Les portes de l’espace Schengen sont fermées, pour l’instant, à la Roumanie et la Bulgarie . L’entente franco-allemande semble avoir eu la haute main sur le dossier, tout est bloqué au sein du Conseil où il faut avoir l’unanimité des pays membres pour accepter un nouveau pays dans l espace de libre circulation. Mais la querelle a ouvert un débat qui va bien plus loin et elle va toucher les rapports entre les institutions européennes. Un effet collatéral qui n’était pas prévu à l’origine qui involontairement aide ceux qui ne souhaite pas une ouverture immédiate de l’espace Schengen : outre l’Allemagne, la France, la Finlande et les Pays-Bas sans parler ce ceux qui ne se sont pas encore déclarés !
L’espace Schengen implique la suppression des contrôles aux frontières extérieures et l’adoption de normes communes pour les personnes circulant à l’intérieur de l’UE d’où le renforcement de la coopération judiciaire externe et la collaboration entre les forces de police, la coordination des Etats dans la lutte contre la criminalité internationale organisée (par exemple, la mafia, le trafic d’armes, la drogue, immigration clandestine) et l’intégration de bases de données de la police (le système d’information Schengen, SIS).
Aujourd’hui, font partie des pays de l’UE (à l’exception du Royaume-Uni et l’Irlande), d’autres pays européens à des conditions particulières (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein). Reste à régler le cas de Chypre, de la Roumanie et de la Bulgarie. Pour l’Allemagne et la France Roumanie et Bulgarie donnent des garanties insuffisantes comme dans d’autres domaines (cf. autre information sur le rapport de suivi concernant la Roumanie et la Bulgarie)
Schengen fait donc reparler de lui et la Roumanie refuse de se laisser faire .Irritée par la décision franco-allemande de reporter son adhésion à l’espace Schengen, la Roumanie menace de se retirer unilatéralement du mécanisme de coopération et de vérification censé l’aider à réformer son système juridique après son entrée dans l’UE.
L’Interview du ministre roumain ? Thodor Bachonschi a mis le feu aux poudres en répliquant sèchement à la lettre commune franco-allemande. Dans une interview au quotidien Adenarul publiée le 3 janvier, le ministre roumain des affaires étrangères, Teodor Bachonschi, est revenu sur la récente décision de la France et de l’Allemagne. Selon lui, son pays a « deux options ». L’une d’elles, a-t-il expliqué, est que la Roumanie admette ses échecs et suive les traces de la Bulgarie en lançant des négociations avec les deux Etats membres. Mais M. Baconschi a tout de suite précisé que ce n’était pas l’option à choisir. Selon lui, la réponse « correcte » et « digne » est d’entraver les tentatives de Paris et Berlin visant à établir une « Europe à deux vitesses ».Il a donc prévenu que son pays pourrait quitter le mécanisme de coopération et de vérification (MCV), mis en place par la Commission européenne pour accompagner la Roumanie et la Bulgarie dans leur adhésion à l’UE en 2007. Ces pays ont été placés sous une surveillance spéciale visant à les aider dans la réforme de leurs systèmes juridiques et à lutter contre la corruption. M. Baconschi a expliqué que la Roumanie avait réformé son système judiciaire et que le MCV était aujourd’hui utilisé par les anciens Etats membres de l’UE « à d’autres fins ». Une situation qui était en passe de devenir « un handicap » pour la Roumanie.
La Croatie impliquée malgré elle: « Si le MCV est maintenu, non pas comme un outil de coopération, mais comme un moyen de pression [sur la Roumanie] dans d’autres domaines, nous n’en avons pas besoin. Regardons la Croatie. Nous soutenons l’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux. Toutefois, nous ne pouvons pas accepter que cette adhésion s’opère sans le MCV alors que ce dernier nous est appliqué », a déclaré le ministre roumain. Rappelons que les autorités européennes et Stefan Füle le premier ont déclaré les services feraient tout leur possible pour s’assurer que la Croatie puisse rejoindre l’Union sans utiliser un tel mécanisme.
M. Baconschi a également laissé entendre que la France était plus réticente que l’Allemagne sur l’adhésion de son pays à l’espace Schengen. Il a admis que la coopération économique entre Bucarest et Paris avait subi quelques déboires. Selon la presse roumaine, qui cite des hommes politiques, la France a puni la Roumanie car des fonctionnaires de Bucarest ont demandé d’importants dessous-de-table, des « pots-de-vin à l’africaine », à la société française Vinci contre un contrat pour la construction d’une autoroute reliant les villes de Comarnic et de Braşov.
