La Commissaire européenne aux affaires intérieures affronte l’hostilité de diverses capitales confrontées à d’éventuelles perspectives de nouvelles vagues d’immigration liées au « printemps arabe » et à la guerre en Libye. Elle répond aux tentations généralisées de fermer les frontières (le Monde du samedi 9 avril). Elle se refuse à contribuer à la remise en cause d’un pilier du projet européen.
« La Commission européenne défend des lois, des valeurs et une politique qui découlent d’un accord unanime. Elle a des outils juridiques, politiques, économiques, voire moraux à sa disposition. Elle œuvre à une politique contrôlée, et prône tant un contrôle strict des frontières extérieures qu’un système d’asile cohérent. Mais elle ne peut agir dans un contexte qui ne serait pas celui de la coopération européenne. Et nous voyons clairement que l’action de certains courants politiques affecte le débat. C’est en de tels moments que les politiques doivent prendre leurs responsabilités et assurer un réel leadership face à des mouvements qui, quoiqu’on en dise, restent minoritaires. »
Résumé de ces derniers jours marqués par la querelle franco-italienne, une querelle assez artificielle face à des problèmes eux bien réels. Le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi s’est réjoui samedi 9 avril de l’évacuation de milliers de migrants de la petite île de Lampedusa, mais a rappelé l’Europe à ses responsabilités face à ce qu’il a qualifié de «tsunami humain». «Vous avez vu, nous avons tenu parole. Tout est sous contrôle», a clamé le Cavaliere sous les applaudissements d’habitants venus l’accueillir au port. «Il y quarante-huit heures, il n’y avait plus un seul immigré», a-t-il poursuivi en conférence de presse, après une visite dans les ruelles de Lampedusa et sur la «colline de la honte», enfin vidée de ses immondices.
Mais durant sa visite, pas moins de quatre embarcations chargées au total de centaines de migrants, et venues soit de Tunisie soit de Libye, ont continué d’aborder sur la côte. Et ces arrivées vont se poursuivre, a prédit M. Berlusconi qui a une nouvelle fois appelé l’Europe à «ne pas se soustraire à ses responsabilités». «Il ne peut y avoir de réponse égoïste» «Ce n’est pas un problème italien, mais un problème européen», a-t-il répété, ajoutant qu’«il ne peut y avoir de réponse égoïste» face à ce «tsunami humain».
L’Italie avait annoncé la veille son intention de délivrer à tous les migrants tunisiens arrivés avant le 6 avril des permis de séjour temporaires de six mois qui, selon Rome, devraient leur permettre de circuler dans l’espace européen Schengen, ce que contestent vivement Paris et Berlin. C’est une habileté un peu sommaire que de délivrer des permis de séjour temporaire pour permettre à ces réfugiés de circuler librement (sans condition !) à l’intérieur de l’espace de Schengen. Et l’Allemagne a eu beau jeu de se joindre e à la France pour condamner l’Italie en faisant valoir que Rome violait l’esprit de Schengen en octroyant des visas à des Tunisiens pour des raisons humanitaires alors que la chute du régime de l’ex-président Ben Ali supprimait les raisons d’accorder l’asile. Le Ministre de l’intérieur Français, Claude Guéant, rappelait de son côté que la France n’entendait pas subir un afflux d’immigrés clandestins, Schengen sera strictement appliqué et il a souligné que seuls les immigrés présentant des ressources économiques suffisantes et des documents d’identité en règle seraient admis sur le territoire français. Il revient à chaque pays de vérifier si ces conditions sont remplies, a-t-il conclu . Depuis le début de l’année et selon les statistiques du ministère italien de l’intérieur ce sont 25 867 migrants qui sont arrivés en Italie dont une très large majorité d’italiens , infiniment moins que ce que Egypte et Tunisie ont reçu à leurs frontières en provenance de Libye et suite au déclanchement de la guerre.
