Qui dira, enfin, du bien de l’Europe ?
C’était la question posée par l’éditorial du n° 100 de Nea say qui ouvrait par ailleurs un concours et invitait chacun à s’inscrire pour relever le défi lancé. Un champion, une championne en l’occurrence, s’est levé : Nicole Gnesotto avec son livre, l’Europe a-t-elle un avenir stratégique ? (1)
Oui, a-t-elle répondu !
Un discours tonique, mobilisateur, une démonstration convaincante, un réseau serré d’arguments conduisant à leur aboutissement : « l’irrésistible ascension de l’Europe stratégique », « un bilan plus que positif ». Nicole Gnesotto tourne délibérément le dos au refrain du déclin européen alors que, souligne-t-elle, jamais elle ne fut plus décriée, niée, oubliée, décrétée inutile, mais jamais aussi, a-t-elle conclu, elle ne fut plus nécessaire : l’Europe une puissance nécessaire ! Ses atouts sont grands : un seul exemple, n’est-elle pas la première puissance économique ? ce que l’on ignore ou que l’on oublie régulièrement.
Candeur ou naïveté ? La réplique tient difficilement la route tant l’auteur n’a pas son équivalent pour débusquer les faux-semblants, pourchasser « l’impuissance permanente de l’Union », dénoncer les « handicaps structurels, « la litanie des lacunes », le « culte des souverainetés nationales », « le primat du confort atlantique ». L’heure de vérité est arrivée et la mondialisation en cours rend cette dimension européenne plus pertinente, plus qu’elle ne l’a, peut-être, jamais été. Songeons un instant à la globalité des crises : risques climatiques, informatiques, cybercriminalité, criminalité internationale organisée en tout genre, flux migratoires désorganisées, risques sanitaires et alimentaires, crises financières et économiques, sécurité énergétique, pertes des libertés individuelles et civiles ne serait-ce qu’au travers de l’aliénation de ses propres données personnelles, pluralisme et indépendance des médias, coexistence des cultures et des croyances, lutte contre les terrorismes, catastrophes naturelles…
Un inventaire rapide témoigne d’une extrême diversité des interventions stratégiques des européens, leur originalité c’est surtout leur aspect global : la dimension militaire n’est qu’un maillon d’une longue chaîne qui comprend l’économique, le financier, l’humanitaire, le diplomatique, le social, le culturel, le juridique, l’aide à la gouvernance. Elle est le premier donateur d’aide au développement, le premier fournisseur d’aide humanitaire. Tous les terrains de crise lui conviennent, personne ne conteste sa légitimité : elle n’est ni une grande Suisse, ni une puissance impérialiste. Aucune autre politique n’est aussi populaire dans les sondages de l’Eurobaromètre, tous pays confondus. Aucun autre acteur ne peut offrir ou imposer une telle palette de compétences. L’UE la première à prendre conscience que la mondialisation impose, exige, une approche intégrée de la sécurité bien au-delà du seul militaire. Elle ne véhicule pas un messianisme radical quelconque qu’elle chercherait à imposer. Dans la capacité d’influence mondiale, le militaire voit sa part décroître. L’Europe, elle, essaye de projeter un certain message politique : un ordre mondial fondé sur le droit, et avec si possible un mandat des Nations Unies, des règles de bonne gouvernance, la recherche de solutions diplomatiques. Aucune puissance militaire n’est en mesure de régler, seule, et sur une base militaires, les grands conflits actuels, la démonstration est faite. L’extension des interventions de l’UE ne se constate pas seulement sur le plan fonctionnel au travers de nombreuses opérations, ou juridique (avec le Traité de Lisbonne) mais aussi sur le plan géographique. Face aux crises économiques et financières l’UE a su inventer un nouveau format de coopération internationale. Enfin une fenêtre d’opportunité s’ouvre : les contraintes américaines, traditionnellement si lourdes, ne sont plus aussi systématiques. Donc moins d’Amériques et plus de crises complexes appelant des réponses globales
