Discours sur les droits de l’homme : sa notion d’universalité, un instant fortement contestée, est remise en valeur par le « printemps arabe ». Plus de moyens et plus de pouvoirs pour le Conseil des droits de l’homme des nations Unies.

C’est déjà un premier résultat positif à verser au crédit des révoltes arabes, pourtant l’universalité des droits a été contestée jusqu’à une date récente et durement contestée. Nea say s’en est alarmé, notamment à l’occasion des conférences de Durban I et Durban II (16 articles furent consacrés à ces deux évènements majeurs, cf. N° 65 de Nea Say : « génèse, déroulement, enjeux et texte   des conclusions finales  de la conférence Durban II»  ainsi que l’éditorial « A la surprise générale Durban II fut sauvée… »)

« Les droits de l’homme sont universels et indivisibles et tout clivage à ce sujet  reste pernicieux, « écrivions- nous alors. « Il existe des principes pour lesquels il faut se déclarer uni et  devant le constat du relatif isolement des pays européens, nous butons sur les limites de nos efforts prosélytes en matière de droits de l’homme » « il faut s’y prendre autrement ( …) redevenir plus universel, moins occidentaliste, désamorcer le ressentiment profondément ancré au cœur des humiliations permanentes : la pauvreté, les conflits non résolus comme ceux qui opposent israéliens, palestiniens et monde arabe. »

Les droits de l’Homme font un retour inédit sinon imprévu  sur la scène internationale des Nations Unies. C’est un  tournant qui est en train de se produire ! Sans doute faut-il garder son sang froid et rester prudent. Les soulèvements démocratiques arabes ont cependant changé la donne de façon considérable Relisons les discours et polémiques surgis lors des conférences Durban I et Durban II. Après des années où  » la guerre contre le terrorisme « , l’invasion de l’Irak et, plus généralement, les tensions entre monde musulman et l’Occident avaient semblé décrédibiliser le message sur les droits de l’homme porté par les démocraties, une nouvelle atmosphère se fait sentir , nait une nouvelle dynamique qui à son tour apporte  de nouveau discours.

Rappelons brièvement les évènements de ces derniers jours. La Libye a été suspendue du Conseil des droits de l’homme, par un vote unanime de l’Assemblée générale des Nations Unies, le  2 mars. Cette procédure est une première. Aucun des Etats (comme la Russie, la Chine, Cuba, la Syrie, etc.) qui défendent traditionnellement une ligne  » souverainiste  » opposée à toute ingérence et taxent habituellement les Occidentaux de faire « deux poids deux mesures « , ne s’y est opposé. Plus encore, le Conseil de sécurité de l’ONU – l’instance où la Russie et le Chine ont souvent agi, ces dernières années, comme des remparts de protection pour des régimes répressifs tels que la Birmanie ou le Zimbabwe – a voté à l’unanimité , le 28 février, une résolution inédite : sanction lourde contre le pouvoir libyen et activation de la Cour pénale internationale (CPI) en invoquant des  » crimes contre l’humanité  » http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=24626&Cr=Libye&Cr1= . Un vote unanime – du jamais-vu. La CPI ouvre  une enquête. (cf. Nea Say n° 103). Il est à signaler que  l’élément moteur le plus puissant, dans ce retour  de la lutte contre l’impunité, est venu des pays arabes et africains, alors que nombre d’entre eux avaient critiqué le travail de la CPI concernant le Soudan. Ce ne sont pas les Occidentaux principalement, mais les Africains et les Arabes qui ont mené  la lutte  aux Nations Unies  contre le colonel Kadhafi.  Un climat nouveau, une dynamique nouvelle, incontestables. Les valeurs démocratiques sont rapidement  devenues un terrain d’entente, et non plus de confrontation, entre le Nord et le Sud. Les arguments  » culturalistes « , selon lesquels les droits fondamentaux se déclineraient de manière différente d’un continent à l’autre, ont pris un coup de vieux : ils  sont devenus moins convaincants et surtout ils ne sont plus entendus. Le basculement de l’Egypte a été un élément majeur. Pendant l’ère Moubarak, l’Egypte a été un élément traditionnellement  important , au sein du mouvement des non alignés et de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), un des piliers de résistance face à la lecture dite  » occidentaliste  » des droits de l’homme. Aujourd’hui, le pouvoir égyptien se sait mis sous la surveillance d’une opinion publique arabe animée de fortes revendications. Il doit en tenir compte.