Bref le dossier s’envenime et prend un tour polémique désagréable.
Selon le porte-parole de la Commission européenne, Mark Gray, seule la Commission a le droit de mettre un terme à la participation d’un État à ce mécanisme MCV. « Les autorités roumaines ont pris une série d’engagements lors de l’adhésion pour répondre aux retards qui demeuraient à ce moment-là […]. Le retrait de ce mécanisme serait fondé sur une décision de la Commission après qu’elle ait constaté que les quatre critères liés ont été remplis », a-t-il déclaré. Quant à la volonté de la Roumanie de voir appliquer le mécanisme de vérification à la Croatie, Natasha Butler, porte-parole du commissaire à l’Elargissement Štefan Füle, a déclaré que l’exécutif européen n’avait aucunement l’intention d’utiliser le MCV pour d’autres adhésions. Cependant, les décisions concernant l’élargissement sont prises par les États membres, a-t-elle souligné.
La députée européenne roumaine Renate Weber (ADLE) a regretté les déclarations de M. Baconschi, qu’elle a qualifié de «belliqueuses» et de «tardives». « La déclaration du ministre des Affaires étrangères ne fera pas du bien à la Roumanie. Ce n’est pas la bonne réaction à avoir pour le déblocage des relations avec la France et l’Allemagne », a précisé MmeWeber. En effet on peut faire remarquer comme beaucoup d’observateurs qu’après tout, au moment de son adhésion à l’UE, la Roumanie a accepté la surveillance, ce qui signifie que l’adhésion a eu lieu avec la conditionnalité de la surveillance. Il est extrêmement difficile après un certain nombre d’années de revenir en arrière et de dire que nous ne sommes pas d’accord avec les conditions de notre adhésion ce qui est une tendance à trop se généraliser officiellement ou de façon déguisée .
Roumanie et Bulgarie s’interrogent : « shall we wait forever ? » et de son côté le Parlement européen rappelle avec insistance qu’il a son mot à dire…
Un élément inattendu pour compliquer et retarder les choses, la demande du Parlement de consulter les rapports d’évaluation des progrès technique. La maladresse bureaucratique du secrétariat du Conseil a fait dégénérer une querelle subalterne en querelle institutionnelle portant sur les grands principes. Un peu d’histoire…entre fin de juillet 2010 et fin janvier dernier, un échange de lettres a eu lieu entre le Parlement et le Conseil sur la question de l’accès aux documents, le président da la commission justice et libertés civiles, Juan Fernando Lopez Aguilar, a écrit les premières lettres le13 July et le 7 septembre 2010 : il demandait un accès direct aux rapport d’évaluation pour l’adhésion de l’UE à la CEDH; le Conseil a répondu seulement le 28 Septembre , il indiquait que le Parlement doivent être enformé “immédiatement”…conformément à l’article218 TFUE mais ..le même Conseil décidait d’un certain nombre de restrictions sur les mêmes documents! L’histoire s’est répétée avec le dossier sur l’acquis de Schengen pour la Roumanie et la Bulgarie. Le président de LIBE a de nouveau demandé l’accès aux documents et en rappelant que la Cour de justice aussi, en d’autres circonstances, avait souligné l’importance de la coopération entre les institutions. Mais…encore une fois le Conseil a refusé la requête et le 24 janvier a répondu avec une fin de non-recevoir en invitant seulement M. Lopez Aguilar, les coordinateurs et les rapporteurs à venir à consulter sur place ces rapports, classés en “restreint” dans une salle sécurisée du Conseil et en s’engagent ensuite à ne rien divulguer lors de réunions publiques.
