller juridique du ministre de la culture, qui leur racontait le cheminement du projet et tentait de les rassurer sur la victoire finale.
L’ambassade travaillait aussi en liaison constante avec les grandes associations de l’industrie américaine du show business, notamment la MPAA (Motion Picture Association of America) et la RIA (Recording Industry Association). Le vote de la loi Hadopi était pour elles une « priorité très importante », d’autant qu’elle pourrait servir d’exemple aux autres pays européens. Le représentant de MPAA à Bruxelles était très présent dans les couloirs du Parlement et aux réunions des commissions parlementaires, ce que ne révèle pas WeakiLeaks
En ce qui concerne le dernier volet du dispositif, la création d’une « carte » subventionnée pour inciter les jeunes à fréquenter les sites payants de téléchargement légal (un système qui profitera en priorité aux producteurs et distributeurs américains), les diplomates sont optimistes, car le dossier est en de très bonnes mains : « le ministre Mitterrand a nommé Patrick Zelnik, directeur du label français indépendant Naïve, qui produit la musique de Carla Bruni. »
De son côté, la BSA (Business Software Alliance), association chargée de lutter contre le piratage de logiciels, souhaitait profiter du projet Hadopi pour faire abroger l’article 15 d’une autre loi, dite « Création et Internet », votée en 2006. La BSA n’a jamais aimé l’article 15, qui oblige les éditeurs de logiciels de verrouillage (servant à empêcher les copies illicites) à livrer aux autorités françaises leur code source – c’est-à-dire leurs secrets de fabrication. Les diplomates relativisent le problème : l’article 15 ne dérange personne, car l’administration française n’a jamais essayé de l’appliquer. De fait, le projet Hadopi n’abolit pas l’article 15, mais il atténue sa portée : les éditeurs devront livrer leur code-source sur demande, au coup par coup, et non plus systématiquement. Sur cet aspect du dossier, l’ambassade américaine est en contact avec des conseillers des ministères de la culture et de l’économie numérique, ainsi qu’avec le secrétaire général de l’Autorité de régulation des mesures techniques. Les Français essaient de rassurer leurs interlocuteurs américains, en leur répétant que le gouvernement n’a « aucun appétit » pour faire appliquer l’article 15. Ils expliquent que l’abrogation pure et simple de cette disposition aurait compliqué les relations entre le gouvernement et le Parlement, mais ils pensent avoir la solution : le nouveau texte restera très flou sur les modalités pratiques, ce qui permettra à tout le monde de « laisser la mesure se languir ».
Quand la loi Hadopi est enfin promulguée, les diplomates américains remarquent que la France s’est dotée d’un arsenal répressif plus dur que celui des Etats-Unis. Parallèlement, l’ambassade des Etats-Unis à Madrid avait présenté le projet français au gouvernement espagnol, pour l’inciter à s’en inspirer. La pression des Etats-Unis sur l’Espagne est permanente, car les associations professionnelles du show business affirment, chiffres à l’appui, que c’est le pays d’Europe où le piratage sur Internet est le plus massif.
Pourtant, les Américains ont du mal à imposer leur point de vue aux Espagnols. En octobre 2009, lors d’une réunion à la chambre de commerce américaine de Madrid, un secrétaire d’Etat du ministre de la culture conteste les accusations américaines, les qualifiant de « légendes urbaines ». La contre-attaque est déjà prête : le secrétaire d’Etat est invité à Washington pour rencontrer les représentants des industries de la musique et du cinéma. A son retour, il sera peut-être plus ouvert aux suggestions américaines.
Peu avare des détails WeakiLeaks nous apprend qu’à la même période, le directeur de la MPAA, Dan Glicksman, vient à Madrid pour discuter avec les ministres espagnols de la culture et de l’industrie. Ils lui annoncent qu’ils sont décidés à agir contre le piratage, mais qu’ils appliqueront un « modèle espagnol », « plus démocratique » que la loi française. Il consistera à bloquer les sites de téléchargement illicite, sans s’attaquer aux internautes de base qui piratent à petite échelle. Les Américains considèrent qu’il s’agit d’un premier pas, mais qu’il faut maintenir la pression pour inciter l’Espagne à proposer des mesures plus répressives.