Alors que la jeunesse des pays émergents a foi en l’avenir, les Européens sont plus timorés. En France, le bonheur se trouve surtout dans la sphère privée et familiale. La dimension la plus inquiétante concerne le rapport de la jeunesse à l’Europe et ses institutions. En matière l’immigration la jeunesse européenne préfère l’intégration au multiculturalisme. La pollution préoccupe plus en Chine qu’en Europe : parmi les plus grandes menaces pour la société, la pollution est seulement citée par un tiers des jeunes européens (4o% des français) et préoccupe davantage les Brésiliens ( 45%) les indiens (46%) et les chinois ( 51%) ! Est-ce parce ces derniers sont les témoins de phénomènes spectaculaires plus que partout ailleurs ?
Comment les jeunes envisagent-ils l’avenir? Se sentent-ils sacrifiés ou la mondialisation est-elle à leurs yeux source d’espoir? Réalisée dans 25 pays(1) auprès d’un public âgé de 16 à 29 ans,l’étude met en lumière une vision du monde et des désirs contrastés entre la jeunesse des pays émergents et celle du Vieux Continent.
Un monde prometteur : globalement, «le monde nouveau est perçu comme un monde de promesses», a souligné Dominique Reynié, politologue qui a dirigé l’étude, lors de sa présentation à Paris. Mais le rapport à la mondialisation reste complexe, nous le verrons, lorsqu’il s’agit de l’Europe. Or les français restent plus optimistes pour eux-mêmes, à titre quasi personnel, que pour leur pays. Ce qui caractérise les réponses des jeunes français (à un degré moindre chez les autres) est le contraste entre le bonheur privé et le malheur public. On peut l’interpréter comme un malaise face à la contradiction entre une époque qui est la leur, dans laquelle ils doivent s’inscrire, et un pays qui leur dit que cette époque et ce monde sont redoutable. Ces jeunes ont envie de se projeter dans le monde qui vient mais le discours politique et médiatique leur en dresse un tableau apocalyptique. Un méfait de plus d’une presse et des médias moroses aux messages médiocres, futiles ou inconsistants. «Le scepticisme que la mondialisation peut déclencher dans quelques pays, en particulier chez nous, ne représente qu’une exception.» Les jeunesses des pays émergents apparaissent optimistes et volontaires. Elles croient à la fois en leur avenir personnel, en celui de leur pays et dans les perspectives offertes par la globalisation. C’est le cas pour 91% des Chinois, 87% des Indiens et 81% des Brésiliens, le «trio triomphant».
Les Européens sont un peu plus en retrait: 65% d’entre eux considèrent la mondialisation comme une opportunité. La méfiance est la plus forte en Grèce et en France: respectivement 50% et 47% des jeunes la voient comme une menace. Ils apparaissent «hésitants et craintifs» et leur réserve «risque de ressembler à l’amertume des vaincus plutôt qu’à une force capable de faire contrepoids», souligne le politologue.
Les Français se distinguent par leur pessimisme et leur scepticisme, confirmant des sentiments décrits par d’autres études. Mais l’enquête dévoile une situation singulière. Elle se traduit par un phénomène «d’inquiétude publique et de bonheur privé». Ainsi, 71% des jeunes estiment la situation de leur pays insatisfaisante (69% en moyenne parmi les Européens) et seuls 17% pensent que l’avenir est prometteur. «Les discours sont trop anxiogènes en France, estime le politologue. Cessons de parler de notre déclin et trouvons les chemins d’une réconciliation avec l’avenir, qui ouvre aussi des possibles.» Les opportunités sont parfaitement identifiées par les Chinois ou les Indiens, confiants eux dans le destin de leur pays à plus de 80%.
Mais, paradoxalement, 83% des jeunes français sont satisfaits de leur propre vie, de leur temps libre, de leurs amis, de leur famille, même si le travail reste source d’inquiétude. Seule la moitié est sûre d’avoir «un bon travail» à l’avenir, contre 71% en Allemagne par exemple. Consolation pour les Français, ils ne sont pas les plus déprimés: le record de découragement et d’insatisfaction est enregistré au Japon.