Les réactions des parlementaires étaient prévisibles et n’ont pas manqué.Le 3 février dernier en commission LIBE, Carlos Coelho, a menacé de rendre un avis qui indiquerait que le PE n’a pu se prononcer sur l’adhésion des deux pays en raison de l’absence de documents. Le rapporteur a ainsi fixé un nouveau délai pour le Conseil, en l’occurrence le 2 mai prochain, pour obtenir les documents, un délai justifié par le fait qu’aucune décision du Conseil sur l’entrée dans Schengen des deux pays ne sera prise lors du prochain Conseil JAI des 24 et 25 février. Carlos Coelho a également déploré le fait que le Parlement soit cette fois beaucoup moins informé qu’il y a quatre ans lors de la décision sur l’entrée des nouveaux pays membres dans Schengen comme la Hongrie ou la République tchèque; il a expliqué tous les détails de cette situation paradoxale dans une lettre qu’ il a adressée aux parlementaires de sa commission : en conclusion il indiquait que si pour le 2 mai le Conseil ne donnait pas les documents nécessaires pour l’évaluation parlementaire, le PE donnera son accord l’accès à l’espace Schengen pour les deux pays en question mais en soulignant que ils n’avaient pas eu la possibilité de faire de véritables évaluations des paramètres de sécurité, l’objectif étant de ne pas fournir l’occasion au Conseil de rendre le Parlement responsable du retard pour entrer dans l’espace Schengen, entrée qui a une charge psychologique importante dans l’opinion publique. Le rapporteur a reçu le plein appui des membres de la commission LIBE, notamment de Marian-Jean Marinescu (PPE roumain) qui a déclaré qu’à son avis “ les tergiversations du Conseil sont destinées à retarder la décision sur l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie”
La présidence hongroise a souligné à nouveau qu’existait toujours la possibilité de faire une consultation mais dans le bâtiment du Conseil, et il a indiqué qu’on peut en tout cas espérer trouver un compromis. Signe supplémentaire de l’irritation des députés de la commission justice et libertés civiles le président de la commission LIBE a saisi le président du PE Buzek, afin qu’il s’entretienne avec le Conseil sur les règles de “coopération sincère” et « loyale » entre les deux institutions et le respect effectif de l’article art 13 TUE et qu’ensemble ils trouvent une solution d’ici le 2 mai.
La situation va à devenir très difficile s’il se vérifie que ces complications bureaucratiques ne sont que des mesures dilatoires pour retarder l’entrée dans l’espace Schengen évident suspect que en Conseil il y a une “volonté politique” de certains pays à ralentir le procès d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen.
En effet, le 10 février, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Cécilia Malmstrom, en déplacement en Roumanie, a appelé les Etats membres actuellement opposés à l’entrée de ce pays dans l’espace Schengen “a formuler concrètement” ce qu’ils attendent de la Roumanie pour lui donner leur feu vert, elle a demandé aux Etats membres d’être précis dans leurs demandes afin que celles-ci soient concrètes et mesurables et que la Roumanie sache quoi faire pour gagner leur confiance. Elle a rappelé que “les évaluations montrent que la Roumanie remplit tous les critères techniques pour une adhésion”. Le lendemain, elle était à Sofia et elle a salué “les énormes efforts” déployés par la Bulgarie pour adhérer à l’espace Schengen, ajoutant que Bruxelles en ferait une évaluation à la fin du mois de mars..
Après une visite au poste frontière bulgaro-turc de Kapitan-Andréevo, Mme Malstrom a noté que la frontière qui doit devenir une frontière extérieure de l’espace Schengen , était équipée “des moyens techniques les plus modernes” mais elle a souligné que “ puisque Schengen est fondé sur la confiance et pas seulement sur l’équipement technique, il est très important de poursuivre les réformes”,notamment dans la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. Lundi 14 février, les experts du Conseil se sont par ailleurs penchés sur les progrès de la Bulgarie et ont adopté leur rapport technique sur ce pays, pointant notamment les difficultés au niveau de la frontière avec la Turquie.
La présidence hongroise a-t-elle la capacité d’éteindre le feu de la controverse, prise qu’elle est entre deux feux: satisfaire les exigences de bonnes relations avec ses voisins, respecter les promesses faites à leur égard, mais aussi ne pas se heurter au mécontentement des français et des allemands ? Le prochain Conseil des 24 et 25 février arrive trop tôt et la publication récente du rapport de suivi du « mécanisme de coopération et de vérification » (MCV) cf. autre information, ne vont pas constituer un facteur d’accélération du processus d’autant que la crainte de voir « déferler » des réfugiés fuyant certains pays de la rive sud de la Méditerranée n va pas constituer un facteur de facilitation supplémentaire. Bien au contraire !.
Carmela de Luca (Université de Naples « l’Orientale »)