Les faits religieux et la justice européenne : les écoles italiennes vont pouvoir retrouver leur crucifix. Une reconnaissance des diversités culturelles en Europe.

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la présence d’un crucifix dans les classes des écoles publiques italiennes ne violait pas le droit à l’instruction.   L’Italie a accueilli « avec une grande satisfaction » la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) d’autoriser la présence de crucifix dans les classes des écoles publiques italiennes, a déclaré  son ministre des Affaires étrangères. Quelles explications donner ?

« Aujourd’hui c’est le sentiment populaire de l’Europe qui a vaincu, parce que la décision (de la CEDH) se fait l’interprète avant tout de la voix des citoyens qui défendent leurs propres valeurs et leur propre identité », s’est réjoui Franco Frattini dans un communiqué. Le ministre a également exprimé le souhait qu’après cette décision « l’Europe affronte avec le même courage le thème de la tolérance et de la liberté religieuse ». La CEDH a estiméi que la présence d’un crucifix dans les classes des écoles publiques italiennes ne violait pas le droit à l’instruction, infirmant une décision de première instance condamnant l’Italie.

En novembre 2009, la CEDH avait jugé la présence de ce symbole religieux « contraire au droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions » et « au droit des enfants à la liberté de religion et de pensée ». Dans son arrêt définitif, rendu public à Strasbourg le 18 mars, la CEDH « conclut qu’en décidant de maintenir les crucifix dans les salles de classes de l’école publique fréquentée par les enfants de la plaignante, les autorités ont agi dans les limites de la latitude dont dispose l’Italie dans le cadre de son obligation de respecter le droit des parents d’assurer cette instruction conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

La Cour avait été saisie en 2006 par Soile Lautsi, mère de deux enfants scolarisés en 2001-2002 dans une école publique de la province de Padoue (nord-est). Un crucifix était accroché dans les salles de classe et la plaignante estimait que ses deux fils, non catholiques, subissaient ainsi une différence de traitement discriminatoire par rapport aux élèves catholiques et à leurs parents. La décision des juges européens avait suscité un tollé dans la péninsule, y compris chez les agnostiques et les athées. Elle avait aussi été contestée dans d’autres pays qui n’ont pas rompu avec les symboles religieux, souvent par tradition.

Cette dernière décision a été saluée par un communiqué de la Commission des Episcopats de la Communauté européenne (Comece) qui  y voit une reconnaissance de la diversité des approches concernant les symboles religieux dans l’espace public « son exposition pour les croyants (d’autres religions)et  les non croyants peut être appréciée comme un symbole de non violence et de résistance à la vengeance. Son exposition publique rappelle à tous les êtres humains la nécessité de respecter la dignité humaine, un principe qui est à la source de tous les droits fondamentaux » (EN) http://www.comece.eu/site/en/press/pressreleases/newsletter.content/1317.html  (FR) http://webmail.skynet.be/page.html?action=viewmessage&message_id=10859&thisfolder=INBOX  . De son côté, le directeur de la Salle de presse du Saint-Siège, le P. Federico Lombardi, a souligné que le Vatican accueillait «avec satisfaction» cette décision «qui marque l’histoire». Selon lui, cette sentence «contribue efficacement à rétablir la confiance dans la Cour européenne des Droits de l’Homme de la part d’une grande partie des Européens, convaincus et conscients du rôle déterminant des valeurs chrétiennes dans leur propre histoire, mais aussi dans la construction européenne». 

Le nombre croissant (et récent) d’affaires en matière de liberté religieuse portées à la connaissance de la Cour européenne des droits de l’homme au cours de la dernière décennie (cf. infra) nous amène à nous interroger sur les raisons profondes de cette évolution. Constatons que la Cour européenne statue de plus en plus sur le fait religieux.  Arménie, Autriche, Croatie, Hongrie, Chypre, Grèce, Malte, Russie… Nombre de pays européens de tradition catholique ou orthodoxe ont soutenu le gouvernement italien dans « l’affaire des crucifix » accrochés aux murs des écoles publiques de la péninsule. La diversité  des affaires est très grande: obligation de prêter un serment religieux, indication obligatoire d’appartenance religieuse sur les documents officiels, objection de conscience, reconnaissance par l’Etat des communautés religieuses, port de vêtements religieux, affichage de symboles religieux, prosélytisme, liberté religieuse et droit à l’instruction, statut des employés des églises ou des groupes religieux… Au-delà, on ne peut que constater la montée en puissance du contentieux religieux qui pourrait s’expliquer en partie  par l’immigration, l’évolution de sociétés devenues plus hétérogènes, multiculturelles du point de vue religieux, la recherche de racines, des revendications identitaires chez certains .

A cela s’ajoutent les diversités religieuses en Europe : elles sont si grandes, allant de la laïcité à la française, à la conception très nationale de la religion en Russie, en passant par la grande coexistence des religions en Grande-Bretagne,  l’existence de religions d’Etat ! Si bien que la Cour n’a pas d’autre solution que de laisser  aux États une grande marge d’appréciation, comme à la France qui a une forte tradition de laïcité, et qui est en droit d’empêcher le port du voile dans les écoles.  Dans le cas italien pour tous les tribunaux italien et pour qui celui de Vénétie jugea, notamment, on a estimé que le crucifix est, au-delà d’un symbole chrétien, un objet « historico-culturel » ayant une « valeur identitaire » pour le peuple italien, en conformité avec la Charte constitutionnelle italienne…Dans les deux cas c’est la tradition qui l’emporte et l’autorité de l’Etat qui l’a emporté  Il est pourtant difficile d’imaginer deux cas plus antagonistes : interdiction du port du voile religieux dans un cas, autorisation d’un symbole religieux fort dans les écoles pour le deuxième cas.

Avec le cas Lautsi, si le premier jugement avait été confirmé, on aurait pu assister à une certaine « inflexion », voire revirement  de la Cour par rapport à sa traditionnelle tolérance religieuse. À l’époque, elle avait décrété que devait l’emporter le « droit des parents d’assurer une éducation et un enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». Cet infléchissement n’a donc pas eu lieu et la Cour, sans doute, a été sensible aux arguments des partisans du crucifix en  l’Italie qui n’ont pas manqué au moment du premier jugement de reprocher à la Cour son revirement, car elle reconnaissait  traditionnellement une large marge d’appréciation aux Etats. C’est d’ailleurs la seule attitude possible compte tenu de la diversité en Europe des modèles de relations entre l’État et les religions.

      -.  Communiqué de presse de la Cour européenne des droits de l’homme http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=open&documentId=883172&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649

      – Texte de l’arrêt de la grande Chambre http://www.echr.coe.int/echr/resources/hudoc/lautsi_et_autres_c__italie.pdf

      – Fiche thématique arrêts et affaires pendantes devant la CEDH concernant la liberté religieuse      http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/E0941C75-D511-487B-A991-55A7074B5E59/0/FICHES_Liberté_religion_FR.pdf

      -. Articles sur le sujet parus dans Nea say (11 articles) http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?q=crucifix&Submit=%3E

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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