Les journaux hongrois du Nepszava et le Magyar Narancs avaient ensemble début décembre publié une édition avec la « Une » complètement vierge pour marquer leur désapprobation. Après l’adoption de la loi, une manifestation dans la soirée a réuni 1.500 personnes venues contester le bien-fondé de la nouvelle loi. La liberté de la presse est une question traditionnellement sensible en Hongrie. C’est en effet sur ce sujet qu’avait commencé la révolution de 1848.
Mais l’attaque la plus forte contre cette nouvelle loi vient d’un autre pays de l’Union européenne. Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, a déclaré que cette loi allait « à l’encontre des valeurs européennes » dans une interview accordée à Reuters. »C’est un danger direct pour la démocratie. L’Etat contrôlera l’opinion ». Il fait même le parallèle avec la Biélorussie: « jusqu’à maintenant, Alexandre Loukachenko était considéré comme le dernier dictateur en Europe. Lorsque cette loi entrera en vigueur, ce ne sera plus le cas », a-t-il dit. « Cela soulève la question de savoir si un tel pays est digne de diriger l’UE » a déclaré Jean Asselborn en faisant référence à la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne qui commence au 1er janvier 2011. Pourtant le gouvernement hongrois affirme que son texte est conforme aux normes européennes.
Reporter sans Frontières, par le biais d’Olivier Basille, s’inquiète: « il s’agit d’un problème croissant en Europe. Il n’y a pas d’Etat membre qui aille dans la bonne direction en terme de liberté des médias. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, la marche arrière est enclenchée ».
Effectivement, la liberté des médias en Europe fait débat. Dans plusieurs Etats européens, la question de la liberté de la presse fait débat. En Irlande, une nouvelle loi entrée en vigueur le 1er janvier 2010 condamne le blasphème dans la presse par une amende pouvant aller jusqu’à 25.000 €. Le gouvernement avait défendu la mesure comme étant nécessaire pour protéger la diversité croissante des confessions religieuses, en faisant valoir que la protection constitutionnelle ne s’appliquait depuis 1936 que pour les chrétiens. En France, la nomination directe par le président de la République du président des chaînes publiques de télévision a créé beaucoup d’interrogations dans les rangs de l’opposition. L’Italie de Silvio Berlusconi a aussi connu en 2010 une polémique sur la « loi bâillon » pour contrôler les publications sur les sites de partage de vidéos comme Youtube. Le « Cavaliere » du fait son parcours professionnel a déjà la majorité des médias à sa main. Le Parlement européen a débattu à plusieurs reprises du cas italien (cf. Nea say). En Slovaquie, une loi de 2008 sur la presse supprimait la possibilité de réclamer un droit de réponse.
Sur ce point la Commission est restée extrêmement prudente malgré le harcèlement de questions de la part des journalistes
La prudence de la Commission reste d’une très (trop) grande prudence alors que les trois partis d’opposition au parlement hongrois – les socialistes de gauche et les Verts ainsi que le parti d’extrême droite, Jobbik – ont fait appel contre cette loi devant la Cour constitutionnelle du pays, mais les chances de succès sont minces. En effet, les règles de nomination de la cour ont été changées pendant l’été, ce qui a permis la victoire de Fidesz aux élections et le parti détient désormais le soutien de la majorité des juges. Le groupe parlementaire Fidesz a rapidement réduit les pouvoirs de la Cour par un autre amendement constitutionnel après que des juges aient voté contre une taxe rétroactive sur les particuliers. Une dizaine d’amendements à la Constitution a été introduite. Dans un tel contexte un porte parole de la Commission européenne a eu du mal à répondre aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse le 22 décembre.
« A cette étape, ce que je peux vous dire, c’est que dans sa capacité de gardienne des Traités de l’UE, la Commission va faire un suivi et nous évaluerons la situation en ce qui concerne les principes [de l’Union] et la législation européenne », a dit le porte parole. Il a refusé de commenter davantage lorsque les journalistes lui ont demandé de spécifier quelle législation européenne serait utilisée par la Commission pour examiner la nouvelle loi hongroise.