Tournant historique fragile ?  A Genève, où se débattait, le 26 février, l’éviction de la Lybie du Conseil des droits de l’homme, la Russie, la Chine, et plusieurs pays du Sud, notamment d’Amérique latine, ont souligné que de telles mesures contre le colonel Kadhafi ne devaient en aucun cas constituer un  » précédent « . Simple  précaution oratoire momentanée : quoi qu’ils avancent, il ya désormais un précédent qui fera jurisprudence. Espérons le!

Conclusions : de nouveaux moyens et de nouveaux pouvoirs pour le Conseil des droits de l’homme comme l’a demandé Navi Pillay , commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, en présentant son rapport annuel, le 3 mars.

 « Les évènements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont prouvé combien les droits de l’homme étaient importants et combien ils l’étaient concrètement dans la vie des gens », a souligné jeudi la Haut commissaire aux droits de l’homme. « Nous avons besoin de trouver de nouveaux et meilleurs moyens de travailler et de nous concentrer sur des outils qui offrent plus de résultats. Nous avons besoin de créer des stratégies pour aider chaque Etat membre à se conformer à ses obligations en matière de respect des droits de l’homme », a-t-elle poursuivi, avant de dresser le bilan des activités et initiatives entreprises au cours de l’année écoulée.

Soulevant d’abord le problème de la discrimination, Navi Pillay a rappelé l’assistance technique offerte aux Etats membres pour endiguer les discriminations raciales, à l’instar des programmes lancés en Bolivie et en Uruguay, pour soutenir les communautés de descendants africains. « En Amérique centrale, nos bureaux répertorient les organisations et représentants de descendants d’Afrique et les aident à renforcer leurs capacités pour participer aux dialogues nationaux et à l’élaboration de politiques les concernant », a-t-elle indiqué, rappelant également l’ouverture de nouveaux bureaux du Haut commissariat des droits de l’homme (HCDH) en Bolivie et en Colombie, ainsi que l’envoi de conseillers au Honduras et au Paraguay.

Rappelant ensuite que les discriminations touchent également les minorités autochtones, les personnes handicapées, les personnes âgées, les groupes marginalisés et stigmatisés, les personnes atteintes de maladies comme la lèpre ou le VIH/Sida, ou encore les migrants, en particulier ceux en situation irrégulière, elle a souligné le travail quotidien du HCDH auprès des Etats membres pour « contrer l’intolérance sous toutes ses formes ». Navi Pillay a renouvelé sa « consternation » après le meurtre en début de semaine du ministre pakistanais chargé des minorités, Shabaz Bhatti, seul chrétien du gouvernement pakistanais, qui défendait notamment une réforme de la loi sur le blasphème.

La Haut commissaire a souligné l’utilité du déploiement d’équipes du HCDH au Kirghizistan, où des affrontements interethniques entre Kirghizes et migrants ouzbeks ont éclaté en juin 2010. « Notre action a permis aux personnes affectées de recevoir une assistance juridique. Par sa présence, le HCDH a assuré leur protection et est devenu un interlocuteur de confiance pour les autorités et la société civile, et plus généralement l’ensemble de la population », a-t-elle expliqué. Elle a également rappelé le travail des équipes du HCDH après le tremblement de terre en Haïti, pour protéger les victimes les plus vulnérables, à commencer par les femmes et les jeunes filles livrées à elles-mêmes et exposées aux risques de violences sexuelles.

Navi Pillay a d’ailleurs souligné que parmi les premières victimes de discriminations, figuraient les femmes et les filles, soumises « à des violences et des abus qui ne sont pas confinés à un pays en particulier ou un environnement social particulier », mais sont « le produit de formes multiples de discrimination dans les législations et les pratiques sociales ».

