Que le ciel nous en garde !
Evoquer leur sort nous en préservera peut-être, car le risque rode toujours autour de notre destin, même si depuis quelques jours, quelques semaines, depuis un an ou deux, la nouvelle gouvernance économique semble devoir conjurer, en partie, le péril. Mais en quoi le sort des Brics serait-il si peu enviable ? Ce club des cinq n’existe que sur la papier de façon furtive, le temps d’une photo. Comme le dit le journaliste Alain Frachon des « émergents » assurément mais certainement pas des « convergents » : le bouleversement dans la géographie de la puissance économique ne débouche pas sur un nouvel ordre économique et politique. Au-delà d’une vague rhétorique commune, les Brics sont fortement divisés. Beaucoup de revendication, de protestation, de contestation, mais pas de proposition. Ils désavouent assez régulièrement les tentatives de médiations des autres, chacun tenant à ses prérogatives supposées, incapables de regrouper derrière eux un « front » quelconque. Pas de programme, ils n’ont apparemment rien à dire qui leur soit propre: Zaki Laïdi dans Telos en a fait une analyse incisive. Dans les enceintes internationales, c’est le « vieux monde » qui fait le boulot, pire les Brics se méfient des enceintes multilatérales qui sont à leurs yeux uniquement préoccupées à s’ingérer dans les affaires des autres, de simples particuliers, comme eux. Riches, voire puissants, les Brics sont incapables de s’entendre pour financer un programme qui leur soit propre et susceptible de porter leurs intérêts.
Voilà où nous conduiraient si devait l’emporter, chez nous, la tentation du repli sur soi et du chacun pour soi. Parfois il s’agit plus qu’une tentation mais moins qu’une réalité profonde et durable. Les leçons des « grands anciens » s’oublient ou ne sont pas connues des plus jeunes, la clairvoyance d’un jean Monnet n’est pas toujours au rendez-vous, lui qui dès 1954 disait : « nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel à l’échelle des moyens techniques modernes, à la mesure de l’Amérique et de la Russie d’aujourd’hui, de la Chine et de l’inde de demain ; » Sagesse qui vient d’être fort opportunément rappelé à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne à Jean-Claude Trichet. Là où les Etats ont été le plus loin dans le transfert de solidarité, là se trouvent les plus grands succès.
En permanence nous sommes liés par un double devoir mutuel de solidarité et de responsabilité, des droits et des obligations. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui l’Europe est sans aucun doute une force d’influence dans le monde, et elle est aussi une force d’inspiration. Les Brics, assurément pas, faute de ce double devoir de solidarité et de responsabilité.
Mais l’Europe n’est pas un acquis pour toujours, ce qui irait de soi et donc dispense de l’effort : l’inaltérabilité du projet européen est une grande vertu, il est partagé consciemment ou pas par la plupart des européens. C’est une vertu qui a son revers si, par exemple l’Europe venait à manquer de moyens politique, institutionnels, budgétaires et si l’on n’y remédiait pas par routine, lassitude, fatigue…qu’importe ! l’Europe serait toujours là ! Or disons le clairement, proclamer, afficher des ambitions pour l’Europe sans lui donner les moyens de les réaliser, c’est frustrer les attentes, créer des incompréhensions, bref démoraliser.
Autre péril, que serait notre avenir si nous perdons de vue, un seul instant, cette ardente obligation de la solidarité ? Le problème d’un seul est le problème de tous qu’il s’agisse de dettes ou d’immigrants illégaux ou de réfugiés. C’est un principe absolu. Depuis longtemps la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reconnait la solidarité, fondée sur la confiance mutuelle entre les Etats membres, comme principe fondamental résultant de la nature des Communautés ainsi que le principe de la coopération loyale entre les institutions de la CE et les Etats membres. Le droit d coopérer va au-delà du respect des obligations spécifiques précisées dans le droit communautaire : il implique également d’adopter toutes les mesures nécessaires à court terme dans un domaine particulier, mandaté par le traité et dans lequel la Communauté n’a pas encore réussi à fonder une législation.
L’Europe représente toujours une force par rapport aux autres continents. S’il arrive que trop fréquemment l’Europe ne soit plus un modèle pour les européens eux-mêmes, par morosité ou dénigrement masochiste, l’Europe reste un modèle pour le reste du monde et continue à retenir l’attention.