L’élément déclencheur, la lettre de Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy au président Barroso et la réponse de ce dernier aux « frères ennemis ». Un débat confus, sans aucun doute. Inutile ? certainement pas mais l’épaisseur des méfiances n’a pas rendu intelligible un débat digne d’un meilleur sort. A-t-on fait des progrès d’une nature quelconque depuis le pacte européen pour l’immigration et l’asile ? Peu probable. Comme toujours à l’origine une médiatisation excessive, pervertie par des enjeux politiques purement nationaux. On a pu lire dans le journal « le Monde » en un grand titre racoleur en première page: « le retour des frontières en Europe divise l’Union » comme si l’enjeu était le retour à 1958. Bien entendu le contenu de l’article repris dans les pages intérieures était d’un tout autre ton. L’opinion publique une fois de plus a été abusée et la dramatisation extrême a tronqué les trois quarts de ce que la Commission avait « proposé », proposé disait le plus souvent la presse alors qu’aucune proposition n’a été mise sur la table, s’agissant d’une communication sur un sujet annoncé de longues date et qui va se poursuivre bien au-delà du mois de mai où les ministres débattront et du mois de juin où les chefs d’Etat et de gouvernement réunies en Conseil européen donneront les orientations avant que la Commission ne fassent ses propositions.
En réalité les initiatives de la Commission présentées le 4 mai couvrent divers aspectes des migrations : les contrôles aux frontières, certes, mais ni principalement, ni prioritairement, une meilleur évaluation de la gouvernance de l’espace de Schengen ( et pas le rétablissement des frontières comme aurait voulu le laisser entendre le journal le Monde), une migration légale mieux ciblée et mieux encadrée, la diffusion accrue de pratiques exemplaires sur l’intégration d’immigrés légaux, l’achèvement du régime d’asile européen commun annoncé de longue date pour 2012, ainsi qu’une approche, enfin stratégique, des relations avec les pays tiers en matière de migration .Nous reviendrons la semaine prochaine sur l’initiative de la Commission après le débat du Parlement européen, le 10 mai, après les déclarations du Conseil et de la Commission.
Cet article complète celui consacré au différend franco-italien et au sommet qui a réuni Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy. Il est une analyse de la réponse de José Manuel Barroso adressée au premier ministre italien, Silvio Berlusconi, et au président français, Nicolas Sarkozy et aux réactions des députés européens pour l’essentiel. Dans sa réponse, le président de la Commission européenne déclare : « Le rétablissement temporaire des frontières est une possibilité parmi d’autres qui, à condition d’être soumise à des critères spécifiques et bien déterminés, pourrait constituer un élément pour renforcer la gouvernance de l’accord Schengen ». Certains pays de l’UE pourraient déjà introduire des contrôles frontaliers temporaires comme l’a fait l’Allemagne pour empêcher les hooligans étrangers de se rendre aux matches de football, ou la France pour la commémoration du Débarquement en Normandie rassemblant un grand nombre de chef d’Etat et de gouvernement de la planète, ou la France encore au lendemain des attentats de Londres de 2005 et aussi dans beaucoup d’autres circonstances. De nouvelles règles de l’UE pourraient-elles élargir la liberté des Etats d’agir ? C’est aller vite en besogne ! Bien plus que la possibilité de la réinstauration des contrôles aux frontières, M. Barroso insiste sur le renforcement des relations avec les pays de la Méditerranée comme un élément essentiel de la réponse de l’UE à la crise de l’immigration. « La Commission considère que seul un partenariat renforcé avec les pays du sud de la Méditerranée permettra une solution durable à la pression migratoire actuelle », écrit M. Barroso dans sa lettre. C’est d’ailleurs le message que les commissaires Malmström, Füle et Georgieva ont passé à l’occasion de leur visite dans les pays concernés et que lui-même a transmis à Tunis lors de sa visite du 12 avril. Il a également souligné la nécessité de mettre en place un système d’asile commun, soulignant que les précédentes tentatives avaient échoué suite à la résistance de certains Etats membres. Il a demandé à la France et à l’Italie d’apporter leur soutien à un accord pour la réforme du régime d’asile « avant 2012 », vers un système de solidarité concrète et réelle entre Etats membres. En ce qui concerne Frontex, la Commission est favorable à un renforcement de sa capacité d’action et de ses compétences, mais il est indispensable que des ressources supplémentaires soient mobilisée pour l’Agence Frontex : la Commission a fait des propositions en février 2010, rappelle-t-il.
