Appel du haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU et ancien premier ministre du Portugal, Antonio Guterres : l’Europe doit donner la priorité au soutien politique et économique à la Tunisie et à l’Égypte plutôt que de se focaliser sur le contrôle des frontières. Selon, lui, il faut préférer la promotion de l’immigration légale plutôt qu’une politique de fermeture des frontières qui ne fera que favoriser le trafic des migrants. Antonio Guterres : « Il faut faire la distinction entre plusieurs groupes. Sur les quelque 740 000 personnes qui ont quitté la Libye depuis le début de la crise, l’énorme majorité était des nationaux de pays tiers, des travailleurs immigrés qui sont revenus dans leur pays d’origine avec l’aide de leurs gouvernements ou à travers l’opération d’une évacuation humanitaire réalisée conjointement par le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés et l’organisation internationale pour les migrations. Ensuite, il y a les véritables réfugiés, ceux qui ont besoin de protection.
Environ 50 000 réfugiés libyens, dont beaucoup de Berbères, ont ainsi fui les combats dans l’ouest de la Libye pour gagner le sud tunisien. Les Tunisiens font preuve d’une grande générosité en les accueillant, en dépit de leurs ressources limitées. Les autres sont essentiellement des Somaliens et des Érythréens déjà réfugiés en Libye, dont ils fuient les affrontements. Enfin, il y a les migrants économiques, en majorité des jeunes Tunisiens, qui ont traversé la Méditerranée vers l’Italie et Malte à la recherche d’un avenir meilleur.
Les Européens ont respecté leurs obligations de ne pas renvoyer contre leur gré dans leur pays d’origine des réfugiés en provenance de Libye. Dans deux cas, l’Italie a même été au-delà de ses obligations légales, en venant au secours de réfugiés érythréens à Tripoli. Jusqu’à présent, toutefois, l’Europe a accueilli moins de 2 % de tous ceux qui ont fui la Libye. Et les réfugiés fuyant les conflits ou la persécution n’ont été qu’une faible proportion des migrants qui ont traversé la Méditerranée pour l’Europe. Les États européens ont le droit de définir leurs politiques d’immigration et de gérer leurs frontières à partir du moment où ils respectent leurs obligations internationales concernant les réfugiés. J’espère qu’ils le feront de manière responsable et avec humanité, conformément aux valeurs européennes héritées des Lumières, plutôt que guidés par des intérêts à court terme, sous l’influence de la peur et du populisme.
Si la situation en Libye continue à se détériorer, le nombre de réfugiés va augmenter. La plupart continueront à fuir vers la Tunisie, l’Égypte et d’autres pays voisins. Pour ceux qui arriveront en Europe, l’Union européenne dispose des instruments légaux et financiers nécessaires pour les recevoir avec dignité. De même, les pays européens peuvent aller au-delà de leurs obligations légales en soutenant la réinstallation par le HCR de réfugiés originaires de pays de l’Afrique subsaharienne déplacés par le conflit en Libye en Tunisie ou en Égypte.
La réussite de la transition démocratique en Tunisie et en Égypte est d’une importance capitale pour l’avenir de la région. Faute d’un engagement européen suffisant, à l’image de ce qui a été fait dans les années 1970 pour le Portugal et après la chute du mur de Berlin pour l’Europe de l’Est, ces révolutions risquent d’être confisquées par des tendances autoritaires. Or, jusque-là, le débat en Europe s’est plus focalisé sur la façon d’empêcher l’arrivée de ceux qui risquent leur vie pour traverser la Méditerranée que sur le soutien politique et économique à la Tunisie et à l’Égypte. Le marché international du travail obéit à la loi de l’offre et de la demande. Pour des raisons démographiques et économiques, l’Europe a besoin d’immigration et a tout intérêt à garder ses portes ouvertes.
En tant que citoyen européen, je préfère une politique raisonnable de promotion de l’immigration légale plutôt qu’une politique de fermeture des frontières, fondée sur l’émotion, qui ne fera que favoriser le développement de l’immigration illégale et le trafic des migrants.