Pourquoi parler des sans abris ? Pas simplement par solidarité et dans un élan compassionnel, mais aussi parce que cela relève des droits fondamentaux, de la dignité humaine (Article 1 de la Charte européenne), le droit à la vie familiale (article 33), droit de fonder une famille (Article 9), le respect de la vie privée et familiale (article 7), l’interdiction de toute discrimination quelle qu’en soit l’origine, la pauvreté par exemple (Article 21), enfin le droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale (article 34) : « afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnait et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales ».
Lors de la conférence – The invisible Borders : Migrant Destitution in Europe – organisée le 29 Mars par le Jesuit Refugee Service Europe, un atelier sur le droit au logement des immigrés en Europe a été animé par Mauro Striano, chargé de mission immigration pour la Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA).
Les immigrés sont souvent parmi les groupes les plus vulnérables et cela est évident dans le marché du travail mais aussi en ce qui concerne l’accès au logement. L’atelier visait à identifier les défis mais également des possibles solutions dans l’accès au logement pour les immigrés. Trois situations nationales ont été présentées par trois membres de FEANTSA couvrant différents contextes et combinant un ensemble d’activités au niveau national avec des projets spécifiques gérés au niveau local.
Les descriptions en fonction des différents contextes nationaux sont le résultat des interventions de : Christian Perl (Autriche), coordinateur de projets pour BAWO, réseau autrichien d’organisations non gouvernementales qui fournissent services sociaux pour les sans-abri ; Bo-Heide Jochimsen et Maj Kastanje (Danemark), travailleurs sociaux pour Projekt Udenfor, ONG qui a son siège à Copenhague ; Sonia Olea Ferreras (Espagne), juriste experte en droit de l’immigration qui travailler pour Caritas Espagne.
L’égalité dans l’accès au logement en Autriche
Les immigrés, dans le discours public en Autriche, sont principalement stigmatisés comme un risque pour la sécurité. Dans le cadre de cette rhétorique, les pouvoirs publics justifient des mesures législatives et des mesures disciplinaires contre les immigrés. Ce climat politique signifie pour les immigrés, surtout pour ceux qui vivent avec de faibles ressources sociales et économiques, être souvent victimes de discrimination. Le risque plus élevé de la vie dans la pauvreté pour les immigrés est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels un accès limité au marché du travail, un faible niveau de scolarité, aucune acceptation des qualifications du pays d’origine, des salaires plus bas et la discrimination sur le marché du logement.
Le droit au logement n’est pas reconnu comme tel par la loi mais le logement comme un besoin fondamental est reconnu politiquement. L’Autriche a un niveau relativement faible de sans-abris et une disponibilité de logement très bonne, même pour les groupes à faible revenu. Cette situation positive est le résultat, entre autres, d’un secteur du logement social assez développé («Limited Profit Housing Associations »), d’un régime établi des coûts des loyers pour le logement social, d’un système de contrôle des loyers dans certaines parties du marché locatif privé et d’une infrastructure solide de l’aide au logement.
Cependant, l’attribution de logements publics en Autriche ressemble à un délicat exercice d’équilibre entre le souci de quartiers socialement et ethniquement mixtes, d’une part, et la législation anti-discrimination de l’autre. La question de l’allocation pour les migrants, les minorités et les personnes de confession religieuse différente est politiquement sensible et juridiquement floue pour beaucoup des acteurs impliqués. Le médiateur national pour l’égalité de traitement, les organismes locaux de lutte contre la discrimination et les ONG ont, à plusieurs reprises, signalé les cas où l’attribution de logements publics est liée à critères qui ne sont pas conformes à la législation anti-discrimination. Par exemple, les communes ont relié l’attribution de logements publics avec une « suffisante » compétence en langue allemande ou ont introduit des quotas pour les immigré. Pour rendre le tout encore plus compliqué, en Autriche il y a un système fédéral qui se compose de 9 régions différentes avec 9 systèmes sociaux différents, 9 différents systèmes d’allocations de logement et 2000 différentes façons d’accéder au logement social.
Pour s’attaquer au problème, Volkshilfe Autriche a conçu des mesures ciblées et lancé un projet spécial avec et le Klagsverband, une ONG spécialisée dans la représentation des victimes de discrimination. Dans le cadre de ce projet, une enquête a été menée et selon les premières conclusions, un tiers des répondants pensent que les ménages non autrichiens sont victimes de discrimination dans l’attribution des logements sociaux. La grande majorité estime également qu’il ne faudrait pas créer des ghettos, voire des sociétés parallèles l’une habitée par les Autrichiens et l’autre par les étrangers. Toujours selon cette enquête, pour réduire la discrimination sur le marché de l’habitation il serait nécessaire d’établir des priorités dans la planification urbaine du quartier et des mesures d’accompagnement selon le quartier ainsi que développer des relations publiques pour sensibiliser les citoyens autrichiens à l’attribution de logements publics pour les immigrés.
Immigrés sans-abri à Copenhague
Une étude qualitative a été récemment menée sur les immigrés sans-abri à Copenhague provenant de l’Afrique de l’Ouest. Ce groupe de personnes sans-abri est relativement nouveau. La recherche est basée sur des entretiens avec six immigrés ouest-africains, qui vivent sans-abri dans les rues de Copenhague. Comme beaucoup d’autres dans leur situation, les immigrés interrogés ont résidé plusieurs années dans le sud de l’Europe, où ils ont obtenu un permis de séjour temporaire ou permanent. Cela leur permet de voyager dans l’UE pour une période de temps limitée. Forcé par le chômage causé principalement par la crise économique, ils se sont rendus au Danemark pour chercher du travail.