Lorenzo Consoli, de l’International Press Association et son ancien président et s’exprimant en son nom et en concertation avec l’actuelle présidente (API/IPA) à Bruxelles a exprimé son inquiétude face à la réaction tardive de la Commission. D’autres journalistes ont observé que le ministre des affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, avait dit que la nouvelle loi « violait clairement l’esprit et le caractère des traités de l’UE », et ont demandé confirmation. Ils n’ont toutefois pas reçu de réponse et le porte parole a refusé de dire quand la Commission achèverait son examen de la loi hongroise. « Finirez-vous avant la fin de la présidence hongroise ? » a demandé l’un des journalistes.
Une des nouvelles lois hongroises crée un nouveau Conseil Média élu par le parlement. Le président de cet organisme sera nommé pour neuf ans par le premier ministre et le leader du parti Fidesz, Viktor Orban. Annamária Szalai, un membre de Fidesz qui a été nommée pour cette position, est soutenue par un conseil trié sur le volet par le parti dirigeant et aura le pouvoir de donner des amendes pouvant aller jusqu’à 200 millions de forints (environ 700 000 euros) aux radios et de télévisions pour des reportages « partiaux ». D’autres amendes peuvent atteindre les 25 millions de forints (90 000 euros) pour les journaux nationaux et les sites web, et 10 millions de forints (36 000 euros) pour les hebdomadaires. Le Conseil, a des pouvoirs exorbitants en termes de contrôle, d’amendes, de réglementation, quasiment légiférer par décrets, de suspension des organes de presse ou de médias. Le secret des sources n’est plus protégé au nom de l’ordre public ou de la sécurité nationale. Le secteur public de la presse et des médias est restructuré.
Interrogé sur la situation de la liberté de la presse dans son pays, le ministre des affaires étrangères hongrois, János Martonyi, a conseillé à la presse bruxelloise de « vérifier la réalité derrière certaines rumeurs ». Il a insisté sur le fait que les médias ne recevraient d’amendes que s’il y avait un arrêt de la cour contre leurs couvertures.
Le débat a pris assez rapidement une tournure animée, notamment concernant l’attitude du « deux poids, deux mesures » selon que l’on était membre de l’UE ou pays candidat ou pays tiers. Selon plusieurs rapports, la liberté des médias a décliné de manière dramatique dans plusieurs pays de l’UE. Freedom House, http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=16 a récemment classé tous les pays candidats à l’adhésion européenne dans la catégorie « partiellement libres » par rapport à la liberté de la presse, aux côtés du Bhoutan et du Nigeria. La Bulgarie et la Roumanie, membres de l’UE, font également partie de ce triste classement.
L’émotion est telle qu’un responsable du parti FIDESZ a laissé entendre qu’il n’est pas impossible que certaines de ces dispositions soient finalement amendées. Les protestations ne font que commencer, à noter parmi les plus récentes et les plus importantes celles de Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen, ou l’Allemagne. »Le temps de la Pravda (organe du parti communiste soviétique) est révolu », s’est insurgé M. Verhofstadt. « La nouvelle loi est inacceptable. La Hongrie doit s’expliquer et la Commission européenne doit agir », a-t-il dit. La loi en question « est contraire à toutes les normes européennes », a estimé M. Verhofstadt. « Aucun Etat de l’UE ne peut être autorisé, au nom de questions de sécurité nationale indéfinies, à restreindre les libertés qui sont au coeur de nos valeurs européennes », a-t-il ajouté. L’Allemagne a soutenu la position de l’OSCE. « En tant que pays qui va prendre la présidence de l’UE, la Hongrie assume une responsabilité particulière pour l’image de l’ensemble de l’Union dans le monde », a insisté le porte-parole adjoint du gouvernement allemand, Christoph Steegmans. La nouvelle loi doit entrer en vigueur le 1er janvier. Dernière réaction en date, mais non la moindre, le groupe socialiste du Parlement européen qui déjà en novembre lors de sa réunion à Sofia avait marqué sa préoccupation, vient, par la voix de son président Martin Schulz, de demander à la commission de libertés publiques, LIBE, d’instruire le dossier et de vérifier la compatibilité des mesures hongroises avec les articles 2 et 7 des Traités, ainsi qu’avec la Charte européenne des droits fondamentaux. L’éditorialiste du Washington Post, Anne Appelbaum, exprime à son tour ses inquiétudes les plus vives: l’Europe filerait un mauvais coton ! http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/12/27/AR2010122702864.html?wpisrc=nl_opinions
Le classement mondial de la liberté de la Presse 2010 par Reporters sans frontières http://www.rsf.org/IMG/CLASSEMENT_2011/FR/CP_GENERAL_VERSION_EU.pdf