…Impavide elle n’entend pas modifier sa position : bien au contraire ! Après le Luxembourg, l’Allemagne…la France rejoint le camp des opposants déclarés à la loi hongroise. La rencontre entre la Commission européenne et le gouvernement hongrois ne pourra mettre un terme à un différend d’une exceptionnelle gravité et pas seulement en raison de son exposition médiatique, mais aussi de son enjeu politique.
La présidence hongroise de l’Union européenne est entrée en zone de turbulences dès son premier jour avec l’annonce par Bruxelles d’une enquête sur la légalité de « l’impôt de crise » imposé par Budapest à divers secteurs économiques. Concernant la liberté des médias : la commissaire Kroes demande des clarifications. Atmosphère tendue. Il n’a pas été répondu clairement à la question des journalistes pour savoir si la traditionnelle réunion entre la présidence et la Commission qui doit avoir lieu dans la deuxième moitié de la semaine sera mise à profit pour explorer une voie d’apaisement. Mais la probabilité est faible.
Large vainqueur des élections législatives du 25 avril, le gouvernement de Viktor Orban s’appuie sur une confortable majorité au parlement, supérieure à deux tiers des sièges, et justifie sa politique au nom de l’intérêt national hongrois. Sa nouvelle législation sur les médias a suscité les vives critiques de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et du Luxembourg, dont le chef de la diplomatie s’est ouvertement posé la question de savoir si Budapest méritait de présider l’UE. (cf. Nea say N° 100). Cette loi a institué une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH), un nouvel organe de régulation majoritairement contrôlé par des membres du parti au pouvoir, le Fidesz. La NMHH supervise l’ensemble de la production des médias publics et peut infliger de lourdes amendes aux médias privés, qui sont tenus d’être « équilibrés ».
Les adversaires du texte dénoncent une loi aux contours flous qui pourrait ouvrir la voie à des abus. Dans un communiqué, le ministère de l’Administration publique et de la Justice a réfuté point par point les critiques exprimées par les médias en Europe de l’Ouest, qui « manquent apparemment de connaissance approfondie du texte ». « Le gouvernement hongrois reste déterminé à garantir la liberté de la presse et n’a aucunement l’intention d’étouffer les points de vue de l’opposition », dit-il. Budapest se félicite de la décision de l’UE d’examiner la législation et se dit convaincu qu’elle sera jugée conforme aux normes européennes. « La liberté de la presse a cessé d’exister en Hongrie », proclame en revanche le quotidien de centre gauche Nepszabadsag lundi 3 janvier en première page, un titre traduit dans les 23 langues de l’UE.
Face à la réaction hongroise, les journalistes présents en salle de presse de la Commission en ont tiré la conclusion, provisoire, que la demande de clarification de la vice-présidente Kroes n’avait produit aucun effet sur les nouvelles autorités hongroises. Alors qu’il faut bien admettre que cette loi est sans précédent dans l’UE. Rappelons, une nouvelle fois, que le NMHH supervise l’ensemble de la production des médias publics et peut infliger de lourdes amendes aux médias privés (jusqu’à 730 000 euros) en cas « d’atteinte à l’intérêt public, l’ordre public et la morale », sans que ces atteintes soient clairement définies. Elle permet aussi à la NMHH d’avoir accès aux documents des organes de presse et de contraindre les journalistes à révéler leurs sources sur les questions relevant de la sécurité nationale.
La commissaire européenne en charge de l’économie numérique, Neelie Kroes, a écrit « peu avant Noël » aux autorités hongroises, immédiatement après la promulgation de la loi (elle ne pouvait en droit le faire avant) pour leur exprimer ses « inquiétudes », a précisé le porte-parole lors d’un point presse, lundi 3 janvier. Mme Kroes a « des doutes sur la capacité de la NMHH d’agir de manière indépendante, notamment du fait de sa composition », a-t-il souligné. Mme Kroes fait également part de ses « doutes sur la bonne transposition de tous les aspects de la directive » européenne sur les télécommunications qu’elle est censée traduire en droit hongrois. Mme Kroes a aussi, comme il se doit, demandé que notification de la loi soit transmise à la Commission, ce que les autorités hongroises se sont engagées, bien évidemment, à faire dans les meilleurs délais dès que les traductions seront achevées. Il convient de préciser qu’à ce stade il s’agit simplement d’une demande précise de clarification par la commissaire en charge du dossier et non d’une mise en demeure avec ouverture formelle de la procédure d’infraction qui, elle, exige une délibération du collège des commissaires : c’est la Commission qui prend la décision. Toute cette procédure exige une instruction minutieuse, détaillée, parfois longue, du dossier : cf. dans Nea say la description du fonctionnement de la procédure d’infraction à l’occasion de l’affaire française des Roms de l’été dernier. Finalement la procédure d’infraction n’a pas été ouverte contre la France, celle-ci ayant consenti à donner un certain nombre de garanties, mais elle reste sous une surveillance comme a tenu à le souligner, récemment encore, Viviane Reding, la vice-présidente de la Commission en charge du dossier. Dernière interrogation : pourquoi ne se pose-t-on pas la question de la violation éventuelle de la Charte des droits fondamentaux ? La réponse est claire : la directive met en jeux des éléments prescriptifs, précis, concrets, nombreux : il est relativement aisé de construire un dossier irréfutable, y compris devant la Cour de justice européenne. La Charte met en jeu, elle, des principes quasi constitutionnels d’un maniement infiniment plus délicat pour une efficacité qui n’est pas totalement garantie : la sanction n’est plus modifier le dispositif juridique de la transposition, mais , éventuellement, la mise en œuvre complexe et inédite de l’article 7 des traités, dont on a pu mesurer avec le cas autrichien les difficultés et les effets contre productifs. Le succès indiscutable, la rapidité ne seraient pas nécessairement au rendez-vous. La comparaison plaide incontestablement en faveur de la procédure éventuelle d’infraction, si la Hongrie persistait dans l’erreur. En fin et on a trop tendance à l’oublier, la Charte des droits fondamentaux est celle de l’Union européenne et elle ne produit ses effets que si le droit de l’Union ou les actes engagés au nom de l’Union sont en cause
Or il semble bien que telle est son intention.
