Disons le d’emblée, en matière de migrants, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la seconde vague, la première se situant entre 1880 et 1930. Le migrant est devenu un « acteur » de la société mondialisée mais le droit universel à migrer reste à inventer. Il est loin d’avoir acquis un statut de citoyen à part entière et reste, aux yeux des Etats souverains, une personne souvent privée de droits bien que peu à peu et particulièrement au cours de ces dernières années, il en a acquis un certain nombre. Le phénomène migratoire apparaît comme « un enjeu dans les relations internationales » mais sa diplomatie est en construction. L’Union européenne a beaucoup progressé sur ce plan mais encore imparfaitement dans les réponses apportées au jour le jour pour preuve les incidents souvent dramatiques. En vingt ans on a assisté là aussi à la mondialisation des flux migratoires et à leur régionalisation : globalisation et complexité accrue vont de pair. A l’origine les populations et le pays d’accueil avaient la familiarité, très imparfaite et injuste certes mais réelle, de la colonisation. Cette familiarité relative à disparu et dans le même temps la diversité des pays d’origine a grandi : elle s’est mondialisée. L’ordre politique interne des pays d’accueil et l’ordre politique externe se bousculent. Souveraineté des Etats et citoyenneté se heurtent. Pensons à l’épisode des Roms qui virent des ministres français s’opposer, contester la Commission européenne, défier le droit européen. De nouvelles catégories politiques apparaissent fondées sur le religieux, (dans une Europe malgré tout et avec des nuances non négligeables, laïc) l’ethnicité, le droit d’avoir des droits (cas des sans papiers). C’est bouleversant quand on y pense. Un nouvel espace mondial se construit sur l’ancien ordre souvent qualifié de « westphalien » qui est malmené, mais loin d’être détruit. Dans le processus migratoire, l’Etat n’est plus l’acteur exclusif. La citoyenneté doit être revisitée et la souveraineté est mise en question ! De quoi être saisi par le vertige, c’est évident. Et d’en perdre la raison ! d’où la prolifération des souverainistes et partis manifestement xénophobes et racistes confortés par leurs succès électoraux, non négligeables.
L’enjeu est considérable : la citoyenneté comme la souveraineté des Etats sont remises en cause insidieusement, jour après jour: pour les uns la migration fait perdre la raison et pour beaucoup la migration est devenue une stratégie d’adaptation. Cette remise en cause n’est plus le fait du commerce ou de l’économique auquel on s’est habitué. Replis identitaires, islamismes et islamophobies se ousculent et s’entrechoquent et rendent difficile la cohabitation dans les grandes citées . S’entrechoquent approches sécuritaires et droit à la mobilité, un droit géré par une gouvernance mondiale des droits de l’homme, mais encore largement inexistante et une gouvernance européenne réelle mais contestée en son sein. Le vieillissement des populations d’origine européenne pose le problème de leur renouvellement et de leur bon fonctionnement : pour les populations vieillissantes les migrations sont un défi insupportable et une chance incommensurable.
Il fallait Catherine Wihtol de Wenden pour s’attaquer à la géopolitique des migrations, avec « la question migratoire au XXIe siècle » (1) elle livre là un ouvrage de référence sur des thématiques qui vont marquer le débat pour les années à venir. Elle examine le sujet sur touts ses aspects, dessinant un état des lieux scientifique et politique de cette question migratoire qui embarrasse et perturbe. C’est un peu le caillou dans la chaussure qui empêche d’avancer confortablement : le scandale comme l’indique l’étymologie.
Avec 214 millions de migrants internationaux « et 740 millions de millions de migrants internes », la migration demeure un phénomène modeste puisqu’elle ne concerne que 3,1 % de la population mondiale. Mais ce nombre a triplé en quarante ans et les migrations qui n’impliquaient que quelques zones géographiques touchent désormais toute la planète avec des pays de départ, des pays d’accueil mais aussi des pays de transit, les frontières entre les trois catégories s’estompant peu à peu. Le passage par le pays de transit complique singulièrement les choses. La familiarité, une relative proximité qui pouvaient exister pour les générations plus anciennes s’estompent largement. Le profil des migrants s’est diversifié tandis que les causes des migrations aussi : les facteurs environnementaux sont ainsi venus s’ajouter à tous les autres. Le droit à la mobilité commence à s’imposer dans un monde où domine la libre circulation des marchandises. Pourquoi les marchandises et pas les hommes ? et les hommes accompagnent souvent les marchandises, c’est bien connu et cela depuis les origines de l’humanité.