La hantise du chômage : l’enquête explore le thème brûlant du chômage des jeunes. Chez les moins de 25 ans, 81 millions de personnes étaient sans emploi en 2009, selon le Bureau international du travail (BIT), un chiffre qui n’a jamais été si élevé. En Europe, les jeunes ont bien cerné le risque: 45% d’entre eux voient le chômage comme l’une des plus grandes menaces, avant le terrorisme ou le changement climatique. Et, lorsque travail il y a, seul un jeune sur deux s’en dit satisfait. C’est bien moins que dans des pays émergents (64% en Inde, par exemple). En lien avec l’emploi, la question de la protection sociale et du financement de la retraite des aînés. Dominique Reynié s’inquiète de voir «s’installer un contentieux» entre les générations: en moyenne, 39% des jeunes Européens et 47% des Américains ne sont pas prêts à payer pour les retraites de leurs aînés, contrairement aux Indiens (83%), aux Chinois (77%) ou aux Russes (73%).
Mais la dimension la plus inquiétante de l’étude concerne le rapport de la jeunesse européenne aux institutions européennes. Il tend à démonter combien est grande la désaffection envers la construction européenne et les institutions en général. Ils ne croient pas que l’UE puisse permettre l’émergence d’une véritable puissance politique et culturelle. Ils ne se sentent pas, pour beaucoup, véritablement européens, ce facteur d’identité étant un des moins ressenti, un des moins importants pour eux avec le groupe ethnique (48% lui accordent un rôle dans la constitution de leur identité, 42% pour les français). C’est loin derrière la nationalité qui compte pour 66%. Ce taux décevant peut aussi être vu comme une bonne base de départ pour progresser. La différence avec les pays d’Europe orientale récemment intégrés et pays de l’ouest de l’Europe apparait plus nettement quand il s’agit d’accorder sa confiance à l’Union européenne et d’envisager son influence future sur les destinés du monde. Français et allemands, pays fondateurs majeurs, n’ont guère trouvé que les grecs en proie aux difficultés que l’on sait (et les britanniques évidemment) pour être plus défiants qu’eux envers la construction européenne. Mais, et c’est important et surprenant, les pays de l’est et les pays émergents croient beaucoup plus au poids de l’Europe dans le monde que les pays fondateurs. A noter que les turcs sont 62% à se méfier de l’Europe. Peu à peu se dessine le visage d’une jeunesse qui doute que les instances nationales, européennes ou internationales puissent enrayer ou infléchir le cours d’une histoire qui semble vouloir se jouer ailleurs.
Avant d’aborder l’immigration, notons que les européens sont peu portés sur la religion qui compte peu dans leur identité personnelle (35% des européens, 30% des chinois, 28% des russes alors que les plus attachés sont les polonais 55%, les roumains 57% et les moins les français 21% et les suédois 26%) par contre 92% des marocains, 74% des turcs et des sud africains et 66% des indiens.
En matière d’immigration, les jeunesses des pays d’émigration sont les plus favorables au modèle multiculturel. Ces ont les chinois qui se prononcent le plus massivement pour une société où les immigrés conserveraient leurs traditions et leur culture (85%) par opposition à une société où ils devraient s’intégrer : on trouve ainsi ensuite les Mexicains (75%), les Brésiliens (75%), les Polonais (71%), les Indiens (68%), les Sud-africains (66%) et les Marocains (63%). A l’opposé la plupart des jeunes européens optent massivement pour l’intégration des immigrés comme le montrent les réponses des espagnols (6 !%), des allemands et des français (67%), ou des anglais (66%). Notons que dans ces quatre pays, les jeunes demeurent malgré tout plus nombreux que les 30-50 ans à préférer une société où les immigrés conservent leurs traditions (+ 17 points en France, + 12 points au Royaume-Uni, + 10 points en Espagne, + 9 points en Allemagne).