Pour obtenir un emploi légal, ils doivent obtenir un permis de travail par les autorités danoises. Toutefois, le service d’immigration danois ne donne le permis de travail que dans des circonstances très rares – si le candidat est qualifié pour une profession très particulière comme par exemple un ophtalmologiste ou un joueur de football professionnel. Il n’est donc en réalité pas possible pour ces immigrés de trouver du travail déclaré puisque les permis de travail pour les emplois ordinaires qualifiés ou non qualifiés n’est jamais accordée. Les personnes interrogées ne sont pas conscientes de cela, et ne sont pas informées à ce sujet dans les centres de travail. Pendant leur séjour au Danemark, ils n’ont pas accès aux services publics pour sans-abri. Ils ne sont pas autorisés à accéder aux refuges financés par l’État et les travailleurs sociaux employés par la ville ne sont pas autorisés à les aider. Ils sont donc obligé à résider dans un nombre très limité de structures privés pour les sans-abri, dont les ressources sont extrêmement rares.
Dans les entretiens, les immigrés ont donné un rare aperçu de leur vie, partageant des histoires de leur passé et réfléchissant sur ce que l’avenir pourrait leur réserver. Au centre de leurs histoires c’est le fait qu’ils sont venus ici seuls, sans contacts ou connaissance des possibilités de travail. Maintenant, ils veulent essentiellement se débrouiller et être indépendants quoiqu’ils soient aussi sous pression puisqu’ils veulent envoyer de l’argent à leurs familles. Ils ont du mal à accepter la vie dans les rues et rejettent souvent le principe le plus commun du sans-abrisme – la survie. La collecte de bouteilles vides pour de l’argent est perçue comme extrêmement humiliante. Ils ne se sentent pas partie de la communauté des sans-abri et cela conduit à des conflits entre les différents groupes de sans-abri, suscité aussi par la pénurie des ressources dans le secteur des services privés pour les sans-abri. Par conséquent, ils passent leurs journées dans des lieux où ils peuvent rester gratuitement et utiliser des toilettes, tels que les bibliothèques, et se promènent dans des endroits où ils peuvent obtenir gratuitement de la nourriture. Certains utilisent internet pour chercher du travail ou rester en contact avec les familles et les amis.
Certains entre eux ont un profond désir de retourner dans leur pays d’origine, mais, pour ne pas perdre la face et être en mesure de rétablir leur vie une fois rentrés, ils exigent une somme considérable d’argent. Un minimum de 3000 EUR a été mentionné dans ce contexte. Comme il est peu probable que ces fonds peuvent être trouvés, beaucoup d’eux décident de retourner dans le sud de l’Europe et faire face à un avenir incertain. En outre, l’apparition de symptômes de « syndrome d’Ulysse » – un trouble qui a des similitudes avec le syndrome de stress post-traumatique – a été observée parmi un nombre considérable d’immigrés dans telle situation.
Accès au logement en Espagne: l’approche de Caritas Espagne.
Au cours des deux dernières années, le nombre de demandes d’aide reçues par Caritas Espagne a doublé. En effet, en 2008 et 2009 il y a eu une augmentation cumulée de 103%. Les services d’accueil et de soutien ont vu une augmentation de 400.000 à 800.000 personnes à charge. Les principales causes sont: le manque de liquidité, le surendettement, le chômage de longue durée et la fin des prestations de chômage pour un considérable nombre de chômeurs, l’insuffisance de services sociaux. Pour ce qui concerne l’action sociale fournie par Caritas Espagne, qui englobe les services qui répondent à la réception et l’assistance, l’emploi, les services pour les sans-abri et les prisonniers, la santé et le logement, les immigrés sont le 40% des personnes ciblées.
En Espagne, il y a 8,5 millions de personnes dans une situation de pauvreté, 30.000 personnes sans-abri et 1.447.880 personnes vivant avec des conditions de logement inadéquates. Les étrangers en Espagne sont 11,3% – 5.598.691 enregistrés – de la population totale et du nombre total d’étrangers le 49,8% sont des citoyens européens – 2.266.808 – et le 50,2% des ressortissants de pays tiers – 3,331. 883. En outre, il existe un taux élevé d’immigrés en situation irrégulière, en raison d’une politique migratoire restrictive.
Caritas offre plusieurs services aux immigrés, parmi lesquels: l’assistance dans le processus d’intégration par le biais de services de logement, d’éducation et de santé et des cours de formation interculturelle; services d’emploi et sociales ; projets de co-développement ; assistance juridique et psychologique ; le soutien aux associations d’immigrés. En 2009, 400.000 immigrés ont été assistés par Caritas.
Selon l’Observatoire de la Réalité Sociale, les immigrés souffrent : d’une augmentation du taux de surpopulation dans les ménages; de graves difficultés dans le paiement de prêts hypothécaires ou des loyers, en raison du manque d’emplois au cours des dernières années; d’un taux élevé de sous-location; d’un taux élevé de changement de résidence; d’une absence d’infrastructures à disposition; d’inadéquate qualité du logement.
Une des conclusions est que le logement est un des droits sociaux les plus difficiles à exercer pour les immigrés en Espagne. Par conséquent, Caritas fournit un appui pour la recherche et l’accès au logement et à des conditions de logement décent ainsi que des services de logement complémentaires pour les travailleurs saisonniers. Il serait pourtant nécessaire de développer des solutions pour les immigrés en situation irrégulière et d’augmenter le budget pour les services d’intégration tout en contrastant les attitudes xénophobes.
Site de Feantsa http://www.feantsa.org/code/en/hp.asp