En conclusion le président Barroso a invité les deux destinataires de sa réponse à ne pas « pencher vers une vision trop sécuritaire qui pourrait paraître comme niant les valeurs mêmes sur les quelles se fonde le projet européen, ni sur une vision trop laxiste ». Cette réponse a été rendue publique et nous ne pouvons que constater que nous sommes loin des versions relatées dans la presse et qui naturellement a suscité beaucoup de commentaires en tout sens. Nous sommes loin d’une réécriture du Traité de Schengen ou que la Commission s’apprêtait à autoriser des contrôles aux frontières , voire plus même. Personne même n’a demandé un renforcement de « l’intergouvernementalisme ». Naturellement les commentaires ont reflété une perception partielle et partiale.
Les principaux groupes politiques du Parlement européen ont répondu par de fortes déclarations politiques, signalant que ce qui avait commencé comme une « querelle de frontière » entre la France et l’Italie pourrait avoir des conséquences de plus grande envergure quant à la direction que prendra l’Europe. Sans surprise, le groupe du Parti populaire européen de centre-droit (PPE) a salué le projet de la Commission. « La proposition de la Commission, qui vise à renforcer le rôle de l’UE dans le domaine des migrations, est juste », a déclaré l’eurodéputé allemand Manfred Weber, vice-président du groupe PPE. M. Weber a déclaré qu’il était essentiel d’avoir l’approbation des institutions européennes pour toute réintroduction temporaire des contrôles aux frontières. « Il peut y avoir des situations où ils sont appropriés. Cependant, ils ne doivent pas être mis en place de manière unilatérale au niveau national », a affirmé le vice-président du PPE. L’eurodéputé portugais Carlos Coelho (groupe PPE) a déclaré : « Je partage le sentiment que nous avons besoin de davantage de solidarité et d’un meilleur partage des responsabilités entre États membres. Un bon contrôle des frontières extérieures est essentiel. Quand ce n’est pas le cas, cela affaiblit l’espace Schengen, sape la crédibilité de l’Union et détruit la confiance mutuelle ». « Je suis en faveur d’un mécanisme d’évaluation véritable de Schengen pour vérifier la conformité avec les règles et les contrôles aux frontières et identifier les problèmes, aider à les résoudre et, si nécessaire, réintroduire temporairement des contrôles aux frontières », a-t-il ajouté.
Ton naturellement différent au sein du Parti des Socialistes européens (PSE) : il a déploré ce qu’il qualifie de « tentative des conservateurs de démanteler les accords de Schengen ». « La Commission européenne s’est conformée aux demandes du président français Sarkozy et du président du Conseil des ministres italien Berlusconi qui exercent une pression de plus en plus forte sur l’Union européenne pour qu’elle mette en place des règles plus rigoureuses sur l’immigration », ont déclaré les socialistes. « Changer un traité fondamental comme les accords de Schengen s’en prendrait aux fondements même de l’Union européenne. La liberté de circulation est en effet l’un des principes fondamentaux sur lesquels l’Union européenne se base », a ajouté le parti. Le Parti des socialistes européens (PSE) s’est dit « indigné » des concessions accordées à M. Sarkozy et M. Berlusconi par la Commission européenne. Selon le président du PSE, Poul Nyrup Rasmussen, la Commission « devrait se poser en gardienne des traités » plutôt que de « menacer des principes aussi importants que la libre circulation ». L’eurodéputée socialiste slovène, Tanja Fajon, vice-présidente du réseau du PSE sur limmigration, a déclaré : « Le PSE défend une politique de migration renouvelée, non en fermant les frontières intérieures et extérieures de lUnion européenne, mais en facilitant les flux ». L’eurodéputé espagnol Juan Fernando López Aguilar (groupe des Socialistes & Démocrates), qui préside la commission des libertés civiles du Parlement, a vivement réagi à la proposition de déroger à l’accord de Schengen dans des circonstances exceptionnelles. « Il est inacceptable que l’arrivée de quelques dizaines de milliers d’immigrés aux frontières de pays qui figurent parmi les plus importants d’Europe et qui sont des membres fondateurs de l’intégration européenne, chacun avec une population de plus de 60 millions d’euros, serve d’excuse à la question de Schengen, de la libre circulation des personnes et de notre politique commune de liberté, de sécurité et de justice », a déclaré M. López Aguilar. « Il est également inacceptable que ceci intervienne, manifestement, à la suite de pressions très populistes anti-européennes. Tout cela envoie un message décourageant, très négatif et contraire à l’Europe dont nous avons besoin », a-t-il ajouté. Le mécanisme d’évaluation du Système de Schengen « doit être mis en œuvre en co-décision avec le Parlement européen. C’est une allusion au conflit opposant aujourd’hui le Conseil et le Parlement, conflit que Nea Say a déjà rappelé, le Conseil ne voulant pas de co-décision avec le Parlement qui a reçu sur ce point l’appui de la Commission.
