Une brutale accélération des évènements : les autorités françaises avaient souhaité procéder à « une analyse approfondie » de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne( cf. autre information concernant cette décision de CJCUE), qui interdit d’incarcérer un étranger sans titre de séjour. C’est fait, cet arrêt ne concerne pas la France….Fatale précipitation nous allons le voir après un rapide retour en arrière sur la période qui a suivi l’arrêt de le Cour de justice européenne du 28 avril.
Après l’arrêt du jeudi 28 avril de la Cour européenne de Justice enjoignant l’Italie de ne plus incarcérer un étranger en situation irrégulière, la France estime n’être pas concernée et continuera de le faire « en cas de refus » d’éloignement, a indiqué le mardi 3 mai le ministère de l’Intérieur. Interrogé par l’AFP sur les conséquences de cet arrêt européen, le ministère a souligné qu’il visait « directement une réglementation italienne » et que le dispositif français était « différent » de celui de l’Italie. « A ce stade de notre analyse, le dispositif existant en droit français est suffisamment différent pour qu’on n’ait pas la même interprétation sur la signification de cet arrêt », a indiqué le ministère de l’Intérieur. Selon lui, en Italie, « la peine d’emprisonnement existe pour le simple fait de rester (sur le territoire) en séjour irrégulier ». « En France, poursuit-on de même source, elle ne vise que le refus d’être reconduit à une frontière ». Une telle « soustraction à une mesure d’éloignement constitue un comportement délibéré de fuite, de rébellion », juge-t-on au ministère de l’Intérieur, et c’est cette « fuite », cette « rébellion » qui sont pénalisées.
La France n’est pas concernée ? Autant de contre-vérités et de maladresses en si peu de lignes et si peu dignes ce qui relève assurément d’ un exploit. La France, comme tous les pays de l’Union, est évidemment concernée par la Directive retour. Le fait qu’elle n’est pas encore adoptée la législation de transposition de la Directive (adoption imminente) ne change rien comme il est dit dans l’autre article consacrée à l’Italie. L’arrêt de la Cour va bien au-delà du décret italien en cause. La Cour rappelle : le droit de l’Union prend le pas sur la législation des Etats membres. ” Il convient toutefois de relever que si, en principe, la législation pénale et les règles de la procédure pénale relèvent de la compétence des États membres, ce domaine du droit peut néanmoins être affecté par le droit de l’Union (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 novembre 1981, Casati, 203/80, Rec. p. 2595, point 27; du 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 19, et du 16 juin 1998, Lemmens, C-226/97, Rec. p. I‑3711, point 19).” “Il s’ensuit que, nonobstant la circonstance que ni l’article 63, premier alinéa, point 3, sous b), CE, disposition qui a été reprise à l’article 79, paragraphe 2, sous c), TFUE, ni la directive 2008/115, adoptée notamment sur le fondement de cette disposition du traité CE, n’excluent la compétence pénale des États membres dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier, ces derniers doivent aménager leur législation dans ce domaine de manière à assurer le respect du droit de l’Union. “
“En particulier, lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile.
” Qu’en est-il du refus d’être reconduit à une frontière ? L’article L621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers dispose que “L’étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s’est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 Euros.”Enfin, la Cour de justice souligne très clairement que le droit de l’Union interdit d’incarcérer un étranger en situation illégale “pour le seul motif qu’il demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié”. Cette violation d’un ordre de quitter le territoire est puni en France d’une peine de trois ans de prison. En revanche, et le ministère de l’intérieur mêle sciemment les points de droit, les Etats peuvent bien sûr envisager des mesures pénales mais seulement si toutes les dispositions de la directive retour n’ont pu être appliquées, comme par exemple après un refus d’embarquer, c’est bien “la rebellion”, et seulement elle, qui est pénalisable : la Cour poursuit : ” Cela n’exclut pas la faculté pour les États membres d’adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière. “
C’est clair : la Directive retour est « bien une directive pour les juges » et nous allons vers de nouveaux contentieux. Les déclarations du ministère de l’intérieur prouvent une fois de plus que le gouvernement français, faute de prendre acte des décisions qui s’imposent aux pays membres, préfère être condamné par les juridictions internationales plutôt que de prendre des mesures législatives qui s’imposent. C’était le cas pour la garde à vue, avec les désordres que l’aveuglement français(l’autisme) a finalement provoqué (cf. autre article). C’est désormais le cas pour l’éloignement des étrangers. Ce le sera bientôt pour le statut du parquet. Etc . etc . etc.
En attendant, les avocats des sans-papiers ne manqueront pas de saisir les tribunaux du non-respect de la directive européenne, la Cour de cassation appliquera le droit européen, mais tout cela prendra du temps. La France sera-t-elle encore en période électorale ? C’est la seule inconnue qui demeure à ce jour le reste du scénario est dores et déjà acquis ! Un scénario trop pessimiste : en matière de justice, les évènements commencent à prendre une allure au rythme rapide. Nous l’avons vu pour la garde à vue, c’est maintenant le tour d’un sans papier en séjour irrégulier.
La cour d’appel de Nîmes a confirmé le 6 mai l’annulation de la garde à vue d’un Tchétchène, placé dans un centre de rétention, et le ministère de l’intérieur est désavoué. Le ministère de l’intérieur avait indiqué que la décision, le 28 avril, de la Cour de justice de l’Union européenne qui interdisait d’incarcérer un étranger au seul motif qu’il était en séjour irrégulier, ne concernait pas la France. Un juge des libertés et de la détention avait décidé du contraire le 5 mai, la cour d’appel lui a donné raison en référé le lendemain.
La décision, appelée à faire jurisprudence, est bien construite , qu’on en juge:
– la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué que “la directive retour” ne permettait pas “l’infliction d’une peine d’emprisonnement” “pour le seul motif que (l’intéressé) demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire sur ledit territoire sans motif justifié” ;
– la directive retour est entrée en vigueur le 13 janvier 2009, même si la France ne l’a toujours pas transposée en droit interne ;
– on ne peut placer en garde à vue une personne qu’à condition que l’infraction suspectée soit punie d’une peine d’emprisonnement (articles 63 et 67 du code de procédure pénale) ;
– le séjour irrégulier est puni en France d’une peine d’un an de prison (art. L621-1 du code des étrangers) ;
– les juridictions doivent “laisser inappliquées” toute disposition contraire à la Directive ; la garde à vue est donc nulle, la procédure aussi, le Tchétchène est libre.
Il est à noter que la cour d’appel donne désormais le mode d’emploi, après l’interpellation d’un sans-papiers : “En présence d’un étranger soupçonné de séjour irrégulier, son identité peut être contrôlée”, pour ce faire, “les services de police peuvent le retenir seulement pendant quatre heures, ce délai étant suffisant à l’autorité administrative pour prendre toute décision utile à son éloignement”. Plus de quatre heures obligerait à basculer en garde à vue, garde à vue qui serait donc illégale. La prochaine étape se déroulera-t-elle devant la Cour de cassation, le gouvernement n’ayant alors plus ensuite, s’il s’y risque, qu’à changer la loi. Et à comprendre enfin que le droit européen s’impose aux pays membres.
Texte de l’arrêt http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=FR&Submit=Submit&numaff=C-61/11%20PPU