Budapest persiste et signe. Malgré un flot de critiques concernant ses nouvelles lois dirigées contre la presse et les investisseurs étrangers, la Hongrie, qui assume depuis le 1er janvier la présidence tournante de l’Union européenne (UE), ne compte pas assouplir sa politique. « Il ne faut pas modifier une loi hongroise juste parce qu’elle est sujette à des critiques étrangères » a déclaré le secrétaire d’Etat Zoltan Kovacs responsable de la communication : « avant de critiquer, attendons de voir comment fonctionne cette loi, nous n’avons aucun doute qu’elle sera à la hauteur de l’épreuve »
Le nombre de ses opposants grandit : dernier en date le porte-parole du gouvernement français, François Baroin, pour qui la loi doit être changée. Rompant avec l’attitude prudente qui était la sienne, le gouvernement français a pris ses distances avec un texte considéré par son porte-parole comme « incompatible avec l’application d’une certaine idée de la liberté de la presse, validées par tous les traités européens » « La position que j’exprime aujourd’hui pour le gouvernement, la position de tous les gouvernements, doit être de nature suffisamment forte sur le plan politique et diplomatique pour permettre au gouvernement hongrois d’avoir une présidence sereine en mettant entre parenthèse ce texte ». Chacun a retenu que dans son esprit la loi devait au bout du compte être changée mais personne n’a suivi sur le plan juridique le concept, obscur, de mise entre parenthèses, pendant le temps de la présidence, la loi et l’instruction du dossier pouvant aller jusqu’à l’ouverture d’une procédure d’infraction : ce ne serait pas la première fois qu’un pays assurant la présidence est mis en infraction. Le porte-parole de la Commission n’a cessé de martelé en salle de presse, jour après jour, qu’il n’y a pas de synchronisation imaginable entre l’exercice de la présidence et l’ouverture d’une procédure d’infraction, chacun ayant sa logique propre, son propre fondement juridique, son rythme, son calendrier. L’ensemble de la classe politique française a abondé dans le même sens, pour l’essentiel, qu’il s’agisse du parti socialiste (« très mauvais signe pour l’Europe et la liberté de la Presse »), le parti communiste (« cette dérive ultra-autoritaire doit être stoppée par la mobilisation et les forces progressistes européennes »), les Verts de Europe écologie (« appelle la Commission à prendre des mesures fermes contre cette dérive »), le Modem (fustige une « loi liberticide dont l’intention est bien de bâillonner la presse), « les centristes » (« loi anachronique qui constitue un recul sans précédent dans au sein d’un pays membre de l’Union européenne ») .
La rencontre traditionnelle en début de présidence avec l’ensemble du collège des commissaires le vendredi 7 janvier sera-t-elle l’occasion d’un premier débat contradictoire. On peut en douter : ce n’est que dans la matinée du 5 janvier que la Commission a reçu la notification de la loi transposant la directive européenne. Un document de 294 pages ! sans aucune mesure de comparaison avec la directive elle-même qui est restée relativement concise. Texte nécessairement complexe qui demande une analyse approfondie, des vérifications , des clarifications complémentaires qui garantiront toute la sécurité juridique de la future décision que prendra la Commission. C’est un examen qui prendra plus que quelques heures, sans doute quelques jours voire quelques semaines d’autant plus qu’il faudra trier ce qui relève de la transposition et ce qui n’en relève manifestement pas. Donc il ne faut pas s’attendre à des déclarations importante autre que le rappel plus ou moins solennel que la liberté de la presse et une presse pluraliste font partie des valeurs inscrites dans les traités et des droits fondamentaux garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Certes la rencontre sera mise à profit pour échanger des informations, se livrer à un certain nombre de vérifications : la vice-présidente Kroes , chef de file au sein de la Commission pour ce dossier, devancera ses collègues de 24 heures à Budapest. Mais rien au-delà !
La presse américaine maintient son intérêt préoccupé et à nouveau l’éditorial du Washington Post titre sur la « Poutinisation » de la Hongrie et s’interroge : le futur sommet Etats-Unis/Union Européenne peut-il raisonnablement se tenir à Budapest ? http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/12/26/AR2010122601791.html, ce qui lui vaut l’appui d’un de ses lecteurs qui s’interroge, lui aussi, sur la capacité pour ce pays d’assurer la présidence de l’UE http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2011/01/01/AR2011010102177.html?wpisrc=nl_pmopinions .Tout cela se passe alors que s’ouvre à Varsovie la Conférence de l’OSCE sur la liberté des medias, mais là, c’est le Belarus qui est dans le collimateur et Dunja Mijatovic est repartie à la bataille comme elle l’avait fait, il y a quelques jours, la première, pour le dossier hongrois http://www.osce.org/fom/item/74852