Elle a illustré les efforts du HCDH dans ce domaine en citant la mise en place d’un panel de haut niveau qui s’est rendu en République démocratique du Congo (RDC) pour engager un dialogue directe avec les victimes de violences sexuelles, afin de connaître leurs besoins et leurs perception des solutions envisageables. Le panel a ensuite adressé un rapport et des recommandations aux autorités congolaises.

Devant le Conseil des droits de l’homme, Navi Pillay s’est ensuite penchée sur la protection des civils dans les conflits, indiquant que pour renforcer l’intégration de la protection des droits de l’homme dans l’agenda de maintien de la paix de l’ONU, le HCDH développait et renforçait les partenariats avec les différents organes et acteurs du système onusien. « Nous devons travailler avec les institutions chargées de construire la paix, pour nous assurer que le vide est comblé, que la paix est durable, que l’Etat de droit est renforcé et que le secteur de la sécurité respecte les droits de l’homme », a-t-elle déclaré.

Revenant ensuite sur la situation dans le monde arabe, la chef des droits de l’homme à l’ONU a indiqué que dès le 26 janvier, après la chute du régime du Président tunisien Ben Ali, une délégation avait été envoyée sur place « pour évaluer les priorités en matière de droits de l’homme et les stratégies d’engagement à adopter pour assurer leur protection et leur promotion ». « Les Tunisiens ont demandé une présence du HCDH dans leur pays pour assister le gouvernement de transition dans les réformes à entreprendre », a-t-elle précisé. « En Egypte, les aspirations du peuple à la liberté, la dignité, la prospérité économique et la justice sociale doivent aussi être pleinement satisfaites. Je suis heureuse d’annoncer que le gouvernement égyptien m’a invitée à envoyer une équipe sur place pour identifier les moyens de renforcer la protection des droits de l’homme », a-t-elle poursuivi, avant d’offrir le soutien de ses équipes à la Commission d’enquête sur la Libye, récemment mise en place par le Conseil des droits de l’homme.

Soulignant ensuite que l’un des aspects de sa mission consistait à relayer auprès des autorités des Etats membres, les situations observées sur le terrain, Navi Pillay a cité ses visites en Jordanie, en Russie, en Europe, en Israël ou dans les Territoires palestiniens. « En Israël ou dans les Territoires palestiniens, j’ai soulevé les problèmes de droits de l’homme posés par l’occupation. Dans mes entretiens avec des responsables russes, dont le Président Dimitri Medvedev, nous avons discuté des réformes à entreprendre pour renforcer l’état de droit. A Bruxelles, j’ai discuté de l’importance de voir les politiques et actions de l’Union européenne refléter les normes internationales en matière de droits de l’homme. Je me suis notamment référée au traitement des migrants en France et en Italie », a-t-elle déclaré. Pour conclure son intervention, Navi Pillay a estimé qu’il était nécessaire aujourd’hui « de combler le fossé entre la rhétorique et les bonnes intentions d’un côté et l’obtention de résultats mesurables de l’autre ». Selon elle, « le Conseil des droits de l’homme devrait disposer de plusieurs options et outils flexibles et efficaces pour répondre à la fois aux situations quotidiennes et aux urgences ». « Produire des résultats concrets devrait en effet être notre objectif prédominant », a-t-elle conclu.

Cf. autres nouvelles :

           -.  saisie par le Conseil de sécurité, la CPI ouvre une enquête http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=24626&Cr=Libye&Cr1=

       -. l’Assemblée générale suspend le droit de siéger au Conseil des droits de l’homme de la Jamahiriya arabe libyenne http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/AG11050.doc.htm

      -.  le Conseil de sécurité impose des sanctions à la Libye http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/CS10187.doc.htm

      -. Le Secrétaire général des Nations Unies félicite le Conseil de Sécurité pour sa fermeté à l’égard de la Libye et d’avoir agi de manière résolue face à la situation en Libye  http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/CS10187.doc.htm

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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