Des clarifications sont encore nécessaires dans la recherche d’un nouvel équilibre : bâtir l’influence de l’Europe sur l’exemplarité de ses politiques, la contagion de ses valeurs n’acquiert d’efficacité sans une capacité crédible de coercition, militaire, économique, commercial. Elle ne peut choisir entre la force et la norme mais de les combiner le plus efficacement possible. La logique du rapport de forces n’a pas disparu et la puissance solitaire n’existe pas, il lui faut donc nouer de nouveaux partenariats stratégiques authentiques : ONU, Etats-Unis, Russie, organisations régionales). Sur ce plan l’avantage comparatif de l’Europe stratégique est loin d’être négligeable : elle est globale, coopérative, acceptable
Certes admet Nicole Gnesotto, l’Europe stratégique a combiné le meilleur et le pire, des progrès spectaculaires, des décisions courageuse mais aussi une série de divergences, de craintes, de faux-semblants, de contrainte et aussi une piètre communication qui font de l’Europe un acteur à éclipse ou discret, trop discret. La sortie du livre est trop récente pour que soit abordée la « question méditerranéenne ». Ce sera le test décisif pour les espoirs et les craintes de Nicole Gnesotto : « l’impuissance permanente de l’Union européenne » sera-t-elle finalement surpassée et son leadership que les Etats-Unis ne semblent pas contester, enfin reconnu, apprécié et rempli de succès ?
L’Europe est de nouveau dans l’histoire. ! Seule puissance acceptable et acceptée par sa pertinence et sa modernité. Tout cela est possible, la recette : il suffit d’un peu de volonté politique et de beaucoup de bon sens, recommande Nicole Gnesotto.
Mais trois conditions préalables sont nécessaires : redéfinir les termes d’un partenariat nouveau avec les Etats-Unis et répondre à la question : mais que visent réellement les objectifs politiques de l’action extérieure de l’Union ? ou en d’autres termes, tout cela est bien beau , mais pourquoi faire ? Question évidente mais jamais posée réellement, ni au Conseil, ni au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement. On pourrait, dans une révolution mondiale qui relativise le monde dit occidental, retenir comme objectif, suggère-t-elle, la construction d’une gouvernance mondiale qui intègre tous les pôles de puissances y compris celui qui est le nôtre, celui de l’Europe stratégique, celui de l’Union européenne. Pour cela, il lui faut faire « le lent et douloureux apprentissage du partage et de la relativité du pouvoir », apprentissage que les pays européens ont su faire avec excellence, entre eux, au lendemain de la dernière guerre. Apprentissage inachevé, certes, mais elle a acquis un savoir faire qui l’a préparée à un partage, sans doute plus compliqué, un partage fait aussi de solidarité entre les riches et les pauvre. Enfin la dernière condition : « que les européens balaient devant leur porte ! » qu’ils s’appliquent à eux-mêmes ce qu’ils prêchent aux autres ! Les souverainetés partagées, l’intérêt général qui prime les intérêts particuliers. Le seul pouvoir des institutions ne suffit pas. Il y a urgence et une nécessité vitale pour les Etats-nation comme pour l’Europe elle-même : « l’intérêt national européen » doit l’emporter sur le chacun pour soi national. Sous les fortes dynamiques des crises, la mondialisation recèle tous les ingrédients de la montée en puissance stratégique de l’Union. Unie, elle a encore une chance de ne pas subir les évolutions décidées par d’autres.
Un livre à lire, un livre d’une grande densité et présenté avec clarté et simplicité.
(1) L’Europe a-t-elle un avenir stratégique ? Armand Colin collection « Eléments de Réponse »
Nicole Gnesotto auteur de nombreux livres et article, fut le premier Directeur de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne (2001-2007) après avoir été chef adjoint du Centre d’analyses et de prévisions du Ministère français des affaires étrangères. Elle est aussi vice-présidente de Notre Europe