En toute logique, démontre Mme Wihtol de Wenden, la mondialisation des flux « met en échec les frontières nationales » qui sont le symbole même de la souveraineté des Etats. « Si l’on définit la mondialisation comme l’aboutissement de l’internationalisation à un stade de développement où les barrières s’estompent (…) faisant communiquer des réseaux, des solidarités et où les interdépendances sont croissantes, on peut considérer que les flux migratoires sont entrés dans ce processus », écrit-elle. Or, les Etats sont en retard par rapport à ce phénomène, les migrations restant examinées sous l’angle des flux et des capacités d’intégration des migrants.
La citoyenneté est, avec la souveraineté, l’autre concept malmené par les migrations internationales. « La plupart des pays européens ont été confrontés, dans les années 1990, à de grands débats sur la réforme de la nationalité », rappelle Mme Wihtol de Wenden. Le Canada et l’Australie ont changé leur conception de la citoyenneté en y « introduisant le multiculturalisme ». Mais certains de ces migrants souffrent pour les uns de représentation au niveau des Etats et pour les autres d’absence de droits. Constatons que dans l’Union européenne de plus en plus les migrants de longue durée bénéficient de certains droits politiques notamment de représentation, d’être élus. Imparfaits et récents ces droits ont leurs mérites.
Enfin, la gouvernance mondiale des migrations émerge tout juste depuis les années 2000. Avec la création du Forum mondial sur la migration et le développement, dont la première édition s’est tenue en 2007 à Bruxelles en présence de représentants de 156 Etats membres, la migration « est sortie du champ bilatéral pour faire l’objet d’une plate-forme mondiale ». D’autres « Forum » ont succédé à celui de Bruxelles. Mais cette construction politique, élaborée hors du système de l’ONU, est fragile, aucun Etat ne souhaitant se voir imposer un cadre supranational de régulation. Même au niveau, pourtant familier de l’Europe, les résistances ultimes s’accrochent, persistent dans un ultime combat d’arrière garde. L’épisode des Roms en est un cas quasi emblématique. Les transformations politiques liées aux migrations ne font que commencer. Regrettons que d’année en année le Forum mondial perde de sa visibilité, de sa notoriété.
Seule, peut-être, l’Union européenne pourrait bâtir la maison du futur dont les plans sont plus qu’esquissés. Elle a fait pour elle-même un effort encore largement inachevé de définition d’une nouvelle citoyenneté européenne, peut-elle pourrait-elle entreprendre la construction d’une citoyenneté pour les ressortissants de pays tiers, des éléments préexistent, encore inachevés eux aussi et sans un ciment les liant ensemble. La citoyenneté européenne existe mais ne remplace pas la citoyenneté d’origine et on ne peut avoir celle-ci sans avoir celle-là, peut-être pourrait-on imaginer une nouvelle citoyenneté d’un troisième niveau qui ne se subsisterait pas aux deux autres mais donnerait des droits authentiques et irait plus loin que le simple droit de résidence, de circuler, de s’établir, de travailler, d’être soigné etc. Certains existent d’ores et déjà ; il conviendrait de les développer, de les systématiser et surtout de leur donner de la visibilité. Incontestablement la conception de citoyenneté doit être revisitée. Dans un monde que Catherine Wihtol de Wenden qualifie « de liquide », des citoyennetés multiples seraient envisageables. Des droits préexistent, nous ne partons pas de rien : un simple apport de visibilité plus grande, de cohérence plus assurée par un ciment d’un nouveau type : une citoyenneté européenne revisitée qui intégrerait cette citoyenneté de troisième type qui viendrait s’ajouter à la citoyenneté nationale originelle et à la citoyenneté européenne dérivée de la première. Le programme de Stockholm est en route, profitons en pour lui faire franchir un saut qualitatif important.
(1)Catherine Wihtol de Wende : La question migratoire au XXIe siècle ; SciencesPo. Les presses
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