A la lecture de ces résultats on voit que les jeunesses les plus favorables au maintien des traditions et de la culture des immigrés dans les pays d’accueil sont issus des pays d’immigration : la Chine, le Mexique, la Pologne, l’Inde ou le Maroc. A l’inverse, les jeunes des pays accueillant un nombre d’immigrés sont attachés à l’idée d’intégration : l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Ce mécanisme joue au niveau européen, entre une Europe de l’est favorable à une conservation de la culture d’origine des immigrés (à l’exception de l’Estonie) et une Europe de l’ouest préférant leur intégration. C’est notamment sur ce plan que se manifeste la singularité de la culture américaine, où la jeunesse est majoritairement favorable (57%) à un modèle multiculturel, moins défendu cependant par les 30-50 ans (48%). La jeunesse américaine représente le seul cas d’un pays d’immigration favorable à la préservation de la culture d’origine des immigrés. Est-ce parce que les pères fondateurs étaient eux-mêmes des immigrés ?
Les jeunes sont partagés sur la question des signes religieux au travail. Les jeunes les plus favorables au port de signes religieux sur le lieu de travail sont ceux du Maroc (66%), Israël (65%), Etats-Unis (65%), Pologne (61%) où la religion joue un rôle important sur les plans politiques et sociétal. Nea say a publié une étude du Pew Research Center qui montrait les américains favorables au port de la Burqa et les européens hostiles dans une forte majorité. A l’autre bout du spectre, les japonais y sont moins favorables (19%). La situation est contrastée dans les pays qui accueillent des populations en provenance de pays musulmans. Les français sont moins favorables (22%) au port des insignes religieux sur le lieu de travail. Les allemands y sont également opposés, mais dans une proportion moins importante (42% acceptent le port des signes religieux). En revanche les anglais y sont majoritairement favorables (57%) comme dans l’étude du Pew Research Center.
Ce système d’opinions croisées, qui voit les pays d’émigration défendre le multiculturalisme et les pays d’immigration défendre et préférer l’intégration, laisse deviner la place que jouera la controverse suscitée par la cohabitation culturelle dans les pays européens. Le décalage est particulièrement important entre les marocains qui défendent le port des signes religieux (66%) et les français qui y sont fortement opposés (71%). Les allemands et les turcs sont moins éloignés sur la question du port des signes religieux que ce soit pour s’y opposer ((52% des allemands et 47% des turcs) ou pour l’accepter (42% des allemands et 50% des turcs). En revanche les anglais admettent plus largement le port des signes religieux (57%) que les indiens (46%).
France, Allemagne, Royaume-Uni marquent une défiance importante à l’égard des musulmans. D’une manière générale les opinions négatives envers les musulmans sont assez largement répandues au sein de la jeunesse.. En Europe, les espagnols (42%), les allemands (37%), les français (37%), les suédois (35%) les anglais (32%) sont les jeunes exprimant le plus d’opinions négatives à l’égard des musulmans. Les niveaux les plus faibles d’opinions négatives se trouvent chez les polonais (17%), les roumains (14%). Dans les plus défiants sont les jeunes israéliens ((37%), australiens (32%), canadiens (29%). Malgré le traumatisme des attentats du 11 septembre, les jeunes américains sont moins nombreux à faire part d’un sentiment négatif à l’égard des musulmans (24%), de même que les russes (19%) en dépit des fortes tensions, guerres et attentats dans les régions caucasiennes ou d’Asie centrale. C’est parmi les jeunes indiens (16%), le japonais (14%), brésiliens (13%), chinois (8%) et turcs (5%) que les opinions négatives sont les moins répandues.
Une étude d’un grand intérêt qui mériterait d’être élargie (un échantillon des pays plus important) et approfondie, ne serait-ce que par une collaboration avec le Pew Research Center et l’Eurobaromètre de la Commission européenne qui tous les deux ont une expérience intense et longue (l’Eurobaromètre depuis 1973) ;
(1) Enquête menée dans 25 pays, Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Brésil, Canada, Chine, Espagne, Estonie, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Inde, Israël, Italie, Japon, Maroc, Mexique, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Suède, Turquie, auprès de 32 714 personnes.
Etude de TNS Opinion et Fondation pour l’innovation politique http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2011/01/2011-la-jeunesse-du-monde.pdf