Le bon sens est assez malmené même si Silvio Berlusconi fait appel à lui : «le bon sens voudrait que soit trouvé rapidement un accord» avec Paris, qui «doit se rendre compte que 80% (des migrants tunisiens) déclarent vouloir rejoindre des parents et des amis en France». «S’il n’y a pas d’accord nous serons contraints de les placer dans des centres d’accueil où nous ne pouvons les garder que six mois et après, ils seront libres de rejoindre la France», a-t-il assuré. Concernant l’Allemagne, la chancelière Angela Merkel «ne pourra que convenir qu’il faut définir une réponse commune de l’Europe», a affirmé M. Berlusconi. Pour les immigrés arrivés après le 6 avril, M. Berlusconi avait annoncé qu’à compter de lundi, deux vols seraient organisés chaque jour de Lampedusa pour les rapatrier directement. «Nous comptons sur la dissuasion psychologique», a-t-il dit. «Quand ils sauront que tous les citoyens tunisiens sont immédiatement rapatriés, tous ceux qui ont l’intention de venir se demanderont si ça vaut la peine de dépenser plus de 1.000 euros et de courir le risque de traversées dangereuses», a-t-il ajouté. Rappelons que le 6 avril, au moins 150 personnes, pour la plupart des Ethiopiens, Erythréens et Somaliens, ont trouvé la mort dans le naufrage de leur embarcation surchargée venue de Libye. Le 30 mars, lors d’une première visite sur l’île où s’entassaient alors depuis des semaines des milliers d’immigrés dans des conditions d’hygiène épouvantables, M. Berlusconi avait promis aux habitants de vider Lampedusa de ses migrants en «deux, trois jours». Se réjouissant que «le gros du nettoyage (ait) été fait», le Cavaliere a donc annoncé s pendant le week end «un plan extraordinaire de promotion» de Lampedusa à la télévision, la restructuration du port, une demande de «zone franche» pour l’île, une candidature pour le prix Nobel de la Paix… Et le milliardaire a confirmé qu’il serait «très vite propriétaire d’une petite maison à Lampedusa».
Plus sérieusement et dans un esprit d’apaisement, France et Italie ont décidé de patrouiller ensemble au large des côtes tunisiennes pour contenir l’afflux de migrants vers l’Europe dans une opération conjointe coordonnée dans le cadre de Frontex ce qui aurait dû être organisé depuis longtemps.
Le ministre italien de l’Economie Giulio Tremonti, qui s’exprimait auparavant en Hongrie, a dit que l’on ne devait pas compter sur l’Italie pour assumer seule le coût de cette vague d’immigration. « Un chèque est arrivé en Italie et doit être honoré, mais il ne s’arrêtera pas à Lampedusa. Il arrivera en Allemagne, dans le Nord et dans toute l’Europe », a déclaré Tremonti. « Nous aimerions parler de solidarité et de responsabilité avec nos partenaires de l’UE. Les pays européens ont créé des mécanismes de solidarité financière pour faire face à la crise financière, nous devons maintenant parler de solidarité pour des questions géopolitiques. » Mais peut-on encore parler d’asile à partir du moment où la dictature de Ben Ali s’est effondrée, les problèmes tunisiens sont d’une autre nature. C’est oublier aussi que l’enjeu économique et les montants des sommes à consacrer ne sont pas du même ordre. A juste titre le commissaire européen chargé du Développement, Andris Pielbags, a placé la source du problème là où il est en rappelant cette semaine que l’Italie ne devait pas se focaliser sur l’immigration mais accroître son aide au développement, en vue d’empêcher que les révoltes populaires d’Afrique et du Proche-Orient ne créent une instabilité durable dans la région et en Europe. La contribution italienne à l’aide internationale s’est élevée en 2010 à 2,3 milliards d’euros, soit 0,15% de son PNB, ce qui représente proportionnellement moins du tiers des contributions de la France et de la Grande-Bretagne. Pielbags a dit que Rome devait quasiment doubler son apport pour qu’il atteigne environ 4,3 milliards de dollars.