La plupart des députés qui manifestèrent une opinion provenait de la commission des libertés civiles du PE (LIBE)et ils s’exprimèrent à l’unisson. La commission Libe a estimé que le système de Schengen ne devait pas être changé « étant donné que tous les instruments juridiques existent déjà (…) et la ligne de conduite doit être de mettre en œuvre les instruments juridiques existants ( …) en codécision avec le Parlement» bien évidemment.
Le groupe libéral ALDE a exprimé une position similaire: « La réponse aux flux migratoires ne peut être une réintroduction des contrôles aux frontières, ni un changement des dispositions de l’acquis Schengen », a affirmé le leader du groupe ALDE, Guy Verhofstadt. Se joue aujourd’hui à la frontière franco italienne « un ping-pong lamentable qui menace la libre circulation des personnes, a poursuivi Guy Verhostadt mettant en garde, contre toute tentation d’un retour en arrière qui porterait atteinte à la libre circulation des personnes en Europe sans répondre pour autant aux causes qui sous-tendent le débat actuel sur l’application des accords de Schengen(…) La réponse aux flux migratoires ne peut être une réintroduction des contrôles aux frontières, ni un changement des dispositions de Schengen (…) Ce dont nous avons besoin c’est de transparence et de responsabilité : la Commission et le parlement devraient être impliqués dans la définition du concept d’ordre public en ce qui concerne l’espace de Schengen afin de prévenir toute décision unilatérale qui conduirait à réintroduire des contrôles aux frontières ». Le coordinateur du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE) à la commission des libertés civiles du Parlement européen, l’eurodéputée roumaine Renate Weber, a déclaré : « Jusqu’à présent, les réponses du Conseil et des États membres ont été décevantes. Les réticences de certains d’entre eux à adopter les propositions législatives sur la table en matière d’asile et d’immigration légale, et le jeu de pingpong auquel se livrent d’autres, mettent en danger le symbole le plus tangible et le plus populaire de l’Union européenne: l’Espace Schengen et la libre circulation des personnes ». « La libre circulation est trop précieuse tant pour les citoyens européens et les économies pour la sacrifier au prétexte des évènements actuels en Afrique du Nord », a affirmé l’eurodéputé ALDE Sarah Ludford (R-U). « Il est crucial que les États membres s’acquittent de leurs responsabilités dans le traitement d’un nombre d’immigrés tout à fait gérable, plutôt que de porter atteinte à l’Espace Schengen. La manière dont la France et l’Italie ont réagi de façon incontrôlée à un pic relativement faible d’immigration, montre l’échec des États européens, malgré une décennie de rhétorique, à gérer de manière cohérente les entrées sur le territoire », a conclu Mme Ludford. Sophia In’ Veld, quant à elle, a souligné que le nombre de demandes de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières était déjà en augmentation et s’est demandée celles-ci étaient justifiées
Le groupe des Verts/ Alliance libre européenne a toutefois créé la surprise en affirmant que la Commission cherchait à renforcer le système de Schengen plutôt qu’à le démanteler. Le groupe Verts/ ALE explique que, selon lui, réinstaurer des contrôles aux frontières pourrait saper l’esprit de Schengen. Cependant, il souligne que la Commission adopte la perspective que de telles décisions devraient être prises par lUE plutôt que par les Etats, et qu’elles devraient être prises seulement dans des circonstances exceptionnelles et être de nature temporaire. Le groupe des Verts/Alliance libre européenne a demandé à la Commission d’invoquer d’urgence la directive relative à la protection temporaire qui avait été adoptée après la guerre du Kosovo pour gérer l’arrivée potentielle d’une multitude de réfugiés en provenance de zones de guerre, mais elle n’a jamais été utilisée. Cette directive permet de partager les conséquences d’un flux de réfugiés. Les Verts souhaitent également que la Commission présente une autre proposition concrète vouée à gérer la situation s’agissant du grand nombre de personnes qui cherchent un refuge du fait de l’instabilité actuelle dans la région méditerranéenne. « Il est bon de se rappeler que la Tunisie et l’Egypte ont dû gérer un nombre au moins dix fois plus élevé de personnes que ce que nous avons vu jusqu’à présent dans l’UE », a déclaré le groupe. Estimant que le Conseil « n’est pas disposé à s’attaquer aux migrations », Judith Sargentini (Verts /Ale néerlandaise) aappelé à une définitionclaire du terme « temporaire » dans le cadre de la réintroduction des contrôles aux frontières. Franziska Keller (Verts/Ale allemande) s’est demandé « quels sont les cas spécifiques et qui décide de ce qui est une urgence ou non ? »
S’exprimant au nom du groupe Conservateurs et Réformistes européens (CRE), l’eurodéputé britannique Timothy Kirkhope a déclaré à EurActiv : « Il est inévitable que les pays de l’UE trouvent l’immigration à partir des pays tiers particulièrement utile pour combler les manques sur le marché du travail ». « Toutefois, les décisions de cette nature concernant le nombre de migrants devraient être prises par les gouvernements nationaux afin de pouvoir exercer un contrôle constant », a-t-il ajouté. « S’il manque certaines compétences sur le marché, alors la première priorité des gouvernements nationaux, avec l’aide de l’UE, devrait être de fournir des formations appropriées pour combler ces lacunes », a-t-il insisté. M. Kirkhope a noté que le gouvernement britannique prévoyait d’introduire un plafond sur le nombre de migrants admis dans le pays lorsqu’ils proviennent de pays tiers à l’UE.
La France publie une déclaration « neutre » : saluant la proposition de la Commission en tant que « première contribution » au débat. Elle note avec intérêt que la Commission envisage un mécanisme qui permettrait la réintroduction de contrôles temporaires sur certaines parties des frontières intérieures en cas de difficultés ou de déficiences des Etats membres, peut-on lire dans la déclaration. Le terme « déficience » vise apparemment la Grèce, qui est confrontée à une forte pression migratoire à ses frontières avec la Turquie. Paris souligne que la gouvernance de Schengen devrait être réformée et renforcée, et que les discussions continueront au niveau des ministres et des chefs dEtat et de gouvernement.
Peter Vertessy s’est exprimé au nom de BusinessEurope, l’organisation qui représente les employeurs du secteur privé, et a souligné les avantages de l’immigration légale dans l’UE : « Les avantages de la migration de travailleurs vers l’UE sont indiscutables. Non seulement la main-d’uvre se fait plus rare en Europe à cause du vieillissement de la population, mais en plus, les travailleurs immigrés apportent des compétences et des idées utiles et permettent de combler des postes vacants là où l’Europe ne peut ou ne veut le faire ». « Ils rendent notre économie plus dynamique en lançant des entreprises, en créant de l’emploi et en contribuant à la croissance économique. L’UE devrait en faire davantage pour surtout attirer les migrants hautement qualifiés », a-t-il ajouté.
Les députés ont fait le choix de manifester leur méfiance et de tirer des lignes rouges à ne pas franchir en matière de contrôles aux frontières et de respect de Schengen. Faisant ce choix, ils ont renoncé, à ce stade, de se saisir du problème du phénomène migratoire dans sa globalité et sa complexité. Un débat tronqué conduit par l’actualité, et faussé par les arrières pensées politiciennes. Mais ce débat a donné la possibilité à la quasi-totalité des députés de réaffirmer leur détermination à voire le schéma institutionnel communautaire être respecté et leur forte hostilité à toute approche intergouvernementale .
-. Lettre de réponse du Président Barroso à Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/president/news/letters/pdf/20110502_fr.pdf
-. Synthèse de la législation sur Schengen (FR) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33020_fr.htm (EN) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